Citoyens et Politique : un divorce ?

Témoignage d'un Conseiller municipal de Montpellier : Yves Larbiou.


Appel au débat :

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La politique a pour objectif d’organiser et gouverner les affaires publiques, dans le respect de la diversité philosophique, politique et religieuse.

Le citoyen élit des hommes et des femmes sur la base de projets qu’ils promettent de réaliser.
Les projets doivent être honnêtes et sincères pour ne pas être dévoyés et tomber dans la démagogie et/ou l’oligarchie.
L’augmentation des abstentions aux diverses élections est diversement commentée :
- le citoyen  ne croit plus à ses représentants car ils ne font pas ce qu’ils ont promis ; ….
- les médias sont une source de désinformation …..
- les politiques ne pensent qu’à leur réélection ; ils sont carriéristes, cumulards, coupés de la base ….. 
Pour sortir de ces clichés, venez faire part de vos expériences, venez proposer  de nouvelles pistes pour réhabiliter la politique, et montrer que l’engagement gratuit et le militantisme sont bien vivants. Engagés ou non en politique, nous sommes tous des citoyens et, à ce titre, acteurs de la vie sociale et politique.





Le débat (mardi 16 janvier 2007)

Thème : Citoyens, politique : un divorce ?
Témoin : Yves Larbiou, conseiller municipal à Montpellier
Présentation : Jacques Dainat
Modérateur : Francis Schanen
Prise de notes : Marie-Claude Rusque
 
Présentation du café-débat : Jacques D. remercie les nombreuses personnes présentes (62), rappelle le thème et donne la parole à Yves L.
 
Témoignage d’Yves Larbiou :
Je suis un homme engagé en politique depuis l’âge de 17 ans et je suis élu au conseil municipal de Montpellier,depuis 1977, c'est-à-dire 5 mandats !(le nombre de mandats : un vrai problème sur lequel je reviendrai).
Comment suis-je arrivé à m’engager ? Je suis catholique ; mon adhésion aux valeurs évangéliques est à la source de mon engagement. Jeune, j’étais déjà engagé auprès d’autres jeunes. J’ai été marqué par la guerre d’Indochine et par Mendès France qui a permis à la France de sortir de ce bourbier, par la personnalité de Paul Boulet, maire de Montpellier de 1947 à 1953 : il vivait les valeurs évangéliques ; issu d’un milieu catholique bourgeois, devenu catholique de gauche Il avait  été élu député du Front populaire en 1936 et il a été un des 80 députés qui ont voté contre la délégation du pouvoir à Pétain.en 1940.
 Il m’a marqué par sa générosité et son humanisme : il vivait les valeurs évangéliques. J’ai participé à sa campagne des municipales en 1953   et j’ai été choqué par l’attitude de ceux qui au sein de la gauche  l’ont pas soutenu. Il a été mis en minorité et battu par Zucarelli, du parti radical en 1953, mais c’est  Delmas qui a été élu maire en réalité et Paul Boulet a été le seul élu de l’opposition. J’ai dit que j’avais été marqué par la guerre d’Indochine. Au niveau national, il y avait le contexte du Front républicain : malgré le succès de Mendès France, c’est Guy Mollet qui a été choisi pour former un nouveau gouvernement , ce qui m’avait fortement scandalisé; Mendes-France est devenu ministre mais a démissionné suite à un désaccord sur la politique menée en Algértie . J’ai été heurté par tout ce qui était négatif, mais cela ne m’a pas empêché de m’engager en politique. La guerre d’Algérie m’a beaucoup marqué aussi : j’ai été maintenu en France, artilleur (caporal) chargé d’enseigner le français aux Français de souche nord-africaine (FSNA), j’ai été heurté par la manière de certains officiers de  les traiter. Heureusement, il y en avait des humanistes aussi. J’ai été favorable à l’indépendance de l’Algérie et j’ai adhéré au PSU. G. Frêche a sollicité le PSU et lui  a proposé  2 places : j’ai ainsi été élu au conseil municipal de 1977 (PSU de sensibilité écolo). En 1983, 3 postes ont été attribuées au PSU ; je suis devenu adjoint à l’environnement, idem en 1989 ; en 1995 j’ai été nommé adjoint à la culture. Le PSU n’existant plus, j’ai adhéré à Génération Ecologie de Brice Lalonde en raison de ma sensibilité écolo. En 1981, avec l’arrivée de Mitterrand, Brice Lalonde est devenu ministre de l’environnement ; le regroupement de la sensibilité de gauche a donné naissance à « génération écologie » ; à Montpellier cela s’est fait autour de Pietrasanta. Suite au changement de majorité à l’assemblée nationale, Brice Lalonde  s’est rallié  à Balladur, et  Génération écologie a éclaté. J’ai alors adhéré aux Verts Christine Lazerges est là ce soir, Guy Boisson aussi : nous avons travaillé ensemble au conseil municipal. Il y a 2 ans, j’ai adhéré au PS. Il n’y a pas de parti idéal, mais il faut s’engager !
Aux élections municipales de 2001, la liste écolo a fait un bon score au 1er tour et a négocié 12 places avec G. Frêche pour le 2ème tour. J’ai accepté de laisser ma place et de me mettre en réserve. Il y a 2 ans, la démission d’un élu (problème de cumul de mandats) m’a fait remonter au conseil municipal : je suis donc actuellement simple conseiller municipal. J’en ai terminé avec l’exposé de mon parcours.

Le débat : 

FS : Nous remercions Y. Larbiou pour ce témoignage qui met en valeur 3 types de motifs à son engagement : des valeurs évangéliques, des évènements collectifs (2 guerres, …) et des exemples (personnalités). Yves, je voudrais te demander ce que tu recherchais, à travers toutes ces fractures de la vie politique (tu as cité des choses pas belles) ?
YL : Cette ville bougeait : cela m’intéressait ; j’avais envie d’y prendre ma place. Ce qui m’intéressait au niveau national, c’était le problème de la paix, et au niveau local l’environnement. Je n’ai jamais eu d’ambition personnelle. Pourquoi ai-je fait plusieurs mandats ? Tant qu’il n’y aura pas de loi limitant le nombre de mandats, on se laissera prendre !
Nous sommes dans une période difficile, l’individualisme guette chacun. C’est important de s’engager. J’ai voulu apporter ma pierre à l’édifice et me suis investi en ce sens dans l’environnement et la culture.
FS : Les gens voient les politiques engagés dans la « machine »  et l’ « appareil » ; mais il y a beaucoup d’abstention aux élections.
YL : Quand j’ai été mis en réserve, j’ai reçu beaucoup de témoignage de sympathie ; les gens ne me considèrent pas comme un politique avec un grand P.
X : La politique est-elle un métier ? faut-il des compétences ?
YL : J’ai été élu en étant prof de collège ; je reconnais que cela a facilité mon mandat ; cela aurait été plus difficile si j’avais été prof en terminale ; mais je n’ai pas pu prendre des stagiaires. L’engagement politique demande du temps. Certaines professions favorisent actuellement ce type d’engagement : enseignant, avocat, … avant on trouvait beaucoup de négociants, de propriétaires.. Il y a un réel problème de diversité des catégories professionnelles chez les élus.
X :  70% des élus sont fonctionnaires. Tous ceux qui ont les mains dans le cambouis ne se sentent pas représentés. La question de la représentativité est grave. ferma aurélié
FS :on peut dire que le travail de l’élu  relève à la fois du métier et de l’expérience
Christine Lazerges : L’engagement est une mission, pas un métier.  Conserver son métier, c’est un garde-fou contre le clientélisme.
J’ai une expérience de député. Le problème de la représentativité va au-delà de celle du métier : cela concerne l’âge et le sexe, également. J’ai vécu 3 mandats avec Yves Larbiou au conseil municipal.
X :  Il y a un problème d’articulation entre les associations et les élus. Être citoyen demande un minimum : connaître les institutions. Mais il y a tant d’ « appareils » que c’est décourageant et l’on s’en détourne.
X : S’accrocher au pouvoir est un dérapage possible, mais je suis assez reconnaissante aux élus de leur travail. La société ne va pas bien ; l’individualisme se développe ; le manque de fonctionnement collectif favorise la distance avec les élus. Avant les syndicats et les partis étaient plus forts ; c’est différent aujourd’hui. Les jeunes ne s’engagent pas trop collectivement sauf au niveau de la culture et du sport. J’ai milité au PSU, à la CFDT ; j’aimerais me reposer un peu ! La difficulté : comment avoir prise, quel projet soutenir ? Et  il y a le poids actuel des déceptions …C’est donc difficile de s’engager en ce moment.
FS : Il y a effectivement des difficultés, mais par ailleurs il y a pléthore de candidats ! Pourquoi un refus de la politique pour 25% des gens ?
YL : C’est un réel problème que tous ces « amateurs » du pouvoir politique.
CL : Ce n’est pas le cas pour les maires des petites communes : il est parfois difficile de trouver des candidats.
YL : La différence entre les petites communes et les grandes villes, c’est le manque de structures de soutien ; dans les grandes villes il  y a des équipes de cadres techniques et administratifs qui facilitent la gestion. Dans les villages, les maires en place restent parce qu’il n’y a pas de relais ; la taille de ces petites communes favorise la proximité de la population et permet de faire bouger.  Il faut que les élus soient de vrais animateurs. Il y a aussi le problème que l’on demande la perfection aux élus …
X :  J’ai été infirmière et j’ai participé au CCAS de ma commune ; le problème c’est le manque de disponibilité pour les réunions, quand on travaille. Ce soir les jeunes sont absents : il ne faut pas s’étonner de leur défaut d’inscription sur les listes électorales  quand ils passent de CDD en CDD et ne peuvent se fixer quelque part , être solidaires; la mobilité du travail est un frein à l’engagement électoral ; je connais une personne qui vient de s’inscrire, à 40 ans, sur les listes électorales, parce qu’elle a obtenu enfin un emploi stable, donc une adresse fixe.
YL :  Il y a eu 2 jeunes étudiants élus au conseil municipal, mais ils ont quitté Montpellier.
X :  Il faut écouter ces jeunes si l’on ne veut pas être déphasé.
YL : Des jeunes s’engagent aussi. Il y a 20 000 nouveaux inscrits à Montpellier dont 40% de 18-30ans. C’est important de leur dire qu’il faut qu’ils s’engagent en politique, que ce soit à droite, à gauche ou au centre. Je suis témoin que l’arrivée de nouveaux dans les sections, cela bouscule !
X : S’il y a moins d’enthousiasme pour la politique, c’est à cause du manque de pouvoir économique des élus (cf. mondialisation).
FS : Le problème ne vient-il pas aussi de l'image que les gens se font de l'homme politique, étant entendu que les yeux appartiennent aussi à celui qui regarde?
X : Aujourd’hui l’image de l’homme politique est celle d’un homme qui promet et ne respecte pas ses promesses. A un certain niveau, la lutte politique est terrible. Démocratie participative et démocratie représentative : quels moyens mettrent en œuvre pour favoriser la participation ?
YL :  Des expériences existent, mais davantage dans les communes; le milieu associatif est très actif (exemple des intermittents du spectacle). Pour favoriser la démocratie participative, il faut que les élus rendent des comptes et qu’il existe un moyen de contrôle de l’électeur. Il faut de la transparence et ne pas vivre dans un état de suspicion (cf. problème du chef d’état, la suspicion qui traîne). Depuis 10 ans pas mal d’élus ont dû rendre des comptes et démissionner.
Guy C: Dans l’Eglise, on a parfois  à rendre des comptes. Je voudrais souligner le problème des migrations de population dans l’Hérault (du côté de Gignac, par exemple). Cela a une incidence démographique politique et économique. Une question : comment être libre de parole après autant de mandats ?
YL: Je me suis toujours senti libre et je l'ai prouvé plusieurs fois !
CL :  L’attente des citoyens est la conjugaison de la démocratie participative et de la démocratie représentative. L’image est faussée à cause du cumul des mandats : à l’Assemblée Nationale, ¾ des députés n’y travaillent pas ! Pourtant être député devrait correspondre à un plein temps : il y a à auditionner le milieu associatif en vue du travail législatif ; c’est de la démocratie participative ; et il faut rendre compte après ; c’est cela représenter ; dans ma circonscription,  je rencontre les gens sur des thèmes particuliers et cela intéresse.
 Il est nécessaire d’avoir à la fois une exigence de non-cumul des mandats et de la limitation dans le temps (2 à 3 mandats maximum). On parle de scepticisme par rapport à l’honnêteté des élus mais ce sont les hommes politiques les plus condamnés qui sont le plus facilement réélus !!! Le Français est-il  fraudeur de nature ? Est-ce un atout d’avoir été condamné ? La notoriété dans la délinquance plait-elle à l’électeur ? La balle est à renvoyer au citoyen.
Guy B : C’est l’éternel débat : cf. Rousseau : changer de maître tous les 6 ans. Il y a une crise de la représentativité. En France, l’Etat a joué un grand rôle : la Libération, le Front Populaire. Mais l’évolution de la société fait que le politique est dessaisi de secteurs majeurs tels que l’économie.
 C’est la dictature du capitalisme financier : un secteur de la société peut en mettre un autre sur la paille (cf. délocalisations, …). Le 1er problème est le pouvoir d’intervention. J’ai longtemps cru qu’il y avait  des moyens de gérer autrement. La crise politique est liée au fait que le politique a laissé filer une partie de ses possibilités d'intervention.
YL : On ne sait pas comment on peut peser sur notre environnement ; c’est un vrai problème. Avant on avait les moyens de réaliser ce que l’on voulait. Actuellement nos enfants ne savent pas comment s’agripper. Alors, s’engager ? on accorde de grosses  subventions aux entreprises, et, plus tard,  elles délocalisent ! Il faudrait qu’elles rendent des comptes.
FS : On a l’impression d’être impuissant et manipulé.
Jacques D : L’Europe joue aussi un rôle important ; on n’en dit rien ; il est nécessaire d’éclaircir les domaines de compétences.
YL : en réalité les politiques ont plus de pouvoir qu'ils ne veulent le reconnaître et qu'il ne semble ! Ils doutent, c’est grave. st maria wasser
Je réponds à 2 questions : 1) L’intercommunalité est la réponse à la question de Guy C. L’intercommunalité permet une meilleure articulation ville/campagne. 2) Je me sens libre de parole. Dans ma vie d’élu, au moins à 2 reprises, je me suis opposé au conseil municipal (au sujet du projet de parking sous la place de la Canourgue et sur la mise en place de caméras en ville). Cela m’a valu la menace du retrait de ma délégation d’adjoint. ;j’ai maintenu ma position et j’ai conservé ma délégation ! , . Pour moi, la sécurité, ce n’est pas une affaire de caméras. Quand le désaccord porte sur le fond, je dis non. Un élu ne doit pas avoir peur de son maire ; le maire a besoin de ses élus
X : Il semble pourtant qu’il soit impossible de s’opposer à G. F car il réagit très mal.
YL : Se faire mettre en boite, ce n’est pas très grave. Les choses sont trop souvent amplifiées : il vaut mieux des propos cinglants que la langue de bois.
X :  Il y a une perte des valeurs et le problème du non-engagement se pose partout. On se demande qui fait quoi.
X : avant il y avait 3 syndicats, maintenant 12 à 15 ne rassemblent pas 10% des salariés. Dans le privé, la répression syndicale a découragé. Même au niveau de la consommation, combien d’organismes existent pour peu d’adhérents ?
X : 31 communes dans l’agglo ont un même schéma ; pour celles situées à côté, hors de l’agglo, c’est différent ; c’est la défense de l’intérêt personnel. On est loin de la vision de l’intérêt général. Il faudrait aussi analyser les défauts des citoyens.
X : il s’agit de continuer à évoluer, à participer, même si l’on est âgé. Le bénévolat est différent du métier ; il permet la participation ; il permet de faire éclater ce qui étouffe. Aidons le bateau pris dans la tempête à retrouver la sérénité. La défense de la nature est meilleure maintenant. Permettre aux jeunes de dégager  des valeurs nouvelles. 
FS : St Augustin disait que chaque instant est promesse d’avenir et l'occasion de réinterpréter le passé.
X : Redonner espérance aux jeunes passe par le politique ; mais il faudrait arriver à dominer l’économie : il y a du travail.
X: Je réitère mes questions : comment rapprocher citoyens et élus (et intéresser les jeunes) ? n’y a-t-il pas un problème de la représentativité par rapport au nombre trop élevé de strates politiques et au nombre pléthorique de petites communes ?
CL : Je tiens à défendre le système français : 36 000 communes c’est de la démocratie représentative. La petite commune rapproche le citoyen de la vie publique et favorise la proximité de la gestion. En outre le regroupement de communes permet de conjuguer la démocratie de proximité avec le soutien d’entités plus performantes.
Il  reste à gérer la question du cumul des mandats. Cependant on peut dire que le système français favorise l’accession du maximum de citoyens à la politique.
Pour ce qui concerne l’image négative du Parlement à la TV, il faut dire que le travail du parlementaire dans la semaine ne se limite pas à l’heure télévisée !
FS : vous parlez de règles à mettre en place, pour le cumul des mandats par exemple. Mais je prends une image, celle du foot : il faut des règles de jeu mais il faut surtout des joueurs. Avons-nous envie de jouer ?  Ou ne restons-nous que spectateurs?
X : Il me semble que si l’on prenait en compte les bulletins blancs, le citoyen se sentirait plus motivé.
YL : Je crois à l’intérêt de mettre en place de la proportionnelle dans les élections : cela donnerait une image plus juste de la société française ; je dis qu’il n’est pas bon que le FN n’ait pas de  représentants.
Un autre élu de la ville de Montpellier proteste : je ne suis pas d’accord « il n’y a pas de liberté pour les ennemis de la liberté »
YL : Des jeunes ont l’impression qu’il y a des clans qui tiennent le pouvoir ; c’est pareil dans l’Eglise
C L : Le problème de la représentativité est bien pire dans l’Eglise ! (grand éclat de rire)
YL : Ce qui est important, c’est qu’on se sente concerné et que l’on se dise que, quelle que soit la personne qui sera élue, il faudra faire bouger !
FS : Ce sera la conclusion de ce café-débat. Encore merci pour votre participation.

Le débat continue :


Ethernaute : Vos reflexions nous intéressent. Envoyez un courriel à l'adresse suivante : aucafedelavie@free.fr.



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