HOMOSEXUALITÉ : ET SI ON S'EN PARLAIT ?
Appel au Débat
L’homosexualité est diabolisée
depuis des siècles. Elle reste un sujet tabou dans la société et dans les trois
religions monothéistes.
L’homosexualité détermine un
ensemble d’attitudes, de sentiments, de préférences, de valorisations
affectives qui engagent profondément l’individu, comme c’est le cas chez les
hétérosexuels.
L’homosexualité touche à
l’intime des individus, à leur identité, à leur dignité, à leur
« être ».
Cette orientation sexuelle
est source de peur, d’incompréhension, d’inquiétude, d’angoisse, de fragilité, souvent
de souffrance.
Elle donne lieu à des
manifestations, avouées ou non, de discrimination, d’exclusion, parfois de
violence.
Cette homophobie relève de la
peur, de la haine, de l’aversion ou de la désapprobation.
Aujourd'hui encore des femmes
et des hommes se sentent contraints de cacher leur homosexualité,
mais beaucoup mènent des combats associatifs pour être reconnus
et obtenir les mêmes droits que les hétérosexuels. Et si on en parlait ?
Le débat
Le
témoignage de Hussein
Bourgi
Le
dictionnaire dit que l’homosexualité est une attirance physique,
psychologique et sexuelle pour une personne du même sexe.
Robert
Badinter la dépénalise en 1982. 80 pays la punissent encore et 6 pays
musulmans la punissent par la peine de mort. En 1990 l’OMS l’a retirée
des maladies mentales.
Plusieurs personnes ont trouvé que c’était une idée saugrenue que des catholiques organisent ce débat !
L’homosexualité, « ce douloureux tabou » (Mennie Grégoire en 1970)
L’homosexualité
(HS) touche à l’intime, à la dignité, à l’identité, l’émotionnel. C’est
un tabou hérité des 3 religions monothéistes. Nous évoluons dans une
société hétérosexuelle. C’est la norme exclusive. Dans l’antiquité
l’homosexualité était reconnue. Par contre au Moyen Age l’homosexualité
menait au bûcher !
L’homosexuel face à la solitude. Un jeune ou un moins jeune qui
découvre son HS. a un sentiment de culpabilité. Il peut être isolé par
manque de référents positifs. Il a peur de décevoir sa famille : les
parents font des projets pour leurs enfants (étude, métiers, mariage,
enfants …) dans lesquels l’hypothèse de l’HS n’existe pas. Cf. les
contes qui ne laissent pas d’autres possibilités de conjugalité. Il est
plus confortable d’appartenir à un groupe majoritaire. Il faut entrer
dans le modèle majoritaire, ne pas s’en distinguer.
Certains
vont donc refouler leur HS ce qui va engendrer mal être, anorexie,
boulimie, repli sur soi, dépression. Le dialogue est évité, ils vont
tricher, s’éloigner de la famille, mettre un paravent sur leur vie
privée, vivre dans le mensonge pour justifier l’absence de l’ami (e).
On s’invente un ou une fiancé(e) improbable (hôtesse de l’air,
militaire …), ou on demande à un ou une ami(e) de jouer le rôle du ou
de la fiancé(e). Parfois un collègue jouera le rôle de la fiancée… Pour
certains leur HS reste un secret familial. Certains s’excluent des
fêtes familiales pour ne pas mentir.
Certains
jeunes témoignent de violences subies au lycée. Ils n’osent pas en
parler aux enseignants : « mes parents l’auraient su ! » Parfois c’est
un vrai harcèlement moral qui peut aller jusqu’au racket et même à une
tentative de suicide, seule issue possible !
J’ai
été contacté par un proviseur de lycée pour venir en urgence parler
avec la communauté enseignante, car un élève avait tenté de se
suicider. Ce jeune ne voulait pas voir ses parents, parce qu’ils ne le
comprenaient pas. En tête à tête, il m’avoue qu’il est harcelé. Après
un long entretien j’ai pu découvrir que ce jeune était harcelé et
racketté à cause de son homosexualité. Il n’avait pas osé demander de
l’aide. Deux tabous se sont superposés : le racket et l’homosexualité.
Nous avons mis en place au lycée des groupes de paroles pour ados.
En
France, la première cause de mortalité des jeunes est l’accident
routier. La deuxième cause est le suicide souvent à cause de la
difficulté de dire son homosexualité. Des familles accueillent
l’homosexualité de leur enfant, mais il ne faut rien en dire aux grands
parents, aux oncles, tantes …
L’homosexualité
et la Foi, (être homo et catho !). Certains HS ressentant une
condamnation religieuse vont rompre avec l’Eglise, arrêter la pratique
religieuse. Ils se sentent stigmatisés dans l’Eglise. Ils gardent
pourtant une foi à fleur de peau et ne demandent qu’à renouer avec leur
religion. Pourquoi nier ? Par facilité, pour éviter les critiques…
Le
Vatican invite à accueillir les homosexuels tout en condamnant l’HS.
Par l’interdiction des pratiques homosexuelles, en effet il n’y a plus
d’HS. Certains trouvent des associations comme « David et Jonathan » ou
le « groupe Béthanie » où ils sont accueillis. Quelques équipes
pastorales accueillent les blessés de la vie.
La
discussion
X : Quel est le rôle de votre association ?
HB
: Elle a 10 ans. Il faut remonter en1998, l’année de la loi du PACS. A
cette époque j’étais en 1ère année de droit et le prof nous a fait
discuter sur un arrêt concernant Air France : un billet gratuit pour le
conjoint était refusé au concubin homosexuel. La cour de cassation a
donné raison à Air France, et débouté le pilote car la décision était
fondée en droit. Il y eut alors intervention de Aides au moment de la
loi sur le Pacs en proposant des solutions positives pour les problèmes
de baux et de succession. A cette époque beaucoup mouraient du sida
et ces problèmes se posaient de manière douloureuse. Avec des amis,
nous avons découvert le grand nombre d’HS inquiets et nous nous sommes
lancés dans la bataille en faisant de la prévention pour sensibiliser
les parents, les déculpabiliser, en donnant un message de tolérance…
X
: je voudrais évoquer avec vous les rapports entre l’homosexualité et
l’Eglise : j’ai ici quelques documents de l’Eglise. En 1986 parait une
« lettre aux évêques » par rapport à la pastorale des homosexuels,
recadrage d’une lettre bienveillante de 1975. Il est question d’HS dans
la Genèse… Sodome et Gomorrhe…
Jacques,
l’animateur, demande de laisser au magistère ses positions…qu’on
revienne à la pastorale : c’est la vie qui nous intéresse ici. (Il
signale qu'on peut retrouver toutes ces références bibliques dans le
document de l'ACI "Homosexualités…. Et si on s'en parlait – "Le
Courrier juin-juillet- août 2008) L’Evangile ne condamne pas
l’homosexualité !
X : L’Islam a des positions doctrinales nettes : où sont elles fondées ? Dans le Coran ?
HB
: L’Islam condamne à la peine de mort (pendaison, sabre, lapidation
…selon le pays). J’ai été élevé chez les maristes au Sénégal, pays
majoritairement musulman et démocratique. Ici les musulmans sont
originaires d’Afrique du Nord. Beaucoup ont des discours homophobes.
Mais lorsqu’on les questionne sur le Coran et les sourates qui
condamnent l’homosexualité, ils sont incapables de les citer. Ils ne
connaissent pas le Coran. Ils ne font que reproduirent un discours. Il
s’agit davantage d’une réprobation sociale que religieuse. La religion
sert de paravent. Parmi eux, certains boivent de l’alcool, fument du
shit, et l’homosexualité est une faute considérée comme plus grave.
Chez eux il y a un autre tabou : la femme doit être vierge jusqu’au
mariage.
JM
: À la Communion Béthanie
nous vivons le service, la prière, l’accueil, l’échange. Interpellés
sur le « transgenre » nous n’avons pas voulu réagir. Nous ne
discuterons pas sur des idées. Le discours sur l’HS est réducteur. Je
ne veux pas discuter de théorie, mais rencontrer et écouter les gens.
Je suis l’ami et le disciple de Jésus de Nazareth qui a rencontré des
personnes. Le chemin de Jésus a été d’être une personne. Il nous faut
rentrer dans la contemplation du mystère de la personne. Nous y
découvrons des horizons insoupçonnés. Quelqu’un disait : « il y a 2
manières de regarder une personne : de l’extérieur avec le risque de la
juger ou de l’intérieur avec un regard contemplatif sans jugement. A
Béthanie on ne parle pas d’homosexualité mais d’homosensible. La
personne homosensible est d’une grande délicatesse, d’une grande
générosité. L’Evangile est un livre vivant de personnes : j’y nourris
ma Foi. L’Eglise institutionnelle se prive d’un cadeau quand elle
rejette l’HS.
Voici
ce que j’ai vécu à Noël 2007. Juste avant la messe de Noël une personne
de ma famille me sachant homosexuel me dit : « j’espère que tu ne va
pas communier ce soir… ». Je pleure dans mon cœur avec tous mes amis
ainsi exclus. L’Evangile du jour dit : « il n’y avait pas de place pour
eux dans la salle commune » ! Quelqu’un vient me dire qu’on a besoin de
quelqu’un pour donner la communion ! Je dis oui et jette un regard
inquiet…Le Dieu des chrétiens est du côté du printemps : dans la file
de communion une jeune maman arrive avec un enfant trisomique de 2/3
ans pour que je le bénisse : beau cadeau du Christ ! Je suis présent
dans le plus fragile, rien ni personne ne m’empêchera d’être près du
plus pauvre.
X
: J’ai fait un séjour en milieu psychiatrique : les homosexuels étaient
les plus nombreux à aller à l’église. Autre lieu d’exclusion : le don
du sang (c’est à cause du sida NDLR).
X : Accueillez vous les couples à Béthanie ?
JM
: Il n’y a aucun tri. Nous cheminons avec eux sans les juger. Oui le
Christ est à côté de ceux que l’on rejette. Il ne faut jamais enfermer
quelqu’un dans ce que nous savons de lui. L’histoire des personnes
homosexuelle, c’est trop complexe. Il faut d’abord accueillir tout le
monde, même les couples homosexuels, et ensuite on voit. Nous
découvrons peu à peu que chacun est une histoire sacrée. On dit que la
personne homosexuelle est immature : c’est faux. Qui peut dire qu’il
est mature ? Le seul mature est le Christ. La maturité est un chemin.
On dit qu’ils sont égoïstes. Je rencontre des couples extraordinaires,
généreux, accueillants…Jésus n’a-t-il pas dit : « je suis venu pour que
les hommes aient la vie en abondance… »
X : N’y a-t-il pas un effet de mode chez les ados ?
HB
: non mais il y a davantage d’homosexuels qui ne se cachent pas. De
nombreuses enquêtes disent qu’on est plus tolérant à l’HS. Il faut se
méfier des sondages et des questions posées. En effet si vous posez la
question : accepteriez-vous que votre fils soit homosexuel ? Alors le
pourcentage de favorable à l’HS diminue. On ne répond plus par
indifférence. Pensez que son fils pourrait être HS quel choc. Les gens
ne sont plus d’accord. C’est beaucoup plus confortable d’appartenir à
une majorité. Personne ne cherche l’HS à cause d’un effet de mode. Le
pourcentage des HS dans nos sociétés ne varie pas.
X : Ce sujet est il abordé par les enseignants ?
HB
: je vous répondrais par rapport au cinéma : autrefois l’homosexuel
était diabolique, le méchant. Puis on a vu Michel Serrault dans « la
Cage aux Folles ». Il y a eu ensuite les personnes emportées par le
Sida. Depuis les années 1990 l’HS est banalisée : l’homosexuel vit
comme tout le monde.
Dans
la littérature des personnes comme Rimbaud, Verlaine ou Gide ne sont
pas décrites comme homosexuelles, alors que d’autres sont reconnues
comme amateurs de femmes !
Dans
l’Histoire, Cambacérès a facilité par sa présence au gouvernement la
dépénalisation de l’HS en 1804. On a évoqué dans cette évolution des
mœurs, l’influence du siècle des Lumières. De fait c’est que parmi les
rédacteurs de ce code Cambacérès qui était un homosexuel s’est
débrouillé pour que l’on ne parle pas d’HS. Pour les grands
personnages, il ne faut pas les ternir et avouer leur HS.
On
n’évoque pas l’HS d’éminents conquérants ou résistants…Il y a une
autocensure. Il ne faut pas réduire quelqu’un à sa seule sexualité,
l’homme est plus complexe.
JM
: A l’occasion d’un incident dans un lycée de la ville (2 jeunes
garçons se sont embrassés dans la cour qui a conduit à l’exclusion de
l’un d’eux pendant 3 jours) un débat a été proposé. L’association ANGEL a été invitée pour une table ronde
remarquable. Le but de cette association c’est l’accueil, le soutien,
l’accompagnement, des jeunes homosexuels dans un esprit de
convivialité. On ne peut pas vivre en 2009 comme ce garçon qui s’est
suicidé pour cause d’HS.
HB : ces questions ne sont pas « politiquement correctes ».
X : que pensez vous de ceux qui voyagent : homo, hétéro, bisexuels… ?
HB
: je me refuse de juger l’autre. Je vais vous raconter un cas. Un Mr à
l’âge de la retraite, des hauts cantons de l’Hérault nous demande de le
rencontrer dans un lieu neutre pour ne pas qu’on sache qu’il est
homosexuel. Viticulteur il vivait chez ses parents et s’est
entièrement focalisé sur son travail, n’ayant aucune vie affective.
Ensuite il a cédé à l’environnement et a fait un mariage arrangé. Il
n’a jamais partagé grand-chose avec sa femme et depuis qu’il est à la
retraite il va mal jusqu’à lever sa main sur .elle. Il venait avouer
son H. : « j’ai peur de la tuer ! Elle représente tout ce qu’on m’a
obligé à faire ! ». Il a fini par le dire à sa femme. Ils continuent à
vivre sous le même toit mais il a rencontré un autre homme de son âge,
il est enfin heureux…
Il
y a des gens qui essaient de se convaincre qu’ils sont comme tout le
monde et se marient. Puis ça ne marche pas et ils vivent avec des
souffrances et une vie cachée avec des expériences à l’étranger. S’ils
ont des enfants, il faut qu’ils en parlent ouvertement et puissent
accepter et dire que leur père vit avec un homme.
X : j’ai des amis bisexuels qui se cherchent.
X
: Un Monsieur de 65 ans, homosensible, raconte sa vie difficile depuis
l’enfance, dans un milieu catho en passant par l’école catholique. A
fait une dépression et a été soigné par des tranquillisants. A fait des
études de pharmacie, son service militaire à Tahiti, rapatrié sanitaire
et soigné à l’hôpital Lavéran à Marseille, pour conclure : « J’ai
toujours essayé de fuir, mais on a beau aller en Australie, on emmène
toujours ses problèmes avec soi. L’église institutionnelle ne m’a pas
aidé, c’est le Christ de Gethsémani qui m’a aidé. S’il n’y avait que
des curés dans l’église, il y a longtemps que l’église n’existerait
plus ».
X : la discrimination est elle la même entre les couples d’hommes et de femmes ?
HB
: la discrimination est immédiate pour les hommes homo. C’est différent
pour les femmes : Les hommes hétéros regardent les films pornos où l’on
voit souvent 2 femmes ensemble. Les hommes fantasment et désirent faire
l’amour à 2 femmes. Ils font des commentaires sur le physique de la
femme ce qui ne plait pas aux femmes ! Dans un 2ème temps l’homme va
dénigrer la femme !
X
: je vis en couple avec un garçon depuis 37 ans et n’ai ressenti aucune
discrimination dans mon village dont j’ai même été le maire. Je n’ai
jamais fait de prosélytisme, je restais discret. La discrimination
existe mais n’est pas obligatoire.
X : La gay pride, c’est dévalorisant.
HB
: je suis un peu d’accord. D’où vient cette manifestation, cavalcade ?
Techno parade ? De San Francisco en 1969. Il y avait un bar pour homos
à proximité de prostituées. La police faisait des descentes chez les
uns et les autres. Ils ont eu un mini mai 68 en juin 69 ! Les
prostituées se sont révoltées contre la police et pendant que les
policiers contrôlaient les homos elles sont allées chercher du renfort
et ont canardé les policiers à la sortie du bar pour homos,
affrontements qui ont duré une semaine. En 1971 en France des militants
homos ont créé des groupes anarchisants revendiquant d’être reconnus,
se mêlant à la manifestation des syndicats le 1er mai avec des slogans
anecdotiques. En 1981 Gisèle Halimi du MLF a invité les candidats à
l’élection présidentielle et a posé à Mitterrand la question : « allez
vous dépénaliser l’HS ? » Pris de court le futur Président s’engage
s’il est élu, de dépénaliser l’HS, ce qu’il a fait dès le début de son
septennat. Pour fêter la dépénalisation de l’HS par Badinter en 1982
une gay-pride est organisée. Au grand étonnement des organisateurs dix
mille personnes participent à la fête. C’est devenu une fête, un
carnaval bon enfant. En 1990, AIDES, David et Jonathan et Père
Benedetto, amènent à un retour au message revendicatif, souvent déguisé
de mauvais goût.
La montre indiquant 22h45, la séance est levée.
Bibliographie sur l'homosexualité :
- "L'homosexualité dans le Proche-Orient ancien et la Bible", de Thomas Rômer et Loyse Bonjour chez Labor et Fides.
- "Ce que la Bible dit vraiment de l'homosexualité" de Daniel Helminiak, chez Les empêcheurs de penser en rond.
-
"Les homosexuels ont-ils une âme ?", de l'association "David &
Jonathan" : livre tout récent fait de nombreux témoignages, chez
L'Harmattan (24€)
-
"Orientation homosexuelle et vie chrétienne", une brochure remarquable,
de juin 2008, faite par un groupe de chrétiens nantais : (peut être
commandée à David & Jonathan Paris - 5€)
- « Les chrétiens et l’homosexualité », de Claire Lesegretain Ed Presse de la Renaissance.
- « L’homoparentalité au masculin, le désir d’enfant contre l’ordre social », de Emmanuel Gratton. Ed : PUF
- « L’amour du semblable. Question sur l’homosexualité », de Jean Bergeret et Xavier Lacroix. Ed : CERF
- « Mon fils est homosexuel ! Comment Réagir ? Comment l’accompagner ?, de Xavier Thévenot Ed : Saint-Augustin, Saint-Maurice.
-
« La confusion des genres. Réponses à certaines demandes homosexuelles
sur le mariage et l’adoption », de Xavier Lacroix Ed Bayard.
Le débat continue :
Aux Editions de l'Harmattan un livre qui s'intitule Mauvais Genre.
Voici ce qu'on peut lire sur la quatrième de couverture :
A
partir de certains épisodes de son enfance et de son adolescence, Paula
Dumont traite de la construction de sa personnalité et de son
homosexualité. Elle analyse les difficultés qu’elle a rencontrées au
cours de la traversée du désert qu’a été sa jeunesse : absence totale
de repères due à l’invisibilité des autres lesbiennes, rejet familal,
désarroi et solitude. Elle évoque également le réconfort apporté par un
de ses professeurs de lycée et les lectures qu’il lui a conseillées.
Loin de fournir des réponses définitives aux questions soulevées par un
tel sujet, Mauvais genre ouvre des pistes de réflexion et questionne la
double oppression subie par les lesbiennes en tant que femmes et
homosexuelles.
Professeure de Lettres, Paula Dumont
vit dans un village proche de Montpellier et se consacre actuellement à
l’écriture. Elle milite dans une association qui lutte contre
l’homophobie.
Contact presse
Marie-Anne HELLIAN– Service de Presse - Sciences Humaines
Editions L’Harmattan - 7, rue de l’École Polytechnique 75005 Paris Tél : 01 40 46 79 23/Fax : 01 43 25 82 03 /
marie-anne.hellian@harmattan.fr
Extrait
J’ai
mauvais genre. Bien qu’étant une femme, j’ai les cheveux courts, comme
les messieurs qui ne veulent pas se faire remarquer. En outre, je
m’obstine à m’habiller de telle manière qu’on me prend souvent pour un
homme. Et ne croyez surtout pas que ce soit manque de coquetterie et
que je choisisse mes vêtements au hasard. Mon apparence m’a demandé,
tout au long de mon existence, beaucoup d’efforts, de recherches
vestimentaires et de sacrifices. Car n’a pas l’air mec qui veut. La
graisse s’installant dans des parties du corps différentes suivant
qu’on est né fille ou garçon, il faut, pour avoir l’air androgyne,
rester mince, s’astreindre en permanence à des régimes draconiens,
prendre de l’exercice deux heures par jour et user, en matière
d’habillement, de stratagèmes pour dissimuler tout ce que la silhouette
pourrait trahir.
Et non seulement j’ai mauvais genre, mais encore
j’aggrave mon cas en ayant de mauvaises mœurs. Je ne me suis jamais
éprise que de femmes et tout compte fait, même si ma jeunesse n’a pas
été un parterre de roses, je ne m’en porte pas plus mal quand je vois
le sort que bien des hommes réservent à leurs compagnes.
C’est
assez dire que mon genre et mes mœurs posent davantage problème aux
autres qu’à moi. Je suis une homo pure et douce, je m’en cache le moins
possible, je l’ai toujours confié à qui voulait l’entendre et surtout à
qui pouvait le supporter sans douleur excessive. En dernier recours, je
me préfère toujours aux autres et je n’ai jamais eu envie de changer
quoi que ce soit ni à mon apparence ni à mes attirances. Mais je tiens
à préciser aussi que si je suis un garçon manqué, je n’ai rien d’une
transsexuelle. Sous mes vêtements virils, il y a un corps de femme
auquel rien ne manque et qui m’a procuré bien des joies. Je souhaite le
conserver dans son intégralité et quand j’apprends que des butchs se
font amputer des seins, j’ai le même frisson d’horreur que quand je lis
le récit d’excisions et d’infibulations.
J’ai vécu assez longtemps
pour savoir que j’appartiens à une certaine catégorie de femmes qui ne
sont originales qu’en apparence. Quand je me rends dans une assemblée
de deux cents goudous, je repère mes semblables au premier coup d’œil.
Sans nous être concertées, nous arborons toutes la même panoplie, ce
qui est la preuve que nous avons subi un conditionnement identique.
S’il n’y a pas lieu de s’excuser, il n’y a pas davantage matière à
pavoiser. C’est pourquoi les homosexuels qui croient appartenir à une
essence supérieure me font sourire de pitié, au même titre que les
hétéros qui se flattent de leur normalité. Toutes et tous formatés,
sans possibilité d’échappatoire, voilà notre lot à tous, homos et
hétéros, et c’est sur mon conditionnement que je me suis penchée pour
écrire les pages qui suivent.
Car maintenant que j’arrive à l’âge
où de nombreux êtres humains ont besoin de faire retour sur leur passé,
j’éprouve l’envie irrépressible de revenir sur ma jeunesse et de
comprendre ce qui m’a faite ce que je suis. Qu’on n’aille pas, à partir
de mon cas particulier, tirer des conclusions aussi hâtives que
générales. Pour avoir tout au long de mon existence fréquenté beaucoup
de gays et de lesbiennes, je suis persuadée qu’il y a autant
d’homosexualités que d’homosexuels et autant d’hétérosexualités que
d’hétérosexuels. Simplement, j’ai voulu chercher ma vérité pour être en
paix avec moi-même. De ce retour aux sources, je reviens transformée.
C’était donc un voyage nécessaire et essentiel pour moi.
Tous les
êtres humains gagneraient à effectuer semblable pèlerinage, surtout
ceux qui croient obéir aux lois naturelles et qui sont imbus de leur
supériorité sur les marginaux. S’il y a un quelconque avantage à être
ce que je suis, il réside dans l’obligation de se remettre constamment
en question et d’admettre que rien ne va de soi pour personne. A
soixante ans révolus, je regarde mes cicatrices comme autant
d’acquisitions, autant de sujets de réflexion, autant de richesses. Et
je suis certaine d’avoir encore devant moi de nombreuses terres à
défricher si la Grande Déesse veut bien me prêter vie.
Ethernaute : Vos reflexions nous
intéressent. Envoyez un
courriel à l'adresse suivante : aucafedelavie@free.fr.
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