La fin de vie : Quel accompagnement ?

Débat à partir du témoignage de Martine SIFFERT (CRERSI

Appel au débat :

arbre

La fin de vie nous concerne tous et nous y sommes confrontés régulièrement par le départ de personnes proches ; cela nous renvoie à la question de la  perte d’autonomie, de la solitude, de la maladie, de la souffrance. Et pourquoi la maladie, la souffrance ?

 

Les soins palliatifs s’appuient à la fois sur la médecine qui permet d’adoucir, voire de supprimer la souffrance et sur une partie relationnelle qui peut aider à dédramatiser la mort, à réconcilier le patient avec lui-même, à aider les proches dans cette épreuve.

Les soignants, des bénévoles associatifs participent  à l’accompagnement, sachant qu’il n’y a pas de recette "miracle"  de l’accompagnement. Le pire pour le patient, c’est la solitude et la peur d’être abandonné.

 

La foi en Dieu est-elle un élément de solution pour franchir cette étape? Aide-t-elle le patient, ses proches, les accompagnants ? Le non croyant n’aurait-il pas aussi une spiritualité de la mort ?

 

Le débat (23 11 07 à la brasserie du DÔME) :

Témoignage de Martine Siffert  (CRERSI) : 

La technique ne fait pas tout ; la relation d’aide devrait se déployer. Les gens se  replient sur eux ; l’information circule mais pas la communication.

Le CRERSI forme des bénévoles : il s’agit d’apprendre les bases de l’écoute, du soutien.

Actuellement, la mort est escamotée ; avant, les gens se résignaient à la mort.

Nous avons un devoir de solidarité, mais l’accompagnement ne s’improvise pas. Se former permet de développer ses aptitudes naturelles.

Personnellement, je suis tombée dans la marmite de la médecine. Externe à l’hôpital en 1967 : on est dans la dynamique technique et au bout : rien ; on escamotait la mort. J’étais dans l’indignation, mais ligotée ; on envoyait l’élève infirmière (cf. peur de la mort). En  1970, les chambres individuelles de mon service vont permettre des relations plus intimes avec les malades. En 1980, j’accompagne une personne très malade et prends conscience de tout ce qui est insupportable pour un malade (comme l’attente de rdv médicaux) ; pendant 2 ans, j’ai accompagné cette personne par mes visites, mon écoute, des loisirs, du partage : elle m’enseignait. Défi : rester un médecin convenable et écouter la souffrance de l’autre.

J’ai travaillé auprès des malades du SIDA jusqu’à ma retraite ; je me suis formée en infectiologie, en psychologie et à l’accompagnement. Mais on ne peut travailler seul, on a besoin d’être soutenu.

Le plus important, c’est la disponibilité ; c’est la chose la plus précieuse à offrir.

Comment fait-on pour accompagner ? on peut avoir peur de ne pas savoir que dire, mais il reste à aimer la personne en fin de vie, et à voir tout ce qu’il reste à faire quand il n’y a plus rien à faire.

Les soins palliatifs aident à rester vivant jusqu’au bout. Ils ont été pratiqués par des communautés caritatives (exemple les Xavières de la Maison Jeanne Garnier) avant le corps médical.

Mais quand la perte des capacités motrices se cumule avec la perte psychique, c’est difficile. La démarche est humble.

QUESTIONS / DEBAT

 

 X : si  la souffrance devient terrible, qu’est ce qu’on fait ?

MS : il faut différencier la douleur physique de la souffrance émotionnelle. S’il s’agit de douleur physique, les médicaments anti-douleurs sont efficaces à 95%.

S’il s’agit de souffrance (peur de la mort, culpabilité, peur de laisser sa famille démunie, dévalorisation de soi, …), c’est ici que peut intervenir l’accompagnement ; la présence humaine est nécessaire : mourir, c’est toujours difficile.

X : quand on devient une loque et que l’on voit la souffrance des  enfants, il y a de la déchéance. Des gens sont maintenus dans des états affreux ; il ne leur reste rien.

MS : aujourd’hui, il y a des efforts à faire pour comprendre que soigner, ce n’est pas guérir mais prendre soin.

La question de l’euthanasie est une question piégée, manipulée ; il y a un arrière plan économique (ce sont les dernières années de la vie qui coûtent le plus cher). Une loi sur l’euthanasie serait dangereuse. La loi Léonetti (2005) est méconnue : elle permet à toute personne de dire sa volonté ou de la faire dire (par le choix d’un référent) pour refuser l’acharnement thérapeutique (que l’on appelle aussi obstination déraisonnable).

La mort est-elle un échec (donc on réanime à tout crin) ou un aboutissement ?

Parfois, la réanimation, cela marche.

X : si une personne arrive à l’extrême, lui sera-t-il possible de dire : je suis maître de ma vie, je souffre trop, je ne suis plus rien ; j’ai le droit qu’on m’aide à mourir. Pourquoi Dieu ferait-il souffrir jusqu’à l’extrême ?

MS : vous faites référence à l’ADMD (droit de mourir dans la dignité) ; mais la suicide assisté n’est pas acceptable. Le sentiment d’indignité est vu dans le regard (supposé ?) de l’autre. Il faut faire attention au regard que l’on porte sur l’autre. Et qu’est ce que l’on peut savoir de la vie intérieure des autres ?

: on se voit ainsi.

MS : la société me renvoie cette image. Pourtant, on peut aimer un dément. Importance de la tendresse.

Y : en 1980, mon père (87ans) a mis 54 jours à mourir après un accident. Quel est le bénéfice de ce temps ? C’est la technique qui prolonge les gens ; avant, il serait mort rapidement après son accident.

MS : actuellement, on veut tout maîtriser ; on manque d’humilité.

Je suis contre la peine de mort ; et j’ai pratiqué 4 fois l’euthanasie, car cela me semblait, à cette époque, le moindre mal. ; cela me gêne, mais je ne crains pas le jugement. Mais je ne suis pas à l’aise avec cela ; pousser une seringue, c’est le contraire de l’accompagnement.

Le temps de la fin de vie a de la valeur ; chacun a sa valeur ; caractère sacré de la personne.

Accompagner, c’est aider la vie jusqu’au bout, en qualité et non en quantité.

Je dis non à l’acharnement thérapeutique.

Il y a un moment où la personne en a assez de vivre et les proches n’en peuvent plus. C’est mauvais de faire un pronostic de durée ; si cette durée annoncée est dépassée, cela devient insupportable.

Il y a un devoir de solidarité : celui de laisser à l’autre le temps de mourir ; il faut dire aux proches : laissez à celui qui s’en va le temps de faire ses bagages, de se centrer sur ses besoins (qui peuvent être des retrouvailles). Il reste à donner du confort. La personne va déterminer le moment de sa mort (du lâcher prise) à condition qu’on lui en laisse la possibilité (car il existe de l’acharnement relationnel).

J’ai l’exemple d’une personne qui aurait du mourir plus tôt (malade du SIDA), mais une personne l’empêchait de mourir. Le lien était trop fort. Parfois c’est parce que les malades sont retenus par le combat contre la mort mené par des médecins

Des malades sont morts après mon passage : ils se sentaient libérés pour mourir. C’est important de donner aux gens l’autorisation de mourir.

Exemple d’un jeune qui ne voulait pas voir sa mère avant de mourir : j’ai  demandé à la mère d’aller faire un achat ; l’enfant est mort avant le retour de sa mère.

Autre exemple d’un enfant qui se meurt d’une leucémie en la présence permanente de ses parents ; il leur demande d’aller lui chercher une peluche et meurt entre temps. Il y a de la pudeur à mourir. Les enfants protègent leurs parents ; les patients protègent les soignants en essayant de retarder leur mort. Ce sont eux qui nous accompagnent.

Une aide-soignante à domicile dit son inquiétude dans l’accompagnement de personnes âgées, à cause de son manque de formation. Elle parle aussi de sa foi : ma foi me soutient ; c’est difficile d’être proche comme les gens le souhaitent. Il faut vivre le moment présent. On reçoit énormément. Ce qui m’aide, c’est : « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? », et il y a aussi l’abandon des disciples. Et moi, je ne sais pas accompagner la démence et la violence. Je n’ai que ma foi pour m’aider. J’ai réfléchi que je pouvais essayer de faire quelque chose pour une personne  atteinte de la maladie d’Alzheimer : j’ai essayé le chant, les sonnailles (pour lui rappeler son ancienne chèvre) et cela a marché. L’amour rend inventif à l’infini.

X : Je n’ai pas dit que je ne croyais pas en Dieu.

Autre question : est-ce qu’il manque des personnes pour accompagner ?

MS : Les 30 bénévoles du CRERSI ne sont pas toutes sollicitées ; cela doit venir d’un manque d’information. Les gens ne connaissent pas leur droit d’être accompagnés, et sont dans la résignation.

Les personnes âgées sont nombreuses et on ferme des lits d’hôpitaux. Il manque des emplois, de la formation et des salaires revalorisés. Il y a un manque de reconnaissance sociale. Il y a des réseaux de solidarité à mettre en place avec des jeunes, car on est tous susceptibles d’être accompagnant.

Je réponds à la  question sur la douleur extrême ; il y a des solutions : on peut utiliser la sédation, en fin de vie : on peut faire ainsi dormir pendant les10 ,15 derniers jours ; c’est en plus, un traitement réversible qui peut être interrompu ou suspendu (par exemple pour l’arrivée d’une petite fille).

X : pourquoi pas un endormissement définitif ?

MS : dans toute ma carrière, je n'ai prescrit que 4 sédations de ce type....

Un jeune colombien : vous parlez de la mort, mais c’est de la vie qu’il faut parler : c’est plus important que la mort. Il faut penser comment bien vivre jusqu’à la mort.

MS : il y a des tee-shirts portant l’inscription « no future » !

Le temps du mourir, c’est encore de la vie, c’est du présent.

Le jeune colombien : vivre au jour le jour ; partir, c’est une étape normale. Chaque âge a son importance. Le 3ème âge a l’expérience du vécu et une mémoire de la vie à transmettre. En Colombie, on ne met pas les vieux en maison de retraite ! Pourquoi un travail salarié ? A t’on besoin de formation ? Même non formé, on peut accompagner. Si on le fait par amour, cela change tout. Chez nous, c’est différent ; ma grand-mère à 95 ans fait du vélo.

MS : la vieille Europe ne supporte pas le vieillissement ; il n’y a plus d’accompagnement naturel ; c’est pour cela que les emplois et la formation sont nécessaires.

Le jeune colombien : est-ce vers des modèles comme celui de la France qu’il faut aller ?

Autre intervention : je ne suis pas d’accord avec l’éloignement de la maman avant la mort de son enfant.

MS : je me suis centré sur le patient ; il est mort paisiblement.

X : que faire face à quelqu’un qui veut mourir seul ?

MS : celui qui veut mourir seul  (suite illisible)

Il faut respecter le patient, l’écouter, reformuler ce qu’il dit ; ne pas y aller si on ne le sent pas : il vaut mieux ne pas y aller qu’y aller en traînant les pieds. On peut aussi s’épuiser sans s’en apercevoir. Mes 10 derniers mois d’activité ont été très durs ; on a des limites ; actuellement, je ne cherche plus d’accompagnement.

Autre question : est-ce que l’accompagnement ne sert pas aussi à se préparer à sa propre mort ?

MS : les actions totalement désintéressées n’existent pas.

Autre question ; êtes-vous vous-même accompagnée ?

MS : heureusement ! Et je suis, en plus, formée par les patients. Il y a faire un travail sur soi, et en équipe (cf. groupe Balint ces 9 dernières années, pour les échecs relationnels). Il y a des groupes de paroles pour les accompagnateurs bénévoles.

Quelqu’un de très malade ne me fait plus peur ; l’accepter fait exister, donne des valeurs.

Une infirmière : j’ai accompagné un ami en fin de vie, c’est vertigineux ; le moment de la mort est irracontable, mystère qu’on ne peut résoudre : où est-il maintenant ? On ne sait.

Je l’ai accompagné et je sais pourquoi : avant, j’ai une amie qui s’est pendue ; c’est pour rééquilibrer que j‘ai fait cet accompagnement, ce travail sur ce mystère de la mort.

MS : cette initiative d’accompagner, il ne faut pas en écarter les enfants.

Il y a une dimension de réparation, un accomplissement, de la réciprocité (cf. troc de Pierre Rabhi). L’être humain n’est pas solitaire.

L’infirmière : je remercie cet ami de m’avoir laissé l’accompagner.

MS : il vous a fait l’honneur de mourir dans vos bras.

Autre question : combien d’équipes sont formées aux soins palliatifs ?

MS : cela se met en place actuellement au CHU : quelques lits, en plus de l’équipe mobile. Il y a d’autres lits au Mas de Rochet, à la clinique du Parc et à Clémentville. C’est très parcellaire, selon les médecins et les services. Il faut  ajouter les soignants à domicile. Mais l’accompagnement reste le parent pauvre.

Le jeune colombien : il faut être bon avec soi-même pour être bon avec les autres. La formation est-elle nécessaire ?

MS : il est impossible d’entrer à l’hôpital sans formation.

Des sessions de formation à l’accompagnement bénévole sont organisées par des associations laïques, ce qui n’empêche pas un bout de chemin spirituel et le recours à des spécialistes si nécessaire. On n’impose pas ses convictions.

Autre question : doit-on dire à la personne qu’elle va mourir ?

MS : cela ne s’improvise pas et on n’a pas de certitude sur le moment de la mort ; on peut demander « de quoi as-tu besoin ? » On fait du mieux qu’on peut et on fera mieux la prochaine fois.

JJ souligne l’intérêt d’une équipe de relecture.

MS : la vie ( ?) me surprend toujours ; ce qui compte c’est d’aimer son prochain comme soi-même.

Un médecin : j’ai longtemps travaillé avec Martine Siffert. La morphine (mort-fine) a longtemps fait peur. On ne doit pas pourtant se priver d'utiliser des antalgiques efficaces.

X : maintenant, on ose parler du cancer mais la mort, certains ne veulent pas en parler.

MS : les gens sentent qu’ils vont mourir ; et on leur dit que non ; c’est du déni.

L’accompagnement n’est pas réservé à la fin de vie. Osons saisir les perches que l’on nous lance. Le moment de la mort inquiète ; je dis à ces personnes : vous avez fait le plus dur ; il ne reste plus qu’à lâcher prise.

JJ : j’ai vécu la perte d’une sœur en Tunisie ; cela a duré 6 mois, mais cela a permis un accompagnement familial exceptionnel.

Une jeune infirmière (5 ans de pratique à Mas de Rochet) : la vie c’est important jusqu’au bout ; dans les derniers moments, on a des choses à régler dans sa  vie, comme des conflits familiaux qui peuvent remonter à l’enfance.

X : un ami qui avait été « un bon vivant » souffrait trop vers la fin de sa vie ; il disait  « je  suis une chimie » ; il percevait sa déchéance.

Une infirmière : il est important d’être prudent : des gens qui demandent à  mourir changent d’avis. La reformulation est importante. Le cas de l’enfant qui voulait éloigner sa mère me pose problème.

JJ : je peux citer le cas d’un enfant qui a attendu que sa mère parte aux toilettes pour mourir.

Le jeune colombien : le suicide est une fuite, fuite de ce qui fait peur ; cela renvoie à l’angoisse des jeunes. Pablo Coelho raconte l’histoire de 2 pompiers partis éteindre un feu dans la forêt ; l’un est sale, l’autre est propre. Il y a une rivière ; le propre se lave le 1er, se croyant aussi sale que l’autre. On se construit à partir de la ( ?) des autres.On construit sa propre image à partir de celle que nous montrent les autres

CONCLUSION 

Nous avons tous certaines qualités requises par l'accompagnement de fin de vie : qualité de présence, sens de l'écoute, disponibilité, respect de l'autre, de son rythme, de ses besoins, de ses désirs. Si nous le souhaitons, nous pouvons les développer davantage en nous formant auprès d'associations de bénévoles d'accompagnement. Ainsi nous lutterons contre la solitude de celui qui meurt, et nous tenterons d'apprivoiser l'idée de notre propre mort, en refusant le tabou qui dénie et escamote aujourd'hui l'incontournable fin de la vie.



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