Éthique et Politique
Débat à partir du témoignage de : Christine LAZERGES
(Président
de CNCDH :
Commision Nationale Consultative des Droits de l'Homme)

Le débat (10 03 2017 à la brasserie du Dôme) :
C R du
Témoignage :
Madame Christine Lazerges (CL)
Présidente de la CNCDH
(Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme), créée en
France en 1947 par René Cassin à l’époque où ce dernier participait à
la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. La
mission première de la CNCDH fut de veiller au respect par la France de
ses engagements internationaux en participant à l’ONU aux organes des
traités. C’est toujours l’une de ses missions.
Professeur à l'Université Montpellier I, puis Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Députée de la 3ème circonscription de l’Hérault (1997-2002).
Maire adjointe de Georges Frêche durant 3 mandats, en charge de la
prévention de la délinquance, de l’enfance, de la jeunesse et de
grandes manifestations culturelles. A ainsi organisé une conférence sur
le Dieu unique en 1983 avec des participants catholiques, protestants,
juifs et musulmans ce qui a conduit à la publication d'un livre sur les
religions du Livre.
La CNCDH, par ses avis, études ou
déclarations, exerce sa vigilance sur les libertés et droits
fondamentaux. Elle a adopté par exemple en 2016 et 2017 des avis
sévères sur l'état d'urgence, les migrants, les mineurs isolés
étrangers (tous publiés au journal officiel et sur son site).
« Quand
j'ai accepté l'invitation des Mouvements d'Action catholique je ne
pensais pas traiter un sujet d'une telle actualité ! »
Quelques idées générales
L'éthique concerne les mœurs dans tous les domaines, c'est la science
et la philosophie de la morale. Chacun construit sa vie autour de son
éthique personnelle. Cf l'article premier de la Déclaration universelle
des droits de l'homme : « Tous les êtres humains
naissent libres et égaux en dignité et en
droits » Chaque groupe se
construit une éthique. Éthique de ceux qui prennent en charge la
cité que l'on appelle politiques, politiciens ou politicards
selon ! Cela concerne la cité mais plus précisément la ville, le
département, la Région, l’État, l'Europe...La France se veut un Etat de
droit démocratique. L'état d'urgence abîme l'Etat de droit et fait
régresser les garanties des libertés. L'Etat de droit et la démocratie
n'autorisent pas un candidat à l'élection présidentielle à s’arroger
tous les droits : c'est dangereux. Paul Ricoeur disait :
« la structure même de l'éthique : c’est ce qui joint
ensemble l’estime de soi, la sollicitude pour l’autre et l’attente
d’une institution juste pour vivre avec les autres ». Autrement
dit quand on se lance en politique il faut un peu d'estime de soi mais
sans orgueil, de la sollicitude pour autrui, le désir de construire
plus d’égalité pour tous, l'envie de bâtir des institutions aussi
justes et saines que possible, respectueuses de la séparation des
pouvoirs. Le chrétien n'est pas différent des autres disait Paul
Ricoeur. L'éthique est une boussole qui donne un cap. Honnêteté,
probité sont indispensables. L'éthique nécessite de la transparence. Cf
Jospin : « Je dis ce que je fais et je fais ce que je dis ».
Évidemment les politiques n'arrivent pas à réaliser tous leurs projets
mais ils doivent expliquer pourquoi.
Ils doivent avoir une forte
résistance à la tentation : il y a donc des garanties à instaurer.
Pourquoi ne pas faire prêter serment aux politiques ? Il n'y a pas
suffisamment de déontologie en politique, et pourtant il y a bien un
déontologue à l’Assemblée nationale dont on ne perçoit pas bien les
missions…
Les médecins ont ce beau serment d'Hippocrate (difficile
à adapter aux élus), serment des avocats (Je jure comme avocat
d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité
et humanité). Il existe aussi un serment pour les magistrats.
En
résumé, il ne faut jamais occulter les effets pervers du pouvoir,
l'addiction est fréquente, davantage chez les hommes que les femmes qui
ont plus de centres d'intérêt. L'engagement politique est une mission
de service public. La démocratie doit inventer des barrières, des
mesures préventives et répressives.
Mesures préventives
Prévention étatique
En
1er lieu le non cumul des mandats ! La loi de 2004 l'a
entamé. Un vrai non-cumul sera acquis pour les parlementaires à partir
du 31 03 17 !
91% des français sont d'accord. Aujourd’hui 45%
des députés cumulent, 41% des sénateurs également ! Pourquoi
est-ce un danger? A cause du risque d'addiction au pouvoir et des
conflits d’intérêt. C'est aussi l'intérêt général des électeurs. Ainsi
le député-maire d'une moyenne commune peut être en conflit d'intérêt
lorsqu’il s’agit dans l’intérêt général du projet de suppression de sa
maternité ! La corruption peut advenir (et doit être prévenue),
surtout si vous restez trop longtemps au pouvoir dans la même commune,
circonscription ou encore région.
Importance de la transparence du
patrimoine des élus et des hauts fonctionnaires même les 64 membres de
la CNCDH y sont assujettis (bien qu'ils soient bénévoles). Hollande a
fait adopter 2 lois, l'une en 2013, l'autre en 2016 qui élargit cette
obligation. Beaucoup ont du mal à accepter ces obligations. Créée en
2013 la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a permis
des avancées considérables en matière d’éthique.
Prévention sociétale qui concerne de nombreuses associations.
. L'ONG Transparency international
(ONG) interpelle tous les candidats aux élections et les font s'engager
à s'opposer à la corruption. Par ex ils vérifient leur casier
judiciaire (texte en cours d’adoption sur ce sujet). Quand on a fauté
on a droit à être réhabilité au bout d’un certain temps, mais pour les
élus la meilleure des sanctions est l’inéligibilité au minimum pendant
quelques années. De nos jours il y a peu ou pas de contrôles en amont
sur la probité des candidats à un mandat. Cette ONG s'intéresse aussi
aux institutions, à l’indépendance du parquet par ex.
..Rôle des lanceurs d'alerte qui sont de bons indicateurs de l'éthique.
Mesures répressives
Un
certain nombre de textes du code pénal sont très répressifs, ils sont
l'expression des valeurs essentielles de la société à comparer à des
balises ou des cairns. En fait les sanctions prononcées sont souvent
très faibles, il y a même peu de condamnations ! Concernant les
emplois fictifs, ils sont poursuivis par le biais du détournement de
fonds publics (lorsqu’il s’agit d’argent public) ou d’abus de bien
social (lorsqu’il s’agit d’argent privé). Concernant François Fillon et
sa famille, l’instruction porte et sur des détournements de fonds
publics et sur des abus de bien social.
C'est une grosse erreur
que l'Assemblée nationale n'ait pas supprimé depuis longtemps les
attachés parlementaires familiaux ; il n’y a aujourd’hui
infraction pénale que si l’emploi est fictif.
En
conclusion : il n'y a pas assez de règles déontologiques,
juridiques, pas assez de poursuites, pas assez de condamnations, pas
assez d’éthique. Assemblée nationale et Sénat doivent de façon urgente
interdire les emplois familiaux et avoir de vrais déontologues aux
missions claires et précises. Notre démocratie verse vers le populisme,
c’est une pente très dangereuse.
DEBAT
Q : ne pourrait-il y avoir une peine d'inéligibilité ?
CL : c’est la meilleure des peines trop peu prononcée ! 2/3 des élus condamnés sont réélus !
Q : qu'en est-il d'un statut de l'élu ?
CL :
on pense surtout au devenir de l'élu à la fin de son mandat. Je suis
très réservée. Ce n'est pas une profession, c'est un mandat que d’être
élu. Il faut avoir un métier avant de se présenter. Il faut des codes
de déontologie suffisamment précis et une forte déontologie personnelle.
X : certains n'ont jamais travaillé dans une entreprise. Ils n'ont été qu'attachés parlementaires.
CL :
c'est vrai pour certains. Il faudrait peut-être un pré requis :
avoir une expérience professionnelle et un métier. J'ai obligé mes
assistants parlementaires à passer des concours. Il y a beaucoup de
médecins, d'avocats au Parlement...Beaucoup d'entrepreneurs mettent
leur entreprise au nom de leur femme ou d’un proche, le retour dans la
vie professionnelle n’est pas forcément difficile.
Q : les élus fautifs sont peu sanctionnés : n’y a-t-il pas une connivence des magistrats ?
CL:non,
je ne le pense pas du tout. Mais les procédures sont longues, beaucoup
trop longues, 5 à10 ans souvent. Au moment de la sanction définitive
les fautes paraissent moins lourdes comme atténuées par le temps.
Q
: ne faudrait-il pas interdire aux parlementaires d'employer des
membres de leur famille ? Jusqu'à quel degré de parenté ?
CL :
jusqu'au 4ème degré comme au Parlement européen. Mais les concubins
échappent à cette loi ! Les assemblées sont très coupables de ne
pas faire plus de contrôles. La liste des attachés parlementaires est
trop longtemps restée secrète. L’Assemblée nationale l’a publiée pour
la 1ère fois qu'il y a 15 jours !
Q
: à propos de la transparence et de la déclaration des revenus des
parlementaires, sur internet ou à la préfecture : ce n'est pas
simple.
CL : en effet il faut passer par la préfecture pour
les députés mais sans prendre de notes ! Attention aussi au
voyeurisme et au danger de tout jeter en pâture au public ! Les
déclarations sont contrôlées et on s’aperçoit que le patrimoine est
souvent sous-estimé !
Q : je suis inquiète de notre tolérance à tout ce qui se passe.
CL : Paul Ricoeur disait:
« Choisir le chef de l’Etat c’est se déterminer sur son
expérience, sa vision de l’avenir mais aussi sa probité et son sens du
bien commun ».
Beaucoup ont une éthique personnelle relâchée ! Les associations, l'éducation... ont un rôle à jouer.
X : une déléguée d'élèves avait triché, elle a été ré élu : ça fait mal
Q : que pensez-vous du cumul des engagements, ces élus qui deviennent consultants ?
CL :
aucun élu ne devrait être consultant. Cela relève du déontologue de
l'AN. On n'a pas le droit de créer son entreprise une fois élu.
Q : Comment voter ? Ils sont tous pourris !
CL :
77% des personnes interrogées pensent que les parlementaires sont
corrompus ! C'est faux ! 10% peut être comme partout
ailleurs. C'est déjà beaucoup. Il faut donc prendre des mesures
déontologiques. Il est scandaleux de vitupérer contre l'autorité
judiciaire comme ont pu le faire deux candidats à la présidence de la
République.
Q : que dire de Marine Le Pen ?
CL : elle bénéficie malheureusement encore en partie de son immunité de parlementaire européen.
Q : que dire de l'éthique des journalistes ? Le Journal du dimanche a publié 14 PV de la procédure.
CL :
c'est un problème ancien : il n'y a pas de secret de l'instruction
en réalité, ni de l'enquête. En effet les avocats peuvent donner les
PV, ils font ce qu'ils veulent des pièces de la procédure.
Q : comment se fait-il que les parlementaires votent les lois qui les concernent ? Par ex à propos de la corruption ?
CL : C’est incontournable, le Parlement vote la loi !
Q : nous citoyens devons être plus vigilants et pouvons- nous grouper en associations pour dénoncer certains abus.
CL : vous avez raison. Le Parquet ne classe pas quand c'est la Haute Autorité qui dénonce.
Q : beaucoup de ministres, de sénateurs se recyclent dans le métier d'avocat. Les députés ne seraient pas assez payés ?
CL :
il y a une différence entre les parlementaires de droite et de
gauche : à G ils considèrent qu'ils sont bien payés et à D,
habitués aux salaires des milieux d'affaires ils considèrent qu'ils
sont mal payés ! Pensez au salaire d'un prof de lycée!
X : les profs de fac au Parlement cumulent les 2 fonctions et les 2 salaires.
CL :
c'est vrai, c'est un privilège qui est consacré par le Conseil
constitutionnel et fondé sur l’indépendance des professeurs
d’université. Je me suis mise à mi-temps (pour l’université, j’ai
conservé mes cours de 3ème cycle et bien sûr une partie de mes
activités de recherche) lorsque j’étais députée.
Q : la CNDCH a remis récemment un avis sur les migrants. Qu'en est-il ?
CL :
nous avons en effet adopté plusieurs avis sur les migrants et nous
avons envoyé tout récemment une lettre au Premier ministre lui
signalant la situation déplorable des mineurs isolés étrangers
migrants. Partis de Calais, ils ont été hébergés dans des CAO pour
mineurs mais ils sont revenus à Calais pour passer en Angleterre.
Beaucoup sont au camp de Grande Synthe un camp aux normes du HCR, situé
entre la voie ferrée et l'autoroute et que le ministre de l’Intérieur
voulait fermer. Nous avons pu rencontrer Bernard Cazeneuve avec la
présidente de la Cimade (membre de la CNCDH). Quelques jours plus tard,
le camp n’était plus promis à la fermeture et les mesures de sécurité
nécessaires prises en charge par l’Etat.
J'ai été auditionnée hier
au Sénat à propos des mineurs isolés étrangers. Ils doivent être
confiés à l'ASE (Aide Sociale à l'Enfance). En fait, ils sont trop
souvent placés n'importe où et souvent dans des hôtels où ils sont
exposés à de nombreux risques (traite sexuelle, économique...).
Certains conseils conseil départementaux placent ces mineurs dans des
familles d'accueil qui préfèrent rapidement s'occuper de ces mineurs
étrangers isolés qui ont une farouche détermination à s’en sortir.
L’Etat ne prend en charge que les cinq premiers jours de mise à l’abri
sauf pour les mineurs venant de Calais.
Q : comment gérer le conflit entre éthique de conviction et éthique de responsabilité ?
CL :
Michel Rocard disait que les conflits entre éthique de conviction et
éthique de responsabilité sont quotidiens ! Le cumul de mandats
les favorise. Dans l’exemple de la maternité à supprimer, le maire est
pris entre son éthique de responsabilité de député qui lui demande de
supprimer la maternité dans l’intérêt public au niveau de l’Etat et
l'éthique de conviction de maire qui voulait la conserver pour diverses
raisons parfaitement compréhensibles !
Q : les accords de Dublin posent-ils des questions éthiques ?
CL : Oui, sans hésitation.
Les accords du Touquet
aussi, qui ont déplacé la frontière avec la Grande Bretagne le long des
côtes de la France. Il y avait sûrement une compensation
sous-jacente ! C'est dans le cadre de cet accord que la Grande
Bretagne devait accueillir 1 500 mineurs. Ils n'en ont accueillis que
800 !
Les accords de Dublin déclarent que les migrants
doivent déposer leur demande d'asile dans le pays où ils arrivent et
déposent leurs empreintes. A l'époque il n'y avait pas de crise
migratoire, c'était logique et simple. Avec la crise actuelle les
migrants entrent par la Grèce, l'Italie, les pays de l'Est. Les
migrants qui arrivent chez nous par ex devraient être renvoyés dans
leur pays d'entrée. C'est pourquoi nous avons donné des milliards aux
turcs pour qu'ils les gardent avec tous les risques que cela représente
pour les migrants ! Il faudrait conclure de nouveaux accords. La
France se comporte mal. Des migrants « dublinés » errent dans
Montpellier. L'UE n'est pas en situation conclure de nouveaux
accords !
Q : les noms varient: migrant, réfugié, immigré, exilé, futur européen... Quelle différence ?
CL :
le réfugié a obtenu le droit d'asile, Exilé parle plus que Migrant,
Expatrié c'est chic ! J'ai été coopérante dans le public, dans le
privé on est expatrié!
Q :
l'association de la jeune fille protestante a un foyer de jeunes
travailleurs. Nous avons accueilli 7 mineurs isolés, les avons envoyés
à l'école, les avons mis en formation... Les entrepreneurs les
recherchent !
Q : il y a une éthique différente entre les pays du Nord et la France.
CL :
la France est trop laxiste et trop de français souffrent d'un manque
d'éthique individuelle. Depuis 2013 une régulation étatique se met en
place. Il faut quelques scandales de temps en temps pour avancer !
Q
: Eva Joly en mission dans son pays s'est vu refuser le remboursement
de sa note de taxi. Elle avait pris de mauvaises habitudes en France.
CL : Jospin a interdit l'enveloppe complémentaire dont les ministères disposaient.
Le
débat se termine sur quelques considérations sur les dangers de
l'argent roi, sur l'éducation des enfants qui privilégie leurs droits
sur leurs devoirs...
CL conclut en disant que l'éthique en politique n'est pas plus difficile que dans la vie de tous les jours !
Elle est remerciée par des applaudissements fournis.
Ethernaute : Vos reflexions nous
intéressent. Envoyez un
courriel à l'adresse suivante : aucafedelavie@free.fr.
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