Emmaüs face aux défis actuels
Témoignages de Dominique BOISSEAU (Directeur Emmaüs St Aunès) Animée par Martine Marragou Présidente de l'Association
Appel au débat :
L’Abbé Pierre a créé les Compagnons d’Emmaüs suite à l’Hiver 54, ouvrant ses portes à des hommes sans logement ni travail.
Sa devise : « Viens m’aider à aider ». Le travail et la vie en communauté leur permettent de se restructurer.
Le monde a changé, les jeunes qui arrivent sont différents, la Communauté a évolué.
Quels sont les défis actuels rencontrés par Emmaüs ?
Qui
vient sonner à sa porte ? Autrefois des hommes seulement… Français,
étrangers, migrants ? Actuellement 17 nationalités sont représentées !
Quelle évolution de leur statut ?
Quels projets ?
Comment les aider à trouver du sens à leur vie ?
Comment les aider à avoir envie de quitter ce cocon ?
Témoignage et débat
30 participants environ
Dominique Boisseau est directeur de la communauté de St Aunès depuis 20 ans.
Martine Marragou est présidente de l’Association Emmaüs Montpellier depuis 2018.
Martine (M): Il y a 116 communautés en France.
Le
principe est « vient m’aider à aider » (l’abbé pierre 1954). Nous
sommes un centre d’accueil qui loge, nourrit, blanchit et offre de la
dignité par le travail.
Dominique
(D): Le profil des compagnons a changé : ce sont des personnes en
rupture familiale, professionnelle…mais qui ne savent rien faire alors
qu’autrefois beaucoup avaient une compétence.
M
: 17 nationalités sont représentés actuellement ce qui pose un problème
de langue et un danger communautariste ! Nous exigeons qu’ils parlent
français, des bénévoles leur donnent des cours de français 2 fois par
semaine. Nous avons un partenariat avec le Secours Catholique. Si au
bout de 6 à 8 mois ils n’ont pas fait d’effort ils partent ! La plupart
acceptent.
D
: notre accueil est inconditionnel ! Quand ils arrivent nous ne leur
posons aucune question sur leur passé mais nous n’acceptons ni la
violence physique ou verbale ni la drogue ! Nous cherchons d’emblée à
établir la confiance par le dialogue, ne les jugeons pas…
M
: un exemple : Martin depuis 16 ans dans la communauté restait très
renfermé. Quand je le rencontre la 1ère fois je lui dis « Bonjour
Martin », je m’appelle « Martine » ! Et la glace a été rompue !
Q : comment vous trouvent ils ?
D : essentiellement par le bouche à oreille.
M
: ils sont différents des SDF. A 8 h ils sont au petit déjeuner puis
ils partent travailler. Ils aiment leur travail. Ainsi lors des
inondations graves dans l’Aude, par l’intermédiaire du Lions club
Dominique est parti avec 2 compagnons et un camion plein d’affaires
pour dépanner les sinistrès. Ces 2 compagnons se sont donnés à fond et
sont rentrés heureux !
Q : combien avez-vous de compagnons ?
M
: 76 compagnons, 16 femmes et 6 enfants qui sont scolarisés à St Aunès
ou à Montpellier bien qu’ils n’aient pas de papiers ! C’est notre
fierté !
D
: nous avons accueilli une famille d’Arménie avec 2 filles de 12 et 14
ans qui ne parlaient pas français. En 4 ans l’aînée a eu son bac S
mention TB, elle veut faire sa médecine.
M
: elle prépare le concours dans le mobil home où elle vit avec sa mère
et sa sœur, les partiels ont bien marché… Nous avons pu la faire
parrainer par Cédric Belamy !
Q : Y a-t-il une limite à la durée de leur présence chez vous ?
D
: Non. Actuellement ça va de 18 mois à 81 ans , dont certains sont
présents depuis 30 ans ! Nous essayons qu’ils ne s’ancrent pas dans la
communauté. Dès qu’ils ont un CDI nous les aidons à s’installer…
M : en fait peu sortent, 2 ou 3 par an ! Ils rêvent beaucoup…
D
: Aurélien s’en est sorti : il a mis 6 ans à surmonter son problème
d’addiction, nous sommes arrivés à lui faire passer son permis de poids
lourds et il mène sa vie.
M
: les femmes dans la communauté ne posent pas de problèmes car ils les
respectent. Il y a bien quelques love stories qui se passent bien. Ils
sont fiers d’être compagnons, sont dans un cocon à Emmaüs.
D : nous avons le statut OACAS (pour travailleur solidaire).
Quand
l’Abbé Pierre est mort ses successeurs ont voulu que le statut de
compagnon soit reconnu. C’est ce fameux statut : ils relèvent de
l’URSAFF, ont une allocation mensuelle de 350 € qui est leur
argent de poche puisqu’ils sont logés, nourris, éclairés, blanchis !
L’argent de la communauté sert aussi pour la formation.
M
: je cherche à créer des liens avec les chefs d’entreprises pour qu’ils
nous prennent des compagnons. Nous avons des liens également avec les
compagnons du devoir qui nous en parrainent certains.
Q : que faites vous quand vous n'avez plus de places ?
D
: nous faisons appel à une autre communauté en France. Mais elles sont
toutes complètes. Nous appelons le 115 ou ils repartent ! Nous avons
encore 1 ou 2 places sur le site mais la construction est chère. Nous
ne recevons aucune subvention ce qui nous laisse toute liberté de dire
non et de faire ce que nous voulons. Pau est la plus grosse communauté
avec180 à 250 personnes ! Mais ils avaient un très grand terrain.
M
: nous avons un projet pour les 3 les plus anciens qui ont entre 75 et
80 ans et qui ne travaillent plus.Nous cherchons une petite villa ou un
appartement pour les loger le soir en allant les chercher pour passer
la journée à la communauté qui est leur famille.Ils reçoivent leur
retraite de la SS à laquelle ils ont cotisé toute leur vie.
Q : combien avez vous de salariés ?
D : 3 adjoints de direction dont un ancien compagnon, 1 comptable, 1 chef de cuisine, 2 ou 3 chauffeurs.
M
: venez nous voir. Nous prévoyons de faire des évènements pour nous
faire connaître et attirer du monde : la semaine du cinéma, des
bijoux,du mariage, un apéro jazz de temps en temps. Nous venons de
faire une foire au blanc.Nous faisons de la pub dans les journaux, sur
notre site internet.
Q : Avez vous des problèmes psy ?
D
: nous ne gardons pas les malades psychiatriques. Nous acceptons un
schizophrène traité mais s'il oublie son traitement nous le faisons
hopitaliser.
M : nous n'avons pas de psychologue attitré car ils sont très secrets et ne se livrent pas facilement.
Q : Dans quels pays trouvent on des communauté Emmaüs ?
D
: En Europe (Allemagne, Espagne, Italie, Grêce, Grande Bretagne), en
Afrique et aussi au Brésil. Au Burkina Fasso le travail est basé sur
l'agriculture. En Roumanie, ils travaillent dans des fast food, lavage
de voiture, ils font de l'élevage... Ils s'adaptent à l'économie du
pays.
Q : Avez vous assez de ramassage en France ?
D
: oui mais parfois nous refusons quand il y a trop de déchets.
Actuellement nous payons la déchetterie ce qui nous rend plus difficile.
M
: nous avons 6 camions qui tournent en permanence. Ils vont jusqu'à
Ganges, Lodève (nous y avons un magasin), Lunel. Fabrègues et Sète
dépendent de la communauté de Frontignan.
Q : avez vous des activités culturelles car ils sont loin de tout ?
M
: l'éloignement nous a aidé quand il y a eu des problèmes d'alcool. Ils
jouent au foot et font des matchs en dehors de la communauté, nous
organisons des sorties de pêche, des voyages, les amenons à l'opéra …
Comme tout le monde nous avons des difficultés avecles portables et
internet car ils s'isolent dans leur chambre !
Q : Comment s'est crée la communauté de St Aunès ?
D
: à l'occasion d'un camp de jeunes en 1975. Il a fallu trouver un
terrain, construire un bâtiment et enfin obtenir le label Emmaüs. Le
mieux c'est de partir d'un don !
X:
à Sète le Carmel a fermé. Une Association a vendu le terrain et
l'argent sert à d'autres monastères. On peut rêver qu'un jour …
M : nous sommes une association laïque et accueillons musulmans, catholiques et orthodoxes qui se respectent. No problème.
Q : d'autres associations peuvent elles accéder au statut OACAS ?
D : bien sûr selon les conditions d'accueil et surtout s'ilssont auto suffisants.
M : une loi vient d'être votée permettant à un compagnons d'obtenir ses papiers après 3 ans de travail à Emmaüs !
D
: nous n'avons pas de juriste attitré mais nous assurons une certaine
formation juridique pour leur apprendre leurs droits et leurs devoirs.
Au CA nous avons des personnes compétentes et faisons appel à un
avocat si nécessaire.
Q : Comment fonctionnent vos magasins ?
D
: chaque magasin a son compagnon responsable, ils font les prix,
disposent la marchandise à leur façon...Nous avons les charges
d'entreprise sauf la TVA. Cet argent nous sert à nourrir 100 personnes.
S'y ajoutent les dons, soit 0,5 % de notre chiffre d'affaire (faire les
dons à Emmaüs St Aunès et non Emmaüs France). Nous versons 3,8% de
notre chiffre d'affaire à Emmaüs France. Nous avons bouclé notre budget
cette année mais nous n'avons pas assez d'argent pour investir.
Il
y a 10 ans nous avons obtenu de Montpellier que les déchetteries nous
laissent gratuitement tout l'électro ménager. Nous les réparons pour la
revente ou les massifions sur place.
Nous
avons également quelques dons d'entreprises Orchestra, Auchan,
Leclerc (invendus, 2ème choix de machine à laver avec un choc par ex
que nous revendons avec 3 mois de garantie).
Q : vous êtes directeur depuis 20 ans ! C'est long !
D
: C'est une histoire d'amour ! J'ai été embauché après avoir écrit à
l'Abbé Pierre. Maintenant il faut que je pense à la relève...
M
: j'emmenais mes élèves visiter Emmaüs ainsi que les Conférences St
Vincent de Paul. Je suis rentrée au Ca puis devenue présidente.
Q : Combien êtes vous au CA ?
M
: nous sommes 13 et pas de compagnons. Les adjoints de direction sont
invités au CA. Je rencontre les compagnons tous les 15 jours.
Q : je crois que vous aidez les assistantes sociales ?
M : nous équipons des familles, apportons de l'aide alimentaire à Lodève...
Q : comment gérez vous la question de l'alcoolisme ?
D : ça va mieux, je ne suis plus appelé la nuit ! On peut boire un peu. C'esr très surveillé.
Il y a 2 méthodes : l'écoute, pourquoi tu bois et on peut t' aider ou la porte pour ceux qui ne veulent rien entendre.
Un
jour le Centre Leclerc nous a prévenu qu'ils avaient repéré nos
compagnons qui volaient ! Je leur ai promis de régler le problème dans
les 15 jours . J'ai réuni les compagnons, leur ai dit qu'on les
considérait comme des hommes debout, qu'on allait les aider. J'ai mis à
la porte quelques fortes têtes...15 jours plus tard Leclerc nous
offrait un cadeau incroyable : 50 % sur le carburant !
Nous
faisons des visites de propreté : quand nous trouvons une bouteille sur
une table nous savons que le compagnon demande à parler !
M
: Cette année nous avons osé leur offrir le champagne à Noël ! Il
fallait voir leur joie ! Nous allons recommencer cet été ave un apéro à
la sangria pas trop forte.
Le
repas de midi est en commun. Le soir et le WE ils sont libres de
choisir. Certain déjeunent en ¼ d'heure : nous essayons de les aider à
moins se presser. Nous leur avons envoyés une lettre pour les enjoindre
de lutter contre le gaspillage.
Q : ont ils perdu ce respect ou le découvrent ils ?
D
: c'est un manque d'affectif mais quand c'est corrigé il n'y a plus de
problèmes. Nous cherchons à leur faire trouver un sens à leur vie. La
communauté nous apprend beaucoup de choses...
M
: à Lyon ils un slogan sur leurs camions : « méfiez vous des gens
ordinaires ». Ils peuvent se révéler des gens extaordinaires.
D : ces hommes ne trichent pas : ils ont tout perdu, ils sont vrais. A partir de là on peut construire quelque chose.
Q : depuis quand accueillez vous des femmes ?
D : depuis 7 ou 8 ans. Nous avons 2 familles. Les femmes sont plus fortes que les hommes et s'en sortent mieux.
X
: raconte combien elle a été heureuse que l'Emmaüs de Béziers ait
accepté de lui vider l'appartement de son frère. Il était bien équipé.
D
: parfois nos camions font des ramassages multiples et ne peuvent pas
tout prendre car ils sont attendus ailleurs mais ils reviennent plus
tard.
Nous aimerions ouvrir un magasin de vente à Montpellier... A bon entendeur salut !
Ci joint les coordonnés de Dominique Boisseau : T : 06 80 64 91 89
boisseau@emmaus-montpellier.fr
Ethernaute : Vos reflexions nous intéressent.
Envoyez un
courriel à l'adresse suivante : aucafedelavie@free.fr.
Retour page Comptes rendus des débats.
Retour page d'accueil