Jeunes handicapés psychiques : quelle place dans notre société ?

Témoignages des responsables du jardin de Bentenac : Gisèle  et Jean François Costes.


Appel au débat :

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Le handicap psychique (dépression, schizophrénie, maniaco-dépression, autisme …) frappe de nombreux enfants et bouleverse des familles. Dans notre société du bien être, du paraître, de la consommation et de l’individualisme, nous écouterons l’expérience des témoins qui gèrent un lieu de vie et nous partagerons nos interrogations :
- Comment avons nous réagi à l’annonce d’un tel handicap dans notre famille, chez des amis et comment l’enfant est-il accueilli (parents, enfants)?
- Quel regard, les amis, les voisins, les gens en général portent-ils sur l’enfant handicapé, sa famille ?
- Comment la famille, la société prennent-elles en charge l’enfant handicapé psychique ?
- Où en sont les recherches sur ces maladies et que peut-on en attendre ?
- Croyants ou incroyants, nous sommes tous révoltés devant la souffrance, la maladie et le mal. A quelles questions sommes nous renvoyés ?

Le Débat (22 mai 2007)

Jean François Costes (JFC) : nous ne parlerons pas des handicapés psychiques en général mais d'une façon particulière : comment les accueillons–nous ? Quelle place proposer à des jeunes atteints de troubles psychiques ?
Nous avons créé, il y a 25 ans à Bentenac (commune de Mauguio), dans un cadre privilégié,  un lieu de vie à caractère familial, pour des jeunes confiés par l'aide sociale à l'enfance qui avaient des troubles caractériels graves et troubles associés.
Puis autour de cette structure est né le jardin de Bentenac où l'on accueille des jeunes en échec pour le travail après avoir été en échec scolaire. Ensuite ont été créés les ateliers de Bentenac ouverts à des jeunes de 13 à 18 ans.
Vingt cinq jeunes viennent par roulement chaque semaine. C'est une singularité de Bentenac.handicap psy
Nous accueillons des jeunes en difficulté dans la vie familiale, mais ce n'est pas l'accueil qui nous fait exister mais le couple fait exister l'accueil, en articulation avec un espace professionnel.
Nous ne devons pas résumer notre vie à l'accueil et aux ateliers : on travaille ensemble mais il y a eu une vie avant et il y aura une vie après l'accueil des jeunes.
Nous avons une exploitation agricole et des ateliers artisanaux : des adultes qui travaillent accueillent des jeunes en difficulté : il y a couplage de l'accueil et d'un travail spécialisé.
Ce sont des jeunes divers : depuis certains qui ont des troubles graves de la personnalité jusqu'à des jeunes qui vont au collège, dans un but de prévenir l'échec scolaire. Il y a aussi des stagiaires en entreprise   la mixité du public permet de faire un bout de chemin ensemble, pour que chacun construise sa place.
L'accueil se fait à partir de ce que les adultes vivent là et de la façon dont chacun construit sa place. Les endroits sont très singularisés : chaque lieu "est" un visage. Dans la construction de mon itinéraire, je peux soutenir l'itinéraire d'un jeune.
Chaque jeune sera accueilli en fonction de ses besoins et de ses objectifs : une demi-journée par semaine jusqu'à plusieurs journées, pour être au plus près de ses besoins et de ce qui peut lui être profitable. 
Gisèle Costes (GC) : nous sommes éducateurs spécialisés avec une formation en psychiatrie de l'enfant (travail en pédopsychiatrie) où je travaille à mi-temps. Nous avons eu un itinéraire de dix ans avant l'accueil. Au début de notre mariage nous avons eu une expérience dans une institution avec des filles, cas sociaux, cette expérience a orienté notre vie. Notre couple a connu un problème douloureux de stérilité, nous avons reculé devant les démarches pour une adoption. Jean François avait toujours voulu faire de l'accueil, pour moi la décision a été difficile. Le premier enfant accueilli a été une fillette de 5 ans martyrisée. Les accueils sont toujours pour de longs temps : au moins deux ans et généralement davantage : cinq ou six ans. Quand un enfant arrive vers 10 ans, cela marque notre vie. 
JFC : quand il y a des enfants, comment faire sa place à un nouvel accueilli ? : Question  que l'on ne peut pas intellectualiser.
L'accueil, l'itinéraire professionnel nous a fait découvrir le côté existentiel de la foi. Ce que la foi nous a fait découvrir, c'est que la foi ne concerne pas dieu mais l'homme. Il faut faire attention à ce que l'on croit car cela nous construit. La question de la foi est centrale : comment s'ouvrir à l'autre pour lui permettre de faire son chemin.
GC : celui que l'on accueille vient me toucher dans mes représentations. GC donne un exemple vécu avec un enfant qui vit dans le désordre, a laissé moisir son lit… on éprouve de la colère ou du dégoût, comment sublimer ça, redonner à l'enfant sa dignité d'homme en lavant son linge. Trouver du sens et ne pas réduire un enfant à "son foutoir".
- Quels sont les enfants que vous accueillez ? Quels enfants cohabitent ?
GC : cinq enfants sont accueillis dans le lieu de vie permanent : 14, 15, 18, 19,20 ans. Une fille autiste, un garçon schizophrène et des troubles moins importants. Il y a 25% d'autistes, des troubles du comportement, des carences affectives précoces avec troubles d'attachement.
Pour l'accueil de jour : 24 jeunes par semaine, 12 à 14 par jour. avec un encadrement de 14 adultes sur le lieu.
- J'exprime émotion et admiration. Je peux témoigner que des jeunes les plus abîmés ont évolué au cours des années, ils sont transformés même s'ils restent handicapés. Amour et dignité, je n'ai jamais vu ça ailleurs.
JFC : dans la vie quotidienne, il faut puiser ou s'épuiser. Qu'est-ce que cela construit en nous ? Ce serait invivable si l'on était toujours bousculé. L'accueil est un carrefour: des adultes viennent travailler là en y jouant quelque chose de leur vie
- Est-ce que ce n'est pas ça qui est constitutif d'une équipe : des gens en résonance du choix des valeurs ? Une équipe qui peut partager ?
- Quel est votre statut juridique ?
JFC : pour le lieu de vie il y a agrément du conseil général. Mais pour l'accueil de jour pas d'agrément depuis 10 ans, reporté d'année en année. L'administration voyait beaucoup de dangers mais petit à petit, elle se rend compte que l'originalité du dispositif n'est pas par réaction à ce qui se fait ailleurs mais parce que cela répond à des besoins précis des jeunes. Il y a une découverte progressive des choses.
- Les ateliers, pourquoi les avoir choisis ? Comment ? Quelle évaluation ?
JFC : l'ouverture de l'atelier de menuiserie a eu lieu car on a rencontré un menuisier. Pour l'exploitation agricole c'est la rencontre avec un jeune en échec pour accéder au monde du travail. L'articulation entre les deux permet des effets intéressants, elle conforte l'inscription institutionnelle du jeune.
Quand les familles nous les confient, elles sont soulagées car elles ne sont  plus seules. Certains jeunes ont regagné le monde du travail.
- Les jeunes qui sont permanents, quel est leur avenir ? Problème de tout parent d'enfant handicapé…
GC : ce n'est pas le lieu de vie qui a constitué les ateliers, ce sont les rencontres qui ont fait que les choses se sont mises en place.
Les enfants que nous avons ont des familles : nous faisons tout pour soutenir l'insertion dans la famille, si c'est possible.
JFC : même s'il a une famille, l'avenir de l'enfant se pose.
GC : certains enfants partent dans la rupture : c'est difficile à vivre. On a des échos quand ça va très bien ou très mal. Le conflit n'est pas forcément la rupture. Comment accompagner chacun vers quelque chose, le plus adapté possible ? Une enfant que nous avons eue 15 ans nous continuons à la suivre pour qu'elle ait un espace adulte adapté où elle puisse vivre : maison d'accueil spécialisée, CAT, foyer d'hébergement.
JFC : un enfant handicapé dans une institution a un "chez lui", sur le mode de la copropriété plus que sur celui de l'internat.
- Le CAT (centre d'aide par le travail) cherche la rentabilité, un jeune trop lent est orienté vers un atelier occupationnel.
JFC : il y aurait beaucoup à repenser sur les ateliers occupationnels. Il n'y a pas d'exigence, on essaie de proposer des espaces d'occupation sans exigence de productivité.
Il ne faut pas que le travail mette le jeune en échec à cause du handicap.handicap psy 2
JFC : il faut trouver sa place dans le travail selon son potentiel.
- Pour les finances, comment se vit l'accueil de jour ?
JFC : c'est le demandeur qui nous paie : la famille avec l'allocation éducation spéciale, l'institution, éventuellement le conseil général.
- Pour l'aspect social, il se passe quelque chose entre les jeunes. Il y a un lien entre les artisans et les jeunes, avec le rôle du repas pris en commun.
JFC : on croise des compétences diverses et il y a similitude entre ce que l'on propose aux jeunes et ce que les adultes acceptent de vivre ensemble. L'expérience au sein du groupe des adultes permet de faire tenir le groupe des jeunes ensemble.
G : je fais les courses pour les repas (25 personnes à midi) en cherchant le goût des enfants. On consomme les légumes du jardin.
- On retrouve ici les racines rurales de JF et G.
JFC : j'ai l'impression d'avoir constitué quelque chose qui rappelle l'espace des villages où il y avait proximité de gens différents. Actuellement les adolescents ont besoin de rencontrer des adultes et de partager quelque chose de leur travail.
- Avez-vous des liens avec l'Arche de Jean Vanier ?
JFC : oui des liens particuliers : un groupe de l'Arche vient tous les mercredis dans l'espace élevage. Ouverture et échanges.
- Avez vous conscience de transmettre un témoin, un héritage culturel, la culture du travail ?
JFC : pas forcément de façon explicite. Les jeunes voient des adultes au travail, ce qui est très rare dans le monde salarié, les jeunes sont rarement mêlés au travail des adultes.
-Les ateliers (jardin, ferronnerie) ne vivent pas en autarcie, vous avez des clients extérieurs ?
JFC : les jeunes voient les adultes travailler et les résultats de leur travail. Il ne faut pas oublier le client, tout en restant disponible pour le jeune. 
- Il y a eu l'espace de Monoblet
JFC : Cette structure a donné les prémices du travail avec les jeunes autistes, l'abord de ces jeunes a été transformé. Nous accueillons des autistes.
- Importance pour le jeune d'avoir une transmission : nous, les vieux, nous avons le regret de ne pas transmettre. Pendant un stage à Bentenac, j'ai ressenti qu'il faut observer une certaine rentabilité.
JFC : on ne doit pas avoir une vision idyllique, il y a des éléments de tension.
- Il y a une différence ente Bentenac et les autres institutions, les jeunes ont-ils conscience de cette différence ? Font-ils des comparaisons ?
JFC : ça ne peut pas fonctionner comme cela : il faut une complémentarité entre les différentes institutions. Quelquefois l'accueil une fois par semaine permet de reconstituer le sentiment de valeur propre, permettant de se réussir.
- Les pratiques et la loi, en France, ont-elles évolué depuis 25 ans ?
JFC : beaucoup de choses ont changé. Par exemple pour l'insertion scolaire : la loi voudrait promouvoir  cette insertion mais c'est difficile, les marges de manœuvre diminuent. Il y a une volonté normative excessive, un écart entre le dire et le faire, le poids de l'administration est très lourd. Il faut accepter que des lieux différents existent.
Mais certaines choses peuvent continuer, pour prévenir l'échec scolaire
- Les auxiliaires de vie scolaire (AVS), actuellement ce n'est pas idyllique. Avant 2003 ils recevaient une petite formation. Actuellement, en majorité, ils n'ont pas de compétence pour les handicapés (la trisomie est-ce contagieux aurait-on demandé ?)  Actuellement pour être AVS il faut avoir été au chômage, on a un contrat de dix mois puis on est débauché à la fin de l'année scolaire. Les AVS manifestent pour se faire entendre
JFC : je défends la multiplicité des lieux d'accueil car c'est un enrichissement. Elle permet de donner le meilleur sans s'épuiser, d'accueillir en pouvant tenir face au jeune, et lui permettre de soutenir ce qu'il peut porter. La diversité des lieux nous permet de travailler, avec une synergie des compétences.
- C'est une multiplicité dans la continuité ?
JFC : on a parfois des  représentations de la continuité qui sont fausses.
- En application de la loi sur le handicap, avez-vous des jeunes qui sont accueillis en étant scolarisés ?
JFC : les jeunes accueillis sont dans des impasses, la question est de savoir comment réintroduire de l'intégration : il manque de places dans les établissements spécialisés.
- Êtes-vous en lien avec des psychologues, étant moi-même psychologue chez Jean Vanier et souffrant des contacts avec les spécialistes?
JFC : notre vocation n'est pas d'accueillir les jeunes à temps complet : ils sont en contact avec d'autres institutions (hôpital, institut spécialisé) où ils ont des contacts avec le personnel médical.
Sur Bentenac nous avons deux heures par semaine avec un psy pour évaluation et régulation. C'est un temps de reprise de ce qui est vécu avec les jeunes, avec les éducateurs et les responsables d'ateliers.
- De quel personnel disposez-vous ?
JFC : deux maraîchers : un responsable et un aide – un ébéniste – un ferronnier et un aide- pour l'espace élevage : un éducateur spécialisé et une éducatrice – une cuisinière – un contrat pour une monitrice éducatrice. Les artisans sont salariés de l'institution. Tout le monde est dans la double mission.
- Comment les artisans peuvent-ils faire coexister les lois de la sécurité et la joie du travail ?
JFC : il y a des dangers réels, des machines auxquelles on peut accéder mais il faut mettre la règle en rapport avec le jeune. L'enfance n'est pas synonyme d'incapacité, mais il faut apprendre le monde. Si on ne permet pas aux enfants d'imiter les adultes, il ne leur restera que de les défier.
- Quels sont les rapports avec les familles ? Sont-elles importantes dans votre projet ?
GC : dans ma formation j'ai fait un travail sur la relation mère-enfant. Je cherche à être en lien avec les familles : l'un de nos premiers accueillis était resté huit ans à l'hôpital. Nous l'avons accueilli puis au bout de deux mois le père est venu en se cachant puis une fois par an. L'enfant a des liens spécifiques avec sa famille
JFC : nous portons attention aux familles.
- Tous les jeudis soirs vous faites une évaluation. C'est une démarche que nous avons en action catholique. Qu'est-ce que cela vous apporte ?
JFC : une façon de vivre notre foi religieuse, voir comment s'ancre notre vie spirituelle. Le partage de vie nous permet de voir, dans la vie quotidienne, les enjeux humains. Les liens qui se sont constitués ainsi au fil du temps continuent de nous soutenir.
GC : la convivialité est très importante, y compris pour les enfants.
- Vous accueillez cinq enfants, c'est une vie de famille. Comment cela se passe-t-il entre les enfants ? Quand il y a des départs quel est le travail de deuil ? Et quand prenez-vous du temps pour vous ?
GC : nous vivons comme une famille : accueillir quelqu'un de nouveau n'est pas toujours simple, il faut remanier la place, comme pour une naissance dans une famille. Il y a solidarité entre les gamins : il est très émouvant de voir que quand l'un va mieux, les autres le remarquent. Ils se chamaillent mais se protègent les uns les autres : ça se vit comme dans une famille. C'est plus facile car les enjeux affectifs ne sont pas les mêmes.
Nous préparons notre départ à la retraite avec le problème de notre héritage : les enfants réagissent :"moi je continuerai Bentenac", "moi, je veux la montre de Gisèle"…
Quand il y a un départ : je suis rassurée quand le jeune se lance dans la vie mais quand ils partent en claquant la porte sans avoir de projet, c'est très dur.
Le temps pour nous, ça passe quelque fois au second plan. Nous avons quelqu'un qui nous remplace de temps en temps. Chaque année nous prenons cinq jours à En Calcat. Nous prenons parfois des week-ends
Bentenac organise des journées portes ouvertes. Un point de vente est ouvert le samedi. On peut également commander par Internet.
Participation au "Café de la vie " : soixante personnes environ.
CR établi par LR d'après ses notes non validées par les intervenants.

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