La prison, les détenus, leurs familles : quelle vie ?

Témoignage du président de l'AVISO (Association montpelliéraine pour la Visite et le Soutien aux détenus et de leurs familles) : Bernard Allemand.


Appel au débat:

arbre

La prison est un monde clos. Quelles relations peuvent avoir les détenus avec le monde extérieur, la société et leurs familles en particulier ?


Quelles sont les difficultés que rencontrent les familles des détenus et comment y répond l’institution pénitentiaire ?

 Quelles sont les associations qui s’intéressent au sort des détenus et à leurs familles et quels rôles jouent-elles ?

Vous avez des opinions affirmées sur la prison et l’application des peines, ou vous vous interrogez sur la prison et ce que représente la peine pour les familles aussi, venez en débattre.




Le débat :

Témoignage

"A la retraite j'ai cherché une activité bénévole et si j'ai choisi les prisons c'est parce que les détenus me semblaient isolés et surtout parce que beaucoup d'idées préconçues circulent à leur sujet.

Je suis devenu membre bénévole d'AVISO, qui regroupe une quarantaine de membres, et dont l'activité principale est l'accueil des familles. Parallèlement je suis devenu visiteur de prison, ce qui ne dépend pas d'AVISO.

L'accueil des familles : à la prison de Villeneuve les Maguelone, l'association dispose d'une salle dédiée à cette activité (de 8h à 17h) et qu'il faut entretenir et maintenir accueillante. Toutes les prisons ne bénéficient pas d'un tel local : aux Baumettes, par exemple, les familles doivent attendre dans la rue.

Notre rôle est d'écouter, échanger, soutenir moralement les familles des détenus, et de les aider dans leurs démarches administratives ou matérielles (aider à confectionner les colis de linge)
bassin chaz
Cet accueil est nécessaire car les familles sont aussi touchées que les détenus eux-mêmes. La première incarcération est toujours dramatique et même si certains semblent "habitués", telle cette femme mère de cinq garçons qui a régulièrement depuis vingt ans, un fils incarcéré, les parloirs ne sont jamais faciles : très souvent les familles redescendent en pleurs.

Le livre d'or de l'association montre que les gens sont reconnaissants.de notre présence.

Pénétrer dans la prison :  pour entrer il faut un laisser passer qui n'est pas acquis automatiquement : seuls les élus ont un droit acquis. Les gendarmes, les policiers de l'identité judiciaire les avocats et les visiteurs peuvent voir les détenus au parloir des avocats.

Un certain nombre de visiteurs animent des ateliers et sont en contact direct avec les détenus : ateliers de lecture, de code de la route, enseignement, moniteurs sportifs ou plus spécialisés comme langue française ou informatique.

Les aumôniers (catholique, protestant ou musulman) ont un statu à part : ils vont voir les détenus dans leur cellule (comme les élus). Aviso, association laïque, les connaît mais n'a pas de liens structurels  avec eux.

Un visiteur doit être agrée par l'administration après enquête des Renseignements Généraux. Un ancien détenu ne peut être visiteur.

On affecte à un visiteur de un à cinq détenus, en général trois dans une demi- journée. On ne donne aucun renseignement sur le détenu qui se présente lui-même. Il a fait la demande d'une visite, informé par un prospectus remis à son arrivée, mais surtout sur les conseils de l'assistante sociale ou d'un psychologue. Ce sont généralement des hommes qui ont peu de visite soit parce qu'ils sont éloignés de leur famille, soit en rupture avec elle. Il y a aussi beaucoup d'étrangers (en raison des arrestations au Perthus pour trafic "d'herbe"), ce qui pose des problèmes de communication : il faut trouver des personnes parlant la langue des détenus. Actuellement la population carcérale voit augmenter les effectifs de l'ex Europe de l'Est.

La question pour le visiteur est toujours de savoir si le détenu va venir. Certains sont fidèles, d'autres disparaissent épisodiquement ou définitivement : sans doute ne correspondons-nous pas à leurs attentes ? Beaucoup demandent que l'on donne des nouvelles à leur famille : message écrit ou verbal (ce qui entraîne un lien visiteur-famille).

Il y a une différence d'âge et de milieu social entre le détenu et le visiteur mais cela n'empêche pas le dialogue.

Lorsque le détenu revient, on peut penser qu'il y trouve son compte, quelque fois certains remercient… mais on travaille dans l'inconnu.

Il y a une insatisfaction : celle de la réinsertion, on ne sait pas ce qu'ils deviennent dehors, on a parfois la déception d'en voir un retomber.

D'autres associations oeuvrent au sein de la prison : Relais enfants parents (pour maintenir les liens entre le père et ses enfants visites soumises à l'autorisation du juge)– La Cimade qui s'occupe des papiers des étrangers –Auxilia (enseignement gratuit par correspondance) Genepi : groupement étudiant pour enseignement Le Courrier de Bovet : pour l'échange de correspondance)"

Le débat :


NB :  tout au long du débat, on ne parle que d'hommes car Villeneuve les Maguelone est une maison d'arrêt pour hommes. Les femmes sont à Nîmes

Question/ Sur  la modalité des visites (question posée par une future visiteuse en contact épistolaire avec des détenus après un atelier de musique dans leur prison)  comment se passent les visites ? que peut-on apporter ?

R/ Son statut sera celui d'un visiteur familial. Les modalités peuvent changer d'une prison à l'autre selon que l'on est en maison d'arrêt ou en maison centrale. Dans une prison ancienne le parloir peut être une salle commune et la durée du parloir est imposée (trois quarts d'heure). On entre en groupe de personnes en passant sous des portiques détecteurs. En principe on ne peut rien apporter sauf pendant la période de Noël où l'on a droit à un colis de 5 kg qui ne doit contenir ni papier alu ni alcool.

Q/  Les enfants peuvent visiter leur père comme le reste de la famille (avec l'autorisation du juge)?

R/ nous ne sommes pas formés à l'accueil des enfants, nous ne sommes pas non plus une garderie et nous essayons d'expliquer aux familles qu'il est mieux que les enfants participent aux parloirs.

Q/ Pourquoi va-t-on en prison ? : les détenus ont commis des délits (condamnés) ou sont supposés en avoir commis (prévenus en détention provisoire avant un jugement.)
fnêtre chaz
R/ On pose la question de la légitimité des lois mais elles sont nécessaires à toute vie en société et quand on enfreint la loi, on encourt une sanction. Il faut bien protéger la société.

Q : Cependant la prison outre l'exécution d'une sanction devrait préparer la réinsertion dans la société à la fin de la peine

R/ Il est difficile d'aider un détenu : après quelques semaines le visiteur est perçu dans son rôle (ni avocat, ni prêtre ni surveillant) le dialogue peut s'établir, mais il faut beaucoup écouter.

X : Nombre de détenus n'étaient pas insérés dans la société avant leur incarcération (témoignage d'une personne ayant fait un mémoire universitaire sur la question) on ne peut donc parler de réinsertion : il faut trouver une place dans la société. Très souvent ces personnes ont été t en échec scolaire et en situation de précarité.

R/ quand on n'a pas de formation ni de soutien familial, la réinsertion est difficile. L'administration a peu de moyens.

            Les peines : actuellement il y a beaucoup de condamnations de courte durée (2 mois): or, ces peines ne servent à rien et même sont néfastes. Il faudrait réfléchir à d'autres alternatives (amendes, suspension du permis de conduire, travaux d'intérêt général) mais la loi court après l'opinion qui dit "bouclez-les". Et l'on souligne ici que se joue notre responsabilité pour agir sur l'opinion et minorer l'action des associations de victimes qui sont très virulentes.

Par ailleurs beaucoup de délinquants sont des malades psychiatriques dont la place ne devrait pas être en prison mais en hôpital.

            Certains détenus sont dans le déni de leurs actes, d'autres au contraire disent "on paie".

On souligne qu'à Outreau on a condamné des innocents, ce n'était pas un déni. On prononce en France 400 indemnisations par an pour emprisonnement abusif.

Mais ce qui choque le plus  les prévenus c'est qu'ils ne savent jamais quelle sera leur peine. Effectivement elle peut être variable selon le tribunal : pour un délit de drogue cela peut aller de 3 à 6 ans, c'est ressenti comme une injustice

Q/ Les conditions de détention : des émissions radio ou TV  avec Robert BADINTER ont dénoncé les conditions actuelles d'incarcération : les prisons sont la honte de la République.

R/ Le prochain président de la République aurait à présenter des projets.
Les détenus sont à 2 ou 3 dans des cellules de 9m2, enfermés toute la journée. La TV est payante

Q/ La société prononce une peine de privation de liberté, elle ne devrait pas s'accompagner d'autres choses: humiliations, atteintes à la dignité

R/ les abus ne sont pas vrais partout et il faut dire qu'il n'est pas toujours facile d'encadrer des détenus. Certains ne veulent pas aller en promenade car ils craignent la violence de leurs co-détenus
Certains surveillants jouent un rôle important pour la réinsertion des détenus.

R/ Nous avons notre rôle à jouer en luttant contre les idées reçues qui circulent : prison 4 étoiles…

            Les détenus et "l'extérieur" : on se demande quelle image les détenus ont de l'extérieur. Ils ont la télévision et sont donc au courant mais" les longues peines" sont très déconnectés et la sortie est toujours un choc terrible et il est très difficile de se réadapter. Les longues peines ont peur de sortir.

Une visiteuse témoigne : on me demande "que ressentez-vous  quand vous entrez dans la prison ?" Quand on n'y est jamais allé on imagine… mais ce qui impressionne c'est le bruit de la porte qui se referme derrière soi. On franchit quatre portes successivement, que quelqu'un doit ouvrir pour vous, puis on rencontre des gens qui ne sont pas différents de nous, ils disent leurs joies (parfois) leurs peines, ils ont les mêmes réactions que nous, c'est une rencontre comme une autre. Souvent ils sont jeunes : je me sens avec des fils, des frères. Au début on m'a demandé de devenir visiteuse à cause de ma langue maternelle : je suis hollandaise. J'avais demandé six mois d'essai, il y dix ans de cela.. Je n'ai pas de motivation religieuse.

Une autre ajoute : AVISO est une association laïque, si j'y ai adhéré c'est par humanité. Mais sans la foi je ne serais peut-être pas allée à AVISO, et je ne regarderais pas les gens que j'y rencontre de la même façon.

AVISO manque de bénévoles, d'autres associations ont besoin de talents et l'on peut contribuer de différentes manières : celle de la correspondance (d'après un témoignage) est facile à accomplir. A nous de jouer !

L'animatrice de la rencontre a proposé, en guise de conclusion, le texte suivant : la  prière d'un taulard.

Annexe 1

Mon cri arrivera t’il jusqu’à Toi ?eglise
Dieu ? Peux tu entendre ma prière ?
Mon cri arrivera t’il jusqu’à Toi
Malgré les murs, les verrous, les grilles
Et les chemins de ronde ?
Quand aurai-je donc un parloir avec Toi ?
Quand me demanderas tu au jour de la visite ?
Tu sais, il y a des jours où l’angoisse me prend
Est-ce que tu peux faire attention à moi ?
Dieu ? peux tu entendre ma prière ?
Mon cri arrivera t’il jusqu’à Toi ?

Annexe 2

 prison
Ce document est extrait  du n° 137  (9 novembre 2006) d' Église en Pays d'Hérault p 8 à11 sur "La prison avec Dieu

Le débat continue :

Colère silencieuse,

Depuis un an j’ai découvert la misère humaine en prison, allant voir un jeune qui pr délits en réunion, parfois fait la peine pr d’autres. Je suis en colère parce que l’on est tous plus ou moins glacés par l’attente, la peur d’être faible devant le détenu, l’espérance que je veux apporter car malheureusement il y a d’autres manières de « faire payer » le délit ! il est seul de plus en plus seul, il espérait en ma fille qui elle, ne comprend plus pourquoi fréquenter ce détenu suite à des conversations entre jeunes élevés ds la coton ! je suis en colère devant les idées reçues de ces jeunes à qui il n’a manqué de rien, si leur manquent-ils d’avoir moins ? il espérait tellement en elle, son visage s’éclairait, maintenant c’est la haine qu’il a : comme jugé une deuxième fois ! mauvaises fréquentations sait dire maintenant notre fille ! bien sûr si tt le monde réagit comme ces jeunes et maintenant notre fille ! pestiféré il est ! je suis en colère, oui très en colère ! quel travail reste-t-il encore à faire ! ns continuons à essayer de lui donner de l’espoir, quel espoir puisqu’il n’y a plus , moins, même pas du tt de notre fille la même action puisqu’elle s’est laissée influencée : il recommencera…sa souffrance est grande puisque bien entendu enfance difficile ! pr moi ce n’est pas la solution : il y souffre, a été soumis, humilié : le monde de la prison. Je reste en contact en le visitant et lui donnant tant que je puisse l’espoir d’un bout de tunnel, il s’automutile, j’ai téléphoné pr le signalé , son avant bras étant trop abîmé et le désir de se supprimer. Comment peut-on le laisser ? puis tte cette atmosphère de peine, chagrin, pleurs ensemble au parloir ou à la sortie ! quelle bouffée d’air avons-ns les visiteurs de sortir pr inspirer !  

Dan

dan.pa@wanadoo.fr

Strasbourg

            Il y a 12 ans j’ai intégré l’association d’accueil des familles et amis des détenus à la Maison d’Arrêt de Strasbourg. Un membre de mon équipe ACI quittait la ville et me proposait de la remplacer dans ce lieu. ‘Il s’agit d’accueillir les personnes proches des détenus, de créer un espace de décompression avant le parloir, un moment d’écoute afin de maintenir les liens familiaux : facteur important de réinsertion’ me dit-elle.

            Pour moi c’était l’inconnu. La prison c’était l’intérieur et les familles on en parlait pas beaucoup ! J’étais réticente : ‘ce doit être difficile. Je ne serai pas à la hauteur et autour de moi j’entends :’qu’est-ce-que tu vas faire avec ces gens-là ; la plupart l’ont bien mérité, bien cherché ! donne donc ton temps à ceux qui le méritent !.

            J’ai fait le pas. Une demi-journée dans la salle d’accueil me fait sortir de ma bulle et regarder un monde différent : ceux qui portent l’opprobe de la faute du détenu, des ethnies différentes se côtoient avec leur culture, leur religion etc…enfin l’autre celui qui subit le regard méprisant et le jugement sans appel des familles, des proches, du quartier. Car la faute prend toute la place de la personne proche du détenu et rejaillit sur lui et sa famille.

            Je vois des gens angoissés, honteux, désemparés, désespérés et pauvres dans tous les sens du terme, noyés, emprisonnés aussi dans toutes les difficultés du quotidien (*argent : payer l’avocat, le loyer, les factures* le chômage* les enfants et l’école, l’échec scolaire) et le rejet parfois de la famille.

Je découvre le courage et la persévérance des familles qui fidèlement pendant des mois et même des années (les enquêtes sont très longues) viennent pour 1H de parloir, 2 à 3 fois par semaine et parfois de loin, la solidarité entre certaines familles et le rejet parfois des proches. Dans ce lieu la personne isolée par ce rejet trouve un lieu d’écoute, un lieu de paroles si elle le désire. A nous d’être disponibles sans a priori, sans jugement, sans conseil que l’on ne demande pas. Seulement ECOUTER .Ceux qui entrent dans cette salle savent que notre regard ne porte aucun jugement, que nous les accueillons avec respect et que nous sommes tenus au secret professionnel. Je découvre le désespoir des familles après le jugement ou les transferts et leurs sentiments d’injustice.

Bien des couples ne résistent pas à l’incarcération. Mais certains essaient de faire face en partie pour les enfants.

Mais je partage aussi la joie des libérations et des permissions et aussi l’inquiétude ‘comment revivre ensemble’, peur de la récidive, de la drogue, des bandes qui attendent !

            J’ai accompagné pendant des années des enfants  près des parents incarcérés (un mineur ne peut aller seul au parloir), les familles cassées (le veto du juge dans certains cas à la famille). Nous prenons le relais car garder le lien parental est primordial. Cette rencontre doit être sereine, surtout pour l’enfant qui n’a pas à subir les conflits conjugaux, récriminations et violences verbales. Il faut ramener le calme, le rester soi-même et revenir sur le terrain de l’enfant.

J’ai donc eu une approche de la vie du détenu, de ses rancoeurs, de ses espoirs, de sa révolte contre la société et de ses sentiments d’injustice.

Des difficultés j’en rencontre, difficultés de communiquer

·        avec toutes les ethnies que je côtoie, les langues, les cultures ;

·        les façons de parler avec agressivité sous-jacente parfois, le ton

·        le sans-gêne

·        les manières de relativiser les faits

·        les relations mère-enfant parfois brutales.

Nous rendons de petits services concernant le dépôt de linge, les permis de visite à remplir, prendre des RV aux bornes électroniques : certains ne savent ni lire ni écrire.

Nous essayons de tempérer les relations familles-surveillants qui sont parfois pris à partie et doivent garder leur calme. Hélas pour certaines familles la prison est leur quotidien et parfois sur plusieurs générations.

Notre association Caritas-Secours Catholique, accueil des familles de détenus, a créé il y a quelques mois un espace Parents-Enfants animé par une éducatrice spécialisée qui propose un lieu de socialisation entre les générations, un lieu de parole, de découverte de soi-même aussi bien pour les parents et pour les enfants à travers le jeu, le bricolage, la parole, le dialogue. Il s’agit de recréer les liens parents-enfants.

Ne pas réduire une personne à sa faute c’est difficile car certains actes sont terribles. Se rappeler alors que Dieu crée l’homme à son image.

Moi je cherche le coin de ciel bleu et prends le parti pris de l’espérance.

 

                                                                                                                                                                       M.B



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