la vieillesse est-ce gérable ?
Débat à partir du témoignage du Dr Jean Claude CADILHAC (ALMA)
Appel au débat :

La vieillesse est-ce gérable? Posez cette question à des septantenaires, la plupart vous répondront, ça
va bien. Quelques misères bien sûr, mais on fait face. Je ne me sens pas vieux.
Puis vous aurez vite deux témoignages extrêmes : Ma mère à cent ans, elle
fait ses courses, prépare ses repas ou Ma mère à cent ans elle a complètement
perdu la tête, c’est très dur pour elle et pour tout le monde.
Alors, l’une a-t-elle bien géré la vieillesse, l’autre non ?
Existe-t-il des recettes pour bien vieillir ? Ou simplement l’une a eu
plus de chance que l’autre ? Ça sera l’objet du débat qui nous amènera à
aborder une série de questions.
- Vieillesses et maladies, peut-on les prévenir ?
- Vieillesse et dépendance : Y a-t-il une bonne recette pour la personne âgée et pour ceux qui vont
devoir aider cette personne ?
- La solidarité familiale a-t-elle ses limites ?
- Y a-t-il une bonne politique et une mauvaise pour aider les personnes
âgées à gérer leur vieillesse ?
- Nos vieux sont-ils bien traités ou mal traités ?
Le débat (17 11 09 à la brasserie du Dôme) :
C R du
Témoignage :
Mon intérêt pour cette question est en lien avec mon engagement à ALMA (réseau d’écoute de la maltraitance).
Qu’est
ce que la vieillesse ? Ce n’est pas évident à définir ! Il faut
distinguer vieillissement (usure progressive tout au long de
notre vie) et vieillesse.
La
vieillesse peut être défini par rapport à l’âge, mais ce critère est
mal défini : 60 ans pour la retraite, 65 ans pour l’OMS, 75 ans
pour le Conseil Général, …
La vieillesse peut renvoyer à l’handicap.
En
psychiatrie, on parle d’économie psychique : désinvestissement /
réinvestissement. On vieillit si l’on a des difficultés à compenser les
pertes (réinvestissement difficile). Mais ceci est très subjectif : on
peut réinvestir en regardant la TV.
Pour
en revenir au handicap, il faut parler de « personne en situation de
handicap » car il y a à prendre en compte la déficience +
l’environnement : l’isolement, un appartement non adapté par ex sont
des facteurs aggravants de la déficience.
Il
y a différents types de handicap mais c’est l’handicap mental qui est
le plus représenté (cf. maladie d’Alzheimer). Celle-ci représente
80% de la situation de dépendance et croît avec l’âge : 1 personne /8
entre 80 et 90 ans, et 1 personne / 4 pour les hommes, 1 personne / 2
pour les femmes au-delà de 90ans.
La vieillesse est-ce gérable ?
La
prévention s’effectue par le dépistage des maladies, les vaccinations,
l’équilibre de la nutrition, la limitation du tabac et de l’alcool, la
prévention des maladies cardio-vasculaire.
Les
maladies vasculaires constituent une lourde part du handicap. On pense
actuellement qu’il y a un lien entre la maladie d’Alzheimer et les
troubles vasculaires.
Le
traitement de l’ostéoporose, une activité physique, une vie culturelle,
… contribuent au bon vieillissement (cf. les 5 piliers du bien
vieillir).
L’environnement
est donc à préserver par une vie relationnelle riche, la participation
au milieu associatif, l’environnement familial, la solidarité familiale.
Mais on ne peut tout programmer ; il y a aussi la fatalité.
Il faut néanmoins se préparer au vieillissement, à la maladie et y préparer nos enfants.
Changeons notre regard sur la personne âgée.
On reste maître de sa dépendance lorsqu’elle est physique ; ce n’est pas le cas lorsque la santé psychique est atteinte.
L’homme n’est pas fragmentable : il est corps et esprit.
Il faut faire confiance dans les progrès de la médecine. Il y a aujourd’hui une qualité de vie pour les personnes âgées.
On peut entendre dire : le vieux, ça sent la mort ; mais la mort n’attend pas toujours la vieillesse.
On
a le cliché que la personne âgée souhaite mourir dans son lit et
entourée de sa famille. Mais la réalité est différente, les personnes
âgées pensant que l’on est mieux soigné à l’hôpital quand on souffre.
Les vieux ont des droits (cf. charte ci jointe : vieux et libres).
Réussir
la rencontre de la personne âgée, c’est être avec elle (dans un moment
précis) et pour elle (ce qu’elle attend ou aurait aimé).
Les
meilleurs aidants sont les conjoints et les enfants. Il s’agit d’être
attentif à la personne âgée et de l’aider à gérer sa dépendance en
compensant son handicap (il ne s’agit pas d’assistance).
Pour bien rencontrer, il faut 3 choses :
- un savoir sur la maladie
-
un savoir faire : exemple : se mettre en position latérale si la vision
centrale est atteinte, ou en face en cas d’atteinte de la rétine, gérer
les troubles de la déglutition.
- un savoir être.
L’aidant
fait face plus facilement si l’aggravation de la dépendance est rapide
que si celle-ci est progressive ; on a du mal à faire le deuil.
Il peut y avoir une inversion des rôles parents/enfants.
La
cohabitation est parfois très difficile. L’aidant familial se
culpabilise s’il ne se sent pas performant ; il culpabilise de partir
en vacances, de placer son parent en institution.
Nos vieux, malades, nous élèvent en humanité et nous aident à devenir plus accueillants.
Le débat :
X : Je retiens
l’invitation à changer de regard sur la personne âgée, les droits de
ces personnes (la charte accompagnera le CR sur le site «http:/
aucafedelavie.free.fr ») être avec et pour, comment gérer la
dépendance, repérer la personne qui s’enfonce doucement, ...
X
: Je connais le cas d’un ancien militaire (96 ans) qui gère lui-même la
maladie d’Alzheimer de son épouse et refuse toute aide : « je suis
maître chez moi ». Cela va vers une clochardisation dramatique. Si on
laisse faire, n’est ce pas de la non-assistance à personne en danger ?
J-C
C. : la maltraitance peut s’évaluer (cf. association ALMA). Il y a une
solution : prendre d’autorité la personne âgée et malade au motif
d’hospitalisation. Et après ? On risque d’engager un mal pire. Va
t’on dans le sens du désir de cette personne ? Elle ne souhaite pas
sans doute être séparée de son mari. Laissons donc faire.
X
: Au début de la retraite, on a du temps de libre : on pourrait
s’investir auprès des personnes âgées isolées, en échange de soins pour
soi-même plus tard (don / dette) ; il pourrait y avoir un autre type de
compensation par l’acquisition de points de retraite supplémentaires.
X : le groupe Mornay le fait et des mutualistes sont formés pour faire des visites à des personnes de plus de 80 ans.
X
: Comment peut-on expliquer que le nombre de femmes atteintes par la
maladie d’Alzheimer soit le double de celui des hommes au-delà de 90
ans ?
J-C C. : Cette prévalence est inexplicable aujourd’hui.
X : Pouvez-vous préciser comment préparer les enfants ?
J-C
C. : Il s’agit d’éviter de ne pas vouloir voir les dangers. Dire par
exemple : si demain je ne marche plus, qu’est ce que vous ferez ?
On
recule trop parfois le placement en maison de retraite. Les usagers de
ces maisons ont des droits à faire respecter. Il faut signaler la
maltraitance. La triangulation famille/malade/personnel n’est pas
facile à gérer.
Il faut savoir que le maintien à domicile demande d’énormes moyens 24h/24 : il s’agit de 3 plein-temps, impossibles à gérer.
X
: Il faut savoir que les associations d’aide à domicile ont des
personnels mal formés qui peuvent déclencher des situations dramatiques
; il y a de graves lacunes.
J-C C. : Il y a des demandes de formation : nous intervenons pour
que l’on passe de la maltraitance à la bientraitance.
Le problème, c’est que la maladie d’Alzheimer devrait être soignée à l’hôpital. Or, cela se passe en maison de retraite.
On n’a pas voulu voir :
-
le vieillissement de la population : on gagne un trimestre de longévité
tous les ans, donc un an tous les 4 ans. Cela entraîne une augmentation
de personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer
- le baby boom d’après 1945 qui accroît le nombre de malades.
X : Connaissez-vous « les maisons de baba-yaga » ? : Entraide de femmes.
J-C C. : Le solidarité inter générationnelle est nécessaire.
X
:il est difficile d’accompagner en maison de retraite. C’est dur de
faire le deuil de la qualité de la vie. Les personnes sont précipitées
dans l’incontinence. Le personnel n’est pas toujours motivé et est
fragilisé. Des vieux sentent qu’ils ne servent à rien et on leur
propose des occupations infantilisantes.
J’ai
vu dans « Le Monde » qu’en région parisienne des femmes post 68
construisent en commun des lieux de vie intergénérationnels. Il est
important de contribuer à conserver l’autonomie.
J-C
C. : Il y a de la maltraitance dans ce que vous avez vu en maison de
retraite. Le problème, c’est qu’après 6 mois dans l’institution, on ne
voit plus les dysfonctionnements, comme par exemple les heures des
repas du soir et du coucher.
Heureusement, il y a des demandes de qualité qui sont satisfaites maintenant.
X
: Il y a une problématique dans les maisons de retraite : doit-on
attacher les personnes ou prendre le risque qu’elles tombent ? C’est de
la maltraitance dans un sens comme dans l’autre.
J-C C. : Il vaut mieux prendre le risque de la chute, hors les cas où la contention est prescrite sur l’ordonnance du médecin.
X : Il y a des institutions on l’on signe l’acceptation du risque.
J-C C. : Dans un autre domaine, vouloir étendre la pratique des bracelets électroniques est un réel danger.
X
: Maman est à la maison ; au départ nous avons voulu assumer le risque
de chute en la laissant se lever la nuit ; puis nous avons arrêté,
suite aux conséquences des chutes.
X : Est ce qu’il ne manque pas d’intermédiaires entre les familles et les maisons de retraite ?
J-C C. : Cela existe et c’est institué par la loi.
X : Le coût d’une place en maison de retraite est inquiétant : 2300 euros par mois.
X
: Je m'inquiète des menaces sur le droit à la santé. Une personne de 84
ans qui souffrait beaucoup a été renvoyée pendant plusieurs mois d'un
généraliste à un oto-rhino, à l'hôpital. En fait elle avait un cancer
des sinus et il a fallu qu'elle aille à Ganges pour qu'enfin on la
prenne en charge. Pour une autre qui a fait un malaise alors qu'elle
était en maison de retraite, c'est le SAMU qui ne voulait pas la
réanimer. J'ai entendu que les personnes de plus de 64 ans ne sont pas
prioritaires pour le vaccin contre la grippe A.
Jusqu'à quel âge accepte-t-on de soigner les personnes âgées?
J-C C. : Ne pas soulager une souffrance est une faute.
X : C’est un problème de société. Que voulons nous pour demain comme solidarité ?
J-C C. : On ne doit pas sélectionner les gens à soigner.
Mais
il faut gérer la santé : doit-on satisfaire tous les désirs de soins
exprimés alors que la santé n’est pas vraiment compromise?
Mais on ne peut décider qu’à un âge on ne doit plus soigner.
X : si on ne réagit pas, si on ne se préoccupe de la solidarité que quand on en a besoin, on va dans le mur.
Va-t-on créer un système où les pauvres auront à payer davantage ?
J-C
C. : C’est le philosophe et non l’économiste seul qui doit fournir la
réponse. Il faut élever le débat, dire que la dignité ne peut être
fragmentée.
X
: savez-vous qu’il y a un projet de loi qui prévoit que la prise en
charge médicale des résidents en maison de retraite serait à la charge
de l’établissement ? On parle de bientraitance alors que l’on a un tel
projet.
J-C
C. : Actuellement il y a un contrat tripartite pour les maisons de
retraite : Etat -Département – gestionnaire. L’institution peut dire
que ses moyens sont insuffisants mais quand elle a signé le contrat
elle avait connaissance des moyens qui seraient mis à sa disposition.
Il y a maintenant un médiateur résidents/EFAD qui a le droit de dire
son mot. Mais il y a des malades lourds dans des institutions légères,
le problème est là.
X
: Autrefois les anciens étaient entourés, aimés, et décédaient entourés
par l’amour de leur famille. Cela n’existe plus. On est dans l’égoïsme
: ceux qui encombrent on s’en débarrasse.
En
plus, économiquement parlant, il sera impossible de continuer à
entretenir des corps sans intérêt (délabrés). Il faut être réaliste :
les gens qui sont dans les maisons de retraite ont le sentiment
d’inutilité et sont traités comme des légumes. Quel intérêt à ce qu’ils
vivent, On les fait souffrir. On prolonge la vie pour le profit des
actionnaires et non pour le profit des résidents. Cela ne vaut pas le
coup de vivre lorsque l’on est en souffrance morale ou physique. Mais
on n’a pas le courage de se suicider.
J-C C. : C’est normal que la question de l’euthanasie apparaisse dans ce débat : parlons en.
X
: Ma mère est morte à 89 ans, après plusieurs années de démence sénile.
Nous avions dû la placer dans une maison spécialisée. Ce qu'a été ce
temps pour elle reste à jamais un mystère. Pour nous, ses enfants, cela
a été très dur mais je ne regrette pas ces mois de souffrance car ils
nous ont permis une réflexion féconde sur le sens de la vie, de la
mort. Et d'envisager autrement ma propre vieillesse….
X
: Ma mère perd son autonomie : elle ne marche plus seule et perd la
parole. Elle demande sans cesse au Bon Dieu de la reprendre. Elle est
pourtant très entourée par ses enfants et ses sœurs mais oublie
beaucoup les visites même récentes !
Il faut changer notre regard et voir les petites choses à faire, comme les visites de voisinage.
Mais le problème de la Sécurité Sociale n’est pas réglé.
X
: lecture d’une prière tirée d’un sketch de Raymond Devos indiquant que
demander où est Dieu renvoie à la question : où est l’homme ?
Se demander qu’est ce que nous devons faire, nous, pour les personnes âgées, et non ce que l’on doit faire d’elles.
J-C C. : la loi Léonetti indique que l’on peut soigner sans guérir. La question de la fin de vie est un vaste débat que l’on ne peut mener ici.
X
: C’est difficile de faire le tri entre sa propre angoisse devant la
mort, la souffrance et l’angoisse de l’autre. Le droit de
mourir dans la dignité était revendiqué par ma mère pendant 10 ans mais
au fond elle avait envie de vivre et elle est morte sereinement.
J-C
C. : Dire : « j’ai fait mon temps » veut dire « je m’ennuie
». Comment répondre à cet appel, voir les envies qui restent ? Ce qui
est prégnant, ce n’est pas l’angoisse de la mort mais la peur de la
souffrance.
L’envie
de mourir est un symptôme de dépression et non de vieillesse. Le taux
de suicide le plus élevé se situe entre 75 et 84 ans. Il y a un risque
de confusion entre la dépression et la maladie d’Alzheimer.
X : Quand on se sent inutile, quand on ne voit plus ses personnes avec lesquelles on a eu des liens …
J-C C. : Avant, c’était le régime du commandement, du devoir : tu honoreras père et mère …
La famille a changé ; aujourd’hui les enfants sont loin pour des raisons professionnelles ; c’est la réalité.
On
a une vision pessimiste de l’avenir : on ne croit pas que cela va
changer. Comment être porteur d’espérance ? On a calculé que le temps
réel d’attentio, à une personne en institution était de 10 minutes par
jour : est ce suffisant ?
Il y a des avancées dans le domaine médical et les problèmes vasculaires sont pris en compte pour la maladie d‘Alzheimer.
X : On parle de bientraitance. Il faut aussi faire tomber les tabous autour du désir, de la sexualité des personnes âgées.
J-C C. : Merci de l’avoir dit ; je suis tout à fait d’accord.
X : Peut-on préciser les 5 piliers du bien vieillir ?
J-C C. :
- des ressources suffisantes
- un logement adapté
- une vie culturelle,
- une vie relationnelle, associative
- l’estime de soi
X : on peut ajouter : une activité physique.
X : Y a-t-il un groupe qui se charge d’aider les aidants ?
J-C C. : Vous pouvez vous adresser à France Alzheimer (France Alzheimer Hérault, 24 cours Gambetta à Montpellier, tél. 04 67 06 56 10).
22h25 : fin de cette rencontre qui a fait salle comble.
Vous pouvez poursuivre le débat sur le mail : aucafedelavie@free.fr
Prochain café-débat sur les migrations, le 19 janvier à 20h30 au café du Dôme, 2 cours Gambetta à Montpellier
VIEUX ET LIBRES
CHARTE DES DROITS ET LIBERTES
DE LA PERSONNE AGEES DEPENDANTE
Fondation nationale de gérontologie, ministère du Travail et des affaires sociales 1996
1 Toute personne âgée dépendante garde la liberté de choisir son mode de vie.
2
Le lieu de vie de la personne âgée dépendante, domicile personnel ou
établissement, doit être choisi par elle et adapté à ses besoins.
3
Toute personne âgée dépendante doit conserver la liberté de
communiquer, de se déplacer et de participer à la vie de la société.
4 Le maintien des relations familiales et des réseaux amicaux est indispensable aux personnes âgées dépendantes.
Ethernaute : Vos reflexions nous
intéressent. Envoyez un
courriel à l'adresse suivante : aucafedelavie@free.fr.
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