L'homme face à ses limites

Débat à partir du témoignage d'Olivier ABEL Professeur à la faculté de théologie de Montpellier)


Appel au débat :

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La liberté de l’Homme a-t-elle des limites ?
Les limites de l’homme sont nombreuses. Si la longévité en est la première, on peut citer des limites de types physique, psychique, cognitive, sexuelle, communication ... La société a aussi défini des limites par la loi, car sans la loi, la vie en société serait une jungle. La loi la plus ancienne qui a fixé les premières limites c’est la Torah.
L’expérience montre que tout ce que nous pouvons faire, nous le faisons, nous repoussons les limites. L’homme pense qu’il peut trouver une solution à tout. La modernité c’est repousser voire sortir des limites. Une mentalité d’immortalité transparait.
Si le progrès a permis de repousser certaines limites, le moteur de l’émancipation est de les repenser.
Quand est-il dans l’éducation : de l’apprentissage des limites ? De la finitude ? De l’enfant roi ? De l’argent ? Du tout et tout de suite ? De la gestion du stress et de l’agressivité ? De la rentabilité à court terme ? … Et que dire de la procréation assistée ? Du travail du dimanche ?....
La transgression est-il un signe de l’émancipation ?

Venez en débattre.

Le débat (28 03 2015 à la brasserie du Dôme) :

C R du Témoignage :


    Ce thème touche une question de fond incluant beaucoup de sujets : naissance, mort…et de nombreuses techniques qui remettent cette question en premier plan. De nos jours, la liberté de l’homme d’aller plus loin, de transgresser, est valorisée, car vecteur de transformation des personnes. Mais les limites existent. Déjà Aristote, St Thomas d’Aquin parlaient de finitude.
    Deux grandes orientations dans la pensée occidentale : La post humanité quittera la terre  si petite vue de la lune (la conquête de la lune a provoqué un changement de paradigme) et on n’est jamais aussi bien que sur la terre (voir le Capitaine Haddock).
La grande utopie : on va quitter la terre et se libérer de la condition humaine ! Les grandes mutations et l’évolution de la technique  « illimitent » la liberté : voitures, pilule, argent…démultiplient les potentialités humaines, vrai cycle d’addiction ! On veut toujours plus. Ainsi la voiture permet une liberté de déplacement que n’avaient pas nos ancêtres. D’où la sensation d’être en prison si on ne peut se déplacer ! A l’appui de cet imaginaire : le cinéma, les mangas…Ex « interstellar » : « il ne s’agit pas de sauver le monde mais de le quitter ! » .Double orientation de l’imaginaire : faut-il abandonner le monde et refaire une arche de Noé pour les élus ou l’espèce ou le sauver en arrêtant de le transformer : utopie ultra conservatrice ? Rêve  de la post humanité qui largue les amarres, rêve d’immortalité ou au moins augmenter la longévité. Ex : recherches sur la méduse qui vieillit et rajeunit, sur la congélation à 196° pour durer, sur la sauvegarde de la mémoire, rêve de pouvoir tout sauver (transhumanisme). Utopie qui parait ridicule et pourtant agit sur l’imaginaire, corps sur puissant, intelligence sur puissante (réponses par internet !), rêve de connexion totale, universelle, de dépassement de la bêtise, du sexe... rêve de tout pouvoir choisir : le sexe, le genre…Et pourtant nous sommes des sociétés du statu Quo ! Nazisme et communisme ont cherché à transformer leur société ! Ambivalence des USA : démocratie du statu quo et techniques avancées pour un nouveau monde. De même en Chine. En France nos intellectuels sont conservateurs (voir Régis Debray). Pour Georges Bataille, passage d’une société d’équilibre à une société de croissance, la liberté étant le moteur de la croissance.

Les limites du rêve de la croissance.
-  Matérielles : nos ressources énergétiques….
-  Sociétales : nos sociétés peuvent-elles supporter de tels écarts de pouvoir, de liberté. Ce n’est pas seulement une question d’argent. Aujourd’hui il y a de tels écarts dans une société qui s’est rétrécie.
-   Psychologiques : épuisement psychique pour répondre à toutes les connexions !
-   De l’intelligence : mythe que l’espèce est intelligente  et qu’on trouvera une réponse à tout, chaque réponse engendrant une autre question ! Il faut apprendre à vivre avec nos problèmes, accepter nos limites.
-  A la consommation. Et au retrait ascétique : les pauvres rêvent d’abondance et les riches de sobriété, de simplicité ! Tacite, dans  « l’éloge de Germanicus » disait : « il avait cette vertu suprême : la tempérance dans la tempérance » ;
-    Au bonheur : à notre capacité de recevoir le bonheur. De même pour le malheur. Pierre Chaunu disait que dans les tranchées le malheur dépassait parfois leur capacité !
-    Ethiques : les possibilités techniques managent nos désirs : c’est faisable, on le fera. Il y a un écart entre notre activité et notre réceptivité, notre sensibilité est limitée. Heureusement que nous ne pouvons pas tout, que la pensée n’a pas un pouvoir immédiat. Le vrai pouvoir c’est de ne pas pouvoir. Il faut éduquer l’enfant à la liberté, à la capacité de croire qu’il peut, lui donner le sens des limites. Ex : l’argent, je peux et je suis limité. Libre de tout c’est libre de rien. Qu’est ce que je fais de mon temps, du virtuel dont nos enfants sont bombardés ? Nous devons leur apprendre à maîtriser le virtuel, à maîtriser internet.

Trois aspects de ces limites :
-    Physiques : seule la force peut les surmonter.
-    Juridiques : c’est la loi, le permis et le défendu.
-    Morales : on peut la transgresser car la morale n’est pas contraignante.

 De nos jours on note une régression de la morale au droit, et l’affaissement des lois juridiques vers la loi physique.
Revenons sur le sol de la terre et cherchons un équilibre entre émancipation et attachement. De nos jours existe une désillusion face aux idéaux de la liberté. Changeons d’imaginaire …

Débat


Q : l’imaginaire vers des illusions ne mène t’elle pas au dépassement ?
OA : on veut toujours aller plus loin. On laisse un vieux monde pourri ! USA, Russie : c’était des gens qui avaient tout perdu et qui risquaient tout jusqu’à aller sur la lune ! L’imaginaire : on va quitter la terre pour un monde meilleur.

Q : limites dues à la différence, l’altérité nous apporte un autre dépassement.
OA : on n’est pas libre seul. Il faut être au moins 2. On est libéré de soi-même par l’autre.

Q : quelles limites aux nouvelles technologies ? A nos âges beaucoup de prothèses sont à notre disposition : jusqu’où aller ? Les adeptes du transhumanisme parlent de coder le cerveau : si on le code on le sort de la chair.
OA : les prothèses ne sont qu’une parenthèse technique et l’on peut aller assez loin tant que l’humanité est respectée. Le danger est la déshumanisation. Je ne suis pas d’accord avec le catastrophisme catholique d’E. Mounier. De nos jours on se méfie, on doute de tout, il faut faire confiance.
La Gnose prétendait donner accès à la connaissance suprême. On retrouve cette idée que la science va nous sauver. Ainsi du nouvel homme du nazisme ou du communisme.

Q : à propos des limites sociétales. Les sociétés occidentales sont très individualistes. Quid des moyens de communication ?
OA : Teilhard de Chardin avait une vision optimiste du monde. Que penser de notre monde hyper connecté ? Correspond-il au Dieu des chrétiens ?  Ca m’inquiète car c’est au détriment d’une grande part de l’humanité qui s’embourbe dans le matériel. Ceux qui sont en haut ont peur que la tour s’écroule, ceux du bas veulent monter.

Q : parlez nous de Régis Debray que vous connaissez bien.
OA : intellectuel de gauche il est porteur de l’idée d’émancipation. Actuellement il observe les évolutions, il est attaché à des traditions. Il a le sens des images ; Il dit : « je ne suis pas croyant, je suis catholique » et de même chez les protestants ! Il a le souci de conserver un patrimoine commun.

Q : le Bouddhisme émerge en France. Mathieu Ricard représente le Daïla Lama et vient d’écrire un livre sur la bienveillance.
OA : les différentes voies ne doivent pas être exclusives.
Théodore Monod dit : « je n’ai pas fini de monter la montagne ». Paul Ricoeur : « faire d’un hasard un destin commun » ou « c’est en creusant dans ses propres racines qu’on rencontre les racines des autres ».

Q : les limites éthiques : comment peut-on fonctionner sans être taxé de conservateur ?
OA : être conservateur est positif pour moi. Les grandes valeurs doivent entrer en conversation. La morale s’appuie sur des habitudes, la liberté ne va sans l’exercice de règles (piano).

Q : avec l’âge on a peur de l’avenir et l’on est donc conservateur !
OA : l’écart entre les anciens et les nouveaux augmente. Comment ré équilibrer avec une moyenne d’âge de 50 ans ? D’où l’importance de tricoter l’ancien et le nouveau.

Q : Nous vivons une accélération du progrès technique depuis 2 siècles. Nos capacités cérébrales et physiques ne tiennent plus le coup. Danger d’embrigadement. Même les jeunes s’inquiètent : tout va trop vite, une invention chasse l’autre ce qui mène à l’angoisse existentielle, au burn- out. Ca ne sert pas la démocratie.
OA : les limites sont nombreuses, psychiques, sociétales, planétaires. Nous avons besoin de simplification, besoin de bêtise !

Q : la spiritualité non religieuse peut-elle compenser et aider à nous transcender ?
OA : par exemple la franc-maçonnerie plus religieuse que le protestantisme ? Le religieux s’est déplacé : autrefois religion de l’esprit. De nos jours les rites ont le vent en poupe. La Parole, l’Annonce…c’est ennuyeux. Rôle important de la littérature : les Misérables ont bouleversé leur époque. Les séries TV façonnent l’imaginaire. Etre vigilant aux discours diffusés ainsi.

Q : pourquoi toutes ces peurs, peur de notre société, peur de l’autre, peur de l’Europe…
OA : on dit : soyez ouverts et pourtant il faut des frontières. Danger de tout ouvrir et risque de devoir tout fermer. On a besoin d’échanges des cultures, le risque est qu’il n’y ait plus de différences. Exemple la Yougoslavie et ses nouvelles frontières aux cicatrices douloureuses ! Il faut essayer de trouver une équation ouverture/fermeture. Réaction à la mondialisation  économique avec un repli religieux.

Q : « croissez et multipliez vous » dit la Genèse. La terre est trop petite !
OA : selon le contexte une bénédiction peut devenir malédiction. Il faut pouvoir se délier de certaines promesses en toute liberté. Mais aussi croissez en sagesse, en art, en science…Prendre le temps de s’y habituer, d’en faire une coutume.

Q : la limite c’est l’inhumain. Le pouvoir politique peut-il poser ses limites ? Sinon qui ?
OA : l’inhumain c’est aussi Dieu : c’est ce que nous ne sommes pas. Etre inhumain c’est se mettre à la place de Dieu.
Limites planétaires : climat, hydrocarbures… limites politiques : on sort du totalitarisme Or il faudrait un gouvernement puissant sur le long terme et nos démocraties n’y sont pas prêtes. Limites en nous, morales : faculté en nous de rébellion morale, de désobéissance civile, de compassion. L’éthique oriente notre boussole interne, nos petits choix quotidiens.

Q : la technique manage notre esprit, augmente nos possibilités mais les sape aussi. Exemple le temps qu’on passe à travailler pour payer sa voiture égale le temps qu’on aurait mis à aller à pied !
OA : le management de notre vie passe par l’augmentation des choix. Donc impression de liberté mais aussi de servitude. Les problèmes du début de vie et de fin de vie viennent de là. Jacques Ellul parle de bluff technologique comme Paul face à l’empire romain. La loi c’est du bluff. On croit être libre et on est esclave de sa liberté.

Q : que penser de nos jeunes qui partent faire le djihad ?
OA : le grand malheur de notre temps c’est le désir d’évasion du monde : musique, jardin, religion, secte, art… on est toujours ailleurs ! Hannah Arendt disait en 1960 que « la faculté de se retirer est une faculté humaine mais je redoute que nous nous retirions trop facilement ce qui appauvrit le monde qui n’a plus de densité ».

Q : il faut donc des limites !
OA : je confirme. Importance des valeurs de fidélité, d’attachement. Mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain. La recherche de liberté c’est le discours de St Paul, un idéal d’émancipation qui est allé trop loin. Les techniques nous mettent dans des situations inédites de choix. Nous aimerions avoir une solution toute faite avec une seule réponse. L’embryon et le mourant sont entre nos mains. A nous de trouver des limites nouvelles…

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