La douleur chronique : quelle espérance ?

Témoignage du Dr Jean Pierre BENEZECH (Centre d'Evaluation et du Traitement de la Douleur CHU de Montpellier).


Appel au débat :

arbre Lombalgies, fibromyalgies, migraines.... sont autant de douleurs chroniques, souvent lancinantes, dont la complexité fait intervenir, par delà leurs dimensions médicales, des éléments psychologiques et sociaux.

Mais il existe aussi une dimension spirituelle permettant d'éclairer d'un autre jour le développement de ces douleurs.

La prière, le pardon, entre autres, termes du vocabulaire spirituel ou religieux, sont partie prenante de l'amélioration possible des douleurs dans le vaste panel des démarches thérapeutiques.

Nous vous proposons un dialogue entre champs scientifiques et champs religieux qui loin de se contredire nous invitent chacun à une conversion de vie pour un mieux-être global.




Le Débat (4 mai 2010)

       JP Bénézech : infirmier puis médecin ayant beaucoup appris auprès des malades du sida, des toxicomanes, des douloureux chroniques. A écrit 2 livres sur la douleur. Importance du respect, de l’écoute des personnes accueillies. A travaillé au Centre antidouleur du CHU. Actuellement travaille dans le centre de soins palliatifs du CHU.

    La douleur est utile pour se défendre, d’une brûlure par exemple. Parfois au début d’un cancer il n’y a pas de douleurs. Il existe aussi des douleurs inexpliquées : ainsi l’épine dans le doigt n’y est plus mais la douleur persiste. Egalement des douleurs référées : la douleur est au bras et c’est le cœur qui en est responsable.
    La douleur chronique (DC) est une douleur qui va durer entre 3 et 6 mois, qui va donner lieu à toutes sortes d’examen et qui reste parfois difficile à expliquer, qui résiste au traitement. Le malade arrive alors dans un centre antidouleur ce qui va permettre un soutien, souvent la baisse de la consommation de médicaments, des examens médicaux. L’espoir est parfois déçu si la personne attend la guérison. Elle va devoir apprendre à vivre autrement. La DC est un échec social et économique. Par ex la lombalgie chronique mènera parfois à l’exclusion sociale.
    Une difficulté : l’absence d’anomalies à la radio, au scanner ou de tout autre examen ne signifie pas que la personne n’a pas mal ! Une personne qui dit qu’elle a mal, a mal ! Chacun est différent devant la douleur.
    Quelques signes particuliers :
    -    La douleur focalisant sur elle tous les regards fait oublier d’autres éléments présents dès les 1ers jours de la douleur.
    -    Un contexte difficile (deuil, séparation, conflits, déménagement, soucis…) constituent très souvent le terrain sur lequel l’évènement source de la DC va venir se déclencher.
    -    Les troubles du sommeil comme l’insomnie aggravent la DC. Si le sommeil est meilleur la DC diminue.
    -    La dépression aggrave la DC : il y a un vrai cercle vicieux, la douleur aggravant la dépression et la dépression aggravant la douleur.
    -    Arrêt des activités physiques ce qui est une erreur car l’activité physique diminue la douleur.
    -    Isolement social dommageable.
    -    Les facteurs émotionnels : anxiété, colère contre le monde médical, son employeur, le monde entier, peur…tout cela est vérifié en imagerie cérébrale (la zone de la douleur s’éclaire davantage en cas de stimulation émotionnelle).
-    La DC va handicaper, en particulier en exacerbant une souffrance ancienne (physique ou psychique) qui va se manifester et entraîner en cercles vicieux des troubles du sommeil, le ralentissement des activités physiques et sociales… L’épisode ancien avait été surmonté, l’actuel ne le peut pas.
    Quelle approche de la DC ?
De nos jours il est reconnu que la DC doit être abordée de façon globale, médico psycho sociale. Boris Cyrulnik propose la résilience. Peut on la rattacher à une dynamique chrétienne ?
    -    Le 1er temps est l’acceptation. Cf « Amen » de nos célébrations. « Je reçois ce jour ce que Dieu me donne ». Faire le deuil de certaines choses anciennes. Parfois une prière permet de dire cette acceptation : « S. aide moi à vivre cette douleur » plutôt que « S. enlève moi cette douleur » qui aggrave plutôt la DC.
    -    Un 2ème temps serait la capacité à émerger du cercle vicieux, véritable résurrection. La notion de résurrection signifie un relèvement : le paralytique se relève, Jésus ressuscite. C’est dans la relation que quelque chose se renoue. Le médecin appelle, le malade répond. Véritable alchimie !
Proposer au malade une dynamique : acceptation contre catastrophisme !
    Il s’agit de proposer au malade une dynamique qu’il est seul à pouvoir mettre en œuvre, l’aider à redémarrer, à recentrer sa vie sur autre chose que sa douleur, continuer à faire des projets…. Toutes nos vies sont cicatricielles, il faut vivre avec ses cicatrices. Il ne faut pas parler de guérison mais aider la personne à vivre autrement, à avoir une meilleure qualité de vie. Cette approche dit la globalité de l’humain. Ainsi un champion d’athlétisme court avec son corps, sa compétence, son désir de gagner… L’homme n’est pas une machine.

DÉBAT

Q : Combien de personnes souffrant de DC ?
JP : 15 à 35% selon les pays.
Q : Arrive t’on vraiment à calmer les douleurs cancéreuses ?
JP : Mieux que les douleurs chroniques non cancéreuses. Cependant, il peut aussi exister des douleurs complexes avec d’importantes composantes affectives et émotionnelles.
Q : Jésus propose « veux tu guérir ?». Les malades se culpabilisent ils d’être l’auteur de leur DC ?
JP : Cela arrive souvent. Par exemple, les personnes douloureuses vont mieux dans le mouvement. Ainsi lors d’une fête ils bougent, dansent…et les gens les critiquent. Le lendemain ils ont mal et vont rester tranquilles alors qu’ils devraient continuer à bouger. Rester 8 jours au lit aggrave la douleur. Il est difficile pour eux d’accepter la variabilité de ces douleurs, en fonction des activités.
Q : La souffrance varie selon le contexte dans lequel on vit : c’est différent en France, en Afrique, au CHU…Par où aborder cette souffrance ?
JP : La notion culturelle existe. Ainsi la fibromyalgie (la personne a mal partout sans altération de l’état général) est reconnue de nos jours, mais ne peut être dite dans tous les pays.
Q : n’y a-t-il pas des bénéfices collatéraux qui donnent envie de ne pas guérir ?
JP : ce sont en général des personnes pour qui tout bascule à un moment donné. Il faut aider les personnes à être résilientes.
Mr X : attention de ne pas être culpabilisant ! Ces personnes ont un mal être difficile à soigner.
Q : Comment la croyance en Dieu peut aider ?
JP : Celle-ci peut aider la personne à accepter ce qu’elle est en train de vivre. La colère augmente la douleur. Par contre, on n’est plus au 19ème siècle à chercher le salut pas la douleur. Mais inversement, dans la souffrance, l’image du Christ en croix en a aidé certains… Quelle dynamique est possible ?
MClR : les non croyants peuvent être résilients. Il est important d’accompagner et de rester en relation. La formation d’accompagnateur conseille une présence discrète, écoutante.
Q : Quelle est la conception de l’islam ?
JP : je n’ai pas de compétence.
Mr X : dans notre civilisation on a peur de la mort, de la souffrance. Il y a un chemin à faire pour ne pas s’isoler dans la souffrance.
JP : la dynamique de l’Evangile peut nous aider.
Q : la souffrance est souvent mal reconnue dans le monde médical.
JP : la douleur est un moyen de communication, par ex entre une mère et son enfant. Mais la plainte douloureuse use les soignants. On a mal d’entendre dire l’autre qu’il souffre. L’empathie use !
Mr X : quand quelqu’un dit qu’il souffre il a peut être mal mais il faudrait peut être chercher pourquoi il le dit !
Mr Y : j’ai accompagné à Lourdes 60 personnes handicapées. Elles ont développé beaucoup d’énergie pour supporter le voyage, le séjour… Il faut les sortir, les amener aux cérémonies : elles sont heureuses. Le psychique et le spirituel sont liés. Elles ne se plaignent pas quand elles ont un but !
Q : quelle place à l’hypnose ?
JP : c’est un outil.
Q : qu’entendez vous par acceptation ?
JP : j’ai mal et malgré ce, j’essaye de  faire ce que j’ai à faire ; par contre dans le catastrophisme, j’arrête. Dans ce cas, le risque est l’aggravation vers le handicap.
Mr X : certains sont polarisés sur la partie douloureuse de leur corps. Il faut les aider à sentir autre chose, à se décentrer de la partie malade pour qu’elle se sente autre.
JP : Ce sont des techniques intéressantes contre la douleur.

Jacques Dainat remercie chaleureusement Jean Pierre Bénézech et demande aux participants de proposer des sujets qu’ils aimeraient voir traités l’an prochain.
Ecrire : « aucafedelavie@free.fr »

Le débat continue :


Ethernaute : Vos reflexions nous intéressent. Envoyez un courriel à l'adresse suivante : aucafedelavie@free.fr.



Retour page Comptes rendus des débats.

Retour page d'accueil