LA DÉCROISSANCE : UNE SOLUTION D'AVENIR ?

Témoignage d'Emmanuel BROTO (Journaliste à la Décroissance journal de l'Institut d'Etudes économiques et Sociales pour la décroissance raisonable IEESDS).


Appel au Débat

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Albert Jacquard a écrit dans Mon utopie,  Editions Stock, 2006 : 
« La croissance de la consommation est en réalité l’équivalent d’une drogue ; la première dose crée l’euphorie mais les suivantes mènent inévitablement à la catastrophe. Prétendre résoudre un problème, par exemple le chômage, par la croissance, c’est s’enfoncer délibérément dans cette impasse.
Cette croissance de la consommation lorsqu’elle a lieu au sein des nations les plus développées rend plus improbable une diminution des inégalités entre les peuples ; l’écart entre eux ne peut que s’aggraver. Apporter à tous les humains le niveau de vie actuel des Européens nécessiterait plus de ressources que n’en peut fournir la Terre. C’est donc, dès maintenant, non pas seulement une ‘croissance zéro’ comme l’avait proposé le Club de Rome, mais une décroissance de la consommation des plus riches qui est nécessaire ».
Que faut-il comprendre quand on parle décroissance ?
Le développement durable serait-il une impasse ?
La poursuite de la croissance actuelle nous mène-t-elle inéluctablement vers une planète invivable et le chaos ?  
Venez vous informer et débattre.

Le débat

Le témoignage 

  La décroissance : qu'est que c'est ?
Les journalistes de "La Décroissance" se définissent comme des "objecteurs de croissance" et  parlent de ce journal comme de celui "de la joie de vivre". A leurs yeux le capitalisme repose sur le principe de l'accumulation de biens, principe identique à celui de la bicyclette : si elle s'arrête, elle tombe.
L'idée de la décroissance est concrète : avoir moins de biens et plus de liens, pour vivre mieux. Mais est-il possible de renverser la vapeur ?
Emmanuel BROTTO : depuis un an je suis dans ce journal comme spécialiste des questions d'énergie, de la chute des pics pétroliers depuis 2004. La crise énergétique est liée à la décroissance.
La croissance : pourquoi en parle-t-on tout le temps ? Quelle est son importance dans la société actuelle ? Qu'est-ce que le PIB ?  : c'est un indice qui permet de mesurer la production des biens produits par des salariés avec des échanges monétaires. Robert Kennedy souligne que la production entraîne une destruction de l'air, de la nature. Mais le PIB ne mesure pas la santé des enfants, le courage, la sagesse… il mesure tout sauf ce par quoi la vie vaut d'être vécue.
La tempête de 96 a entraîné une augmentation du PIB de 2 à 3%. Le PIB évalue le niveau de vie, pas sa qualité.
Dans le système capitaliste, l'augmentation du PIB est importante car les financiers investissent dans des biens et des entreprises pour avoir le maximum de profits pour pouvoir réinvestir dans de nouvelles entreprises. Les entreprises dépendent du jugement des actionnaires qui ont fourni de l'argent dont ils espèrent un bénéfice supérieur à un intérêt normal pour rémunérer le risque pris. Actuellement les actionnaires des multinationales demandent des intérêts supérieurs à 15% par an, sinon les responsables sont limogés. Leur vision est à court terme, pas plus de cinq ans.
C'est CALVIN qui a introduit le principe de l'intérêt de la dette. La dette verrouille la croissance : pour rembourser la dette avec les intérêts, il faut produire de manière exponentielle, ce qui bloque le système.
 La croissance du PIB entraîne des dégâts :
- sur l'environnement : les dégâts sont considérables. La terre a une capacité de charge en êtres humains qui est actuellement dépassée.
l'accélération du circuit économique provoque le stress des salariés
cette croissance peut produire de mauvais effets : les accidents de voiture, par exemple, provoquent une augmentation du PIB car il faut intervenir, soigner les blessés, remplacer le matériel
effet sur l'exploitation des matières premières de la planète qui sont en quantités finies : il est impossible d'avoir une croissance indéfinie
La planète a atteint son niveau de charge en population. Notre niveau de vie est insoutenable et il est impossible de limiter les dégâts dus à l'augmentation du PIB avec ses conséquences sur l'environnement et les problèmes de santé humaine. L'augmentation de la consommation entraîne une augmentation des injustices et des inégalités. De nombreuses statistiques montrent que la part des riches augmente tandis que celle des pauvres diminue.
Serge LATOUCHE a dénoncé cet état de fait dans un livre : "Le pari de la décroissance" : le développement de l'injustice est inhérent à toute société de croissance. La croissance crée un bien être illusoire. L'exigence  de la croissance entraîne une augmentation du travail et de son stress : on utilise des antidépresseurs pour y faire face, antidépresseurs dont la fabrication favorise la croissance de certaines entreprises : économiquement la mauvaise santé n'est pas un mal : on utilise du PIB pour corriger les effets de la croissance.
L'augmentation du PIB provoque une baisse de la richesse si l'on prend en compte l'appauvrissement du pays en richesses naturelles
L'économiste Jean Baptiste SAY considérait que le bonheur était proportionnel à la croissance, pourtant même pour les riches la société n'est pas conviviale. On constate des troubles psychologiques et une augmentation du taux des suicides dans les sociétés développées.
La croissance ne va pas être possible longtemps en raison de la crise énergétique. La richesse monétaire est étroitement liée à la consommation énergétique, le pétrole fonctionne comme le sang du système.
Le pétrole est à la base de 85 % des produits manufacturés, il sert aussi au transport et est à la base des autres énergies. La croissance n'a été possible que grâce aux énergies fossiles. Aujourd'hui la civilisation industrielle est à un moment clé : la courbe de production du pétrole a la forme d'une courbe en cloche : le pic sera atteint dans les années 2012-2015. Actuellement 60% des sites de production ont atteint ce pic et leur production est inférieure à la consommation depuis 1982. En 2008 seuls les pays de l'OPEP peuvent compenser la diminution des autres pays.
 
Si la production de pétrole baisse, la croissance ne sera plus possible à court terme et la dépression économique sera permanente.
Pour les autres sources d'énergie (charbon, gaz naturel, uranium) la situation n'est pas meilleure.
Ivan ILLICH a créé la notion de "disvaleur" : perte de quelque chose qui ne peut pas s'estimer en termes économiques : exemple du lin et du chanvre dévalorisés par le coton puis les textiles synthétiques soutenus par la publicité. Il y a des difficultés pour les structures qui les produisaient et perte d'échanges culturels.
Il apparaît nécessaire de déterminer un autre indice d'appréciation : un indice de développement humain:, un indice de progrès véritable : GPI (Genuine Progress Indicator) qui évalue un progrès authentique en prenant en compte la distribution des revenus, le travail domestique, le travail bénévole, la mesure du temps libre. Cet indice n'a pas été calculé en France mais au USA il a diminué depuis les années 1970. Pendant cette période la richesse moyenne a triplé aux USA alors que la proportion des gens heureux a diminué.
Il faut utiliser cet indicateur pour entrer dans une société de décroissance : quand le PIB diminue, le GPI augmente.
La discussion
- Quand on compare le PIB entre 1970 et 2004 il faut tenir compte de l'évolution de la population mondiale (exemple de l'Inde."
Réponse le PIB s'exprime par habitant.

- La production est une chose mais il faut tenir compte du développement humain; de l'espérance de vie, du niveau de scolarisation.

- J'ai été convaincu par votre diagnostic. Cependant : il ne faut pas considérer la fin de la croissance avec la fin du problème pétrolier. Si on compte sur la rareté du pétrole, on se trompe : l'ingéniosité de l'esprit humain trouvera des solutions; mais actuellement ce n'est pas une certitude.

- La croissance augmente les inégalités d'une façon brutale. Deux milliards sept cents millions d'hommes vivent sous le seuil de pauvreté. Comment considérer que les besoins de ces hommes ne doivent pas être pris en compte en priorité ? . Est-il possible de partager sans croissance ? L'immensité des besoins est incontestable. Ne faut-il pas réfléchir à une croissance à réorienter ? Même si les problèmes démographiques se régulent d'eux-mêmes quand un certain niveau de vie est atteint.
Réponse d'Emmanuel Brotto (EB): la question de la croissance des pays du sud provient du fait que 80% des richesses du globe sont captés par 20% de la population mondiale. (Voir les ouvrages de Serge LATOUCHE) 
- C'est un constat dramatique : en Afrique le blé acheté aux USA est moins cher que celui produit sur place. Actuellement on fait de l'argent sur de l'argent et sur  la production de biens.
Jean ZIEGLER a préconisé l'insurrection des consciences; Actuellement on dope le pouvoir d'achat pour les populations européennes qui achètent des écrans plats fabriqués en Chine par des fillettes de 14 ans. Il ne faut pas se donner bonne conscience.

- Il ne faut pas confondre la décroissance imposée par l'évolution du monde et de la société et par l'épuisement des ressources, avec la décroissance qu'envisagent les objecteurs de croissance : ils préconisent une nouvelle économie saine où l'on remet en question le système capitaliste pour arriver à une économie de partage, de simplicité dans le partage, et de joie de vivre.. Plus de deux milliards de personnes vivent avec moins de deux € par jour, ce que reçoit en subvention une vache européenne. Nous courons le risque de la révolte de ces populations, qui actuellement sont prêtes à venir mourir sur nos plages.

- On peut croire dans le scientisme : l'esprit humain est tellement brillant que nous nous sommes toujours sortis de nos problèmes….

- Je suis venue pour la décroissance : je suis d'accord avec le pourquoi, mais le comment ?

E.B : c'est le programme en 8 R : Ré-évaluer, Re-conceptualiser, : dé-légitimer les valeurs dominantes, Restructurer en changeant les rapports sociaux de production et de répartition, Redistribuer : la terre, le travail, définir un revenu maximum, un revenu de citoyenneté. Re-localiser en produisant localement avec des monnaies locales, rendre les produits venus de loin, non compétitifs faire la reconquête des espaces et des biens communautaires, et revitaliser la vie politique municipale. Revitaliser les relations culturelles. Réduire la publicité et le gaspillage : diminuer la consommation de produits carnés, diminuer les déplacements. Ré-utiliser les objets, les réparer et les recycler. Ralentir la vitesse : dans sa vie, dans son travail, dans les transports. Retrouver l’autonomie économique locale.

Construire la chose politique collectivement.
Préconiser la simplicité volontaire : que tous s'engagent individuellement vers une vie plus simple, se désencombrent : par exemple n'avoir qu'un seul compte dans un seul organisme financier, utiliser les échanges en espèces….

- Ce que vous proposez est triste comme un jour sans pain. Mais on pourrait imaginer une croissance vers autre chose que des biens matériels

-Les familles qui ont des moyens limités ne s'y sont pas trompées : elles surconsomment tout ce qui est du domaine de la communication. Elles sont suréquipées par rapport aux classes supérieures. Le téléphone portable est très important dans les pays sous-développés.

- L'analyse que vous faites de la croissance est uniquement à charge. Dans la croissance, il y a aussi du positif comme la diminution de la mortalité infantile et l'augmentation de la durée de la vie. Tous les gens qui profitent de la croissance en voient des valeurs que vous négligez. Et quand vous parlez de la décroissance, c'est la même chose. La décroissance est un système de valeurs intéressant mais c'est une utopie que l'on peut atteindre par un chemin individuel mais cela ne fera jamais une politique. Votre analyse est manichéenne. 
EB : quand on défend la décroissance, on s'attaque à de nombreux fonctionnements de valeurs, ça paraît manichéen et bizarre. Il n'y a pas grand 'chose à garder dans le système de production actuel : en France, ça va mais dans le reste du monde, c'est catastrophique. Nous n'avons pas de solutions toutes faites, mais nous pouvons donner des pistes pour trouver un chemin. 
- Est-ce que la croissance est forcément liée au capitalisme sauvage ?

- La croissance économique : oui

- Le progrès a permis l'apparition de produits qui aident à vivre.
Depuis deux cents ans le système s'est développé en faisant confiance à l'égoïsme. Mais il y a eu emballement de la croissance et l'homme ne  maîtrise plus le progrès. Il faut faire la différence entre le progrès et le mode de production. Si l'on veut changer les choses il faut  soit une société autoritaire et l'on sait les échecs des dictatures dans ce domaine. Soit il faut un système démocratique dans lequel il faut convaincre le plus grand nombre de gens pour que le système change. Ce que vous proposez ne convaincra pas. Il faut une autre approche et un autre discours : ne pas reprendre à la majorité de notre pays sans rien donner en échange. Il faut continuer la croissance mais donner en échange moins de produits mais plus de biens non évaluables

EB : la notion de croissance est liée à celle de progrès

- La décroissance, est-ce la récession ?

EB : l'évolution humaine est-elle un progrès ? Que met-on dans cette notion ? . le progrès est une notion relativement récente.

- Comment trouver le chemin vers l'utopie ? Conscientiser, proposer : par exemple "Agir pour l'environnement" propose d'écrire au maire pour diminuer le gaspillage d'éclairage surtout au moment des fêtes. C'est une toute petite chose

- La décroissance est utopique, ce ne peut pas être un chemin politique. Vers quoi veut-on tendre ? Notre quotidien est un acte politique.

- Si l'on base la croissance sur le pétrole, elle doit diminuer mais avec les énergies renouvelables, on peut croître à l'infini

- Actuellement les énergies renouvelables sont négligeables parce que l'on n'est pas équipé.

- On décrit un scénario généreux de partage avec le genre humain. Mais j'en vois un autre : par exemple les USA seraient capables de vivre en autarcie   : on risque de voir des îlots de prospérité fantastiques sans notion de partage. Le scénario de "La Corrèze plutôt que le Zambèze" serait toujours possible.

- La croissance n'est qu'un indice. Le problème du mieux être ne se pose-t-il pas seulement au niveau humain. ? Mieux répartir les richesses n'a rien à voir avec la croissance. Peut-on arrêter l'homme ?

EB : il faut développer de la richesse humaine mais le système actuel laisse peu de place pour ça.

- Les quatre derniers R sont à la portée de tous mais pour les quatre premiers il faut un fil conducteur

- Peu être la crise permettra-t-elle des failles  pour un changement ?
En conclusion Emmanuel BROTTO signale à notre attention trois ouvrages :
Serge LATOUCHE : Le pari de la décroissance

Vincent CHEYNET : Le choc de la décroissance

Paul ARIES: La décroissance, un projet politique.

Le débat continue :


Ethernaute : Vos reflexions nous intéressent. Envoyez un courriel à l'adresse suivante : aucafedelavie@free.fr.



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