Mondialisation & métamorphose du travail

LE TRAVAIL EN ENTREPRISE AUJOURD’HUI

Témoignage de Dominique SEAU (Président du groupe Eminence)

arbre

















Le débat (23 janvier 2013)

Introduction par Y Escouffier.

Le thème abordé cette année par les semaines sociales de France, est le résultat d’une réflexion de plus d’un an sur la mondialisation du travail qui nous a conduit à travailler sur la métamorphose du travail, la mondialisation n’en étant qu’un aspect.

Nous remercions le café de la vie d’avoir accepté d’inclure ce débat dans leur programme.

Le cercle Montpelliérain des semaines sociales, tiendra son assemblée générale mercredi 20 février 18h30 à la Villa Maguelonne et sera heureux de vous y accueillir.

Témoignage de Dominique SEAU.

Avant de vous parler de mon parcours et du groupe Eminence, je tiens à faire quelques remarques préliminaires.

Je ne suis pas conférencier. Je suis ici à titre personnel et les propos que je vais tenir n’engagent que moi et pas mon entreprise ni ses salariés qui ont le libre choix de ne pas être d’accord avec moi. Mes propos n’engagent pas non plus le mouvement auquel j’appartiens, le MCC (Mouvement Chrétien des Cadres). J’en profite pour remercier le père Albert Enjalbert aumônier de notre équipe St Roch de Montpellier qui est en ce moment à l’hôpital pour une grave maladie et je prie pour qu’il se rétablisse rapidement.

Après ce préliminaire, je vous dirais que :

- je suis président du groupe Eminence, entreprise n°1 français des sous-vêtements masculins et n° 1 en Italie, qui emploi 900 personnes en Europe dont 560 en France, 190 en Italie et 250 en Roumanie. Cette entreprise est la dernière à faire des sous-vêtements masculins en France. Il y a une usine à Aimargues ou y travaille 150 personnes en production et une autre à Sauves. Nous y fabriquons 2 millions de pièces par an. Je fais donc partie des entreprises de la région.

- Je suis également président du club APM (Association Progrès du Management) un organisme de formation des chefs d’entreprises et dans lequel on réfléchit sur le comment, c’est-à-dire comment le chef d’entreprise doit choisir,motiver et accompagner les hommes et les femmes de son entreprise. Dans cette formation, il y a aussi un volet sur la finance, et sur la compréhension de l’environnement (économique, sociétal, écologique).

- Je suis également président de la fédération d’un groupement international ( ?) qui représente 22 000 salariés en France.

Je vous dis tout cela non pour me venter, mais pour vous dire d’où je pars, et ce qui peut conditionner ma subjectivité. J’essais de vivre en harmonie avec l’évangile dans ma vie personnelle et ma vie professionnelle, et ce n’est pas facile.

Maintenant je vais aborder non pas la métamorphose du travail, mais de la mondialisation du travail à partir de mon expérience. C’est le témoignage d’une expérience que nous pourrons confronter dans le débat avec vos expériences.

Je dois dire d’abord que je suis né à Bagnol sur Cèze il y a 47 ans. Je suis donc gardois. J’ai été formé par l’enseignement public, lycée Gérard Philippe de Bagnol, baccalauréat à Nîmes, classe préparatoires au lycée Joffre de Montpellier, puis une école de commerce.

Je suis le fils d’une assistante sociale et d’un paysan qui voulait voir la mer et qui est devenu officier de la marine marchande et a assuré le transport de pétrole. Je suis le produit de mon éducation et de ma famille.

J’ai découvert à l’école de commerce, l’univers économique dans les années 1980 ; puis j’ai fait mon service militaire dans la marine.

Mon premier emploi, c’est un poste au bas de l’échelle chez l’Oréal pour vendre leurs produits. J’ai gravis des échelons et au bout de 4 ans, le marketing l’Oréal m’a proposé de partir en Russie pour créer et devenir premier directeur d’une branche de la marque à Moscou.

La Russie s’était ouverte au monde en 1992, et j’arrivais à Moscou en 1994 pour créer une entreprise. Premier boulot, trouver un local et recruter du personnel. Nous avons commencé avec quelques moscovites dans une chambre d’hôtel puis un local dans un bâtiment ou les rats attaquaient les câbles informatiques de nos PC.

C’est par le respect de l’égalité des places que c’est créer une équipe, bien qu’au départ les personnes ne maîtrisaient pas le métier qu’elles avaient à faire. Un jour j’ai proposés un deal à tous le personnel : si nous arrivons à faire 100 millions de francs à la fin de l’année, nous allons tous voir la tour Eiffel à Paris. Ces personnes qui avaient en moyenne 28 ans, travaillaient de manière extraordinaire et avaient envie de basculer dans un nouveau monde. Elles ont réussi de dépasser l’enjeu par un tour de force extraordinaire et nous sommes tous parti à Paris ce qui était nouveau pour ces personnes qui n’avaient jamais pris l’avion et n’avaient jamais eu de passeport. Tout cela pour dire que les relations humaines sont plus importantes que les objectifs à atteindre.

La Russie est un pays ou la pénurie était criante. La première fois que nous avons envoyé un représentant de l’entreprise pour vendre des produits dans un magasin de Moscou, le directeur du magasin a trouvé cette démarche tellement incongru qu’il a pensé que notre représentant venait faire un contrôle fiscal. En effet, penser qu’un industriel puisse faire un effort d’aller vers un magasin pour proposer des produits était impensable.

J’ai travaillé avec des pharmaciens, des ingénieurs qui faisaient de la production, mais dans le choix des représentants démarcheurs, j’ai mis l’accent sur les qualités humaines, l’intelligence et le sens d’adaptation des personnes, plus que sur la qualité d’assurer immédiatement un poste comme cela se fait en France.

Cette expérience forte et réussi en terme économique a fait passer l’entreprise en 4 ans de 30 personnes à 4000 et de 0 € à 150 millions d’€. Mais en 1998, en 15 jours le rouble a perdu 80% de sa valeur, et j’ai du licencier et dégrader 50% du personnel. Dans cette situation, j’ai refusé de délégué cette tâche à un autre cadre et j’ai assuré ces licenciements en regardant les personnes droits dans les yeux.

Ce fut très douloureux.

- Certaines personnes ne pouvaient pas parler. Il faut dire que ces salariés perdaient un emploi ou elles gagnaient en un mois ce que dans les autres entreprises les soviétiques gagnaient en 1 an et qu’elles ne pourraient plus faire vivre ses enfants, ses parents et ses grands parents dont les retraites avaient été massacrées par l’hyperinflation, ou ses frères et sœurs qui faisaient des études. Licencier ces personnes, c’était non pas mettre 1 personne sur le carreau mais 3 ou 4 générations.

- D’autres étaient paralysés par l’émotion et ne pouvaient rien dire, alors que je m’attendais à une réaction violente.

- D’autres me remerciaient pour les 3 mois, 6 mois, 1 an, 2 ans ou 3 ans qu’elles avaient passé dans l’entreprise et me disaient qu’elles me comprenaient et que je n’avais pas le choix. Oui il n’y a pas 30 % de mauvaise gens mais tu dois choisir. C’est tombé sur moi, ça tombe mal mais sache que si dans 1 mois, 1 an, ça repart et que tu as besoin de moi, tu peux m’appeler.

- Cette expérience m’a poussé 2 ans plus tard à quitter le groupe l’Oréal, car même si le groupe m’avait bien traité, je constatais que le groupe privilégiait surtout le capital alors que j’avais cru que le groupe m’avait permis de prendre soin du personnel. Ce n’est que 10 ans après que je suis retourné à Moscou par manque de courage d’y aller plus tôt  tant la douleur m’avait marqué. J’y ai retrouvé une vingtaine des employés qui m’ont accueilli comme si nous nous étions séparés la veille.

De retour en France le groupe l’Oréal m’a proposé de repartir au Philippine que j’ai refusé car ma femme refusait de me suivre Elle ne voulait pas revivre les 3 années ou nous étions protégés par des gardes du corps,

Le groupe m’a alors proposé un poste de directeur général au Danemark. Je suis alors passé d’un pays de 150 millions d’ouvriers pauvres et peu ou pas  démocratique, dans un pays de 5 millions d’ouvriers riches et très démocratique bien que ce soit une royauté. J’ai dû travailler pour maîtriser la langue, car à cette époque par exemple, les films à la télévision n’était ni doublés ni sous titrés en anglais. J’ai découvert au nord de l’Europe un monde extraordinaire.

Quelques contrastes observés :

- Dans le sud de l’Europe, le chef d’entreprise se comporte très souvent vis-à-vis de ses salariés, comme s’il était un père de famille, quelqu’un qui est sensé décider, qui montre la voie et que bien qu’il n’a pas toujours raison, le personnel n’a pas la parole pour lui dire qu’il pourrait y avoir une autre voie. En France, on ne peut pas aller contre le chef d’entreprise et critiquer ses choix. Le chef à toujours raison. Il ne peut être que bon pour le commerce, les finances, en ressources humaines et en informatique.

- En Russie le chef d’entreprise décide de tout. Il a la maitrise sur tout : votre travail  ou licenciement ; le travail de votre femme ; votre logement ; une place à la crèche ; l’école de vos enfants, vos vacances et votre salaire. Le chômage étant très élevé, il est difficile de dire non à ses méthodes de management, beaucoup plus qu’en France, en Italie ou en Espagne.

-En Scandinavie, j’ai découvert qu’un manageur à un rôle différent. Comme les gens sont bien payés ils ne courent pas en général aux augmentations de salaires car la fiscalité est forte et ce qui reste en net après impôts est négligeable. On ne peut pas stimuler les personnels par les augmentations de salaires. On ne peut pas non plus les menacer, car le chômage étant bas, ils retrouvent facilement un emploi. Les entrepreneurs ont perdu le pouvoir de la carotte et du bâton. C’est une illustration de ce que nous allons vivre avec les générations nouvelles. Le salaire et le licenciement des personnes ne sont pas des leviers suffisants pour avoir leur adhésion, leur motivation, et leur enthousiasme pour  fournir une quantité et une qualité de travail.

Les chefs d’entreprises doivent comprendre qu’il faut fournir à ses employés, un environnement du travail confortable, (cosy ? en anglais) c’est-à-dire des chaises confortables, un milieu bien chauffé, une usine bien situé, des relations entre collègues agréables, et que la vie professionnelle ne déséquilibre pas la vie du couple. Par exemple si vous réglez l’arrivée de vos collaborateurs à 8h, même les cadres vont partir à 16h. Autre exemple. Un chef de produit vient me voir pour un grave problème. C’était pour me dire que sa copine allait le quitter car elle pensait qu’il ne l’aimait pas pour la raison que contrairement à ses copains qui sortent à 16h lui arrivait à la maison à 18h.

Par de nombreux fait, j’ai constaté au Danemark comme ailleurs, que le travail n’est pas une valeur. Il faut dire que les jeunes ont vu leurs parents croire à l’entreprise et à sa pérennité et les ont vu se faire licencier. Les jeunes ne croient plus aux emplois permanents ni que l’on puisse faire confiance à l’entreprise.

Dans les pays Scandinaves, le travail est une relation temporaire. L’acceptabilité d’un poste dépend d’un certain confort et de la compatibilité de tout ce qui se passe autour. Pour garder les salariés, l’entreprise doit être capable de proposer à chacun un projet de développement personnel qui correspond à ses aspirations. Je ne parle pas d’un plan de formation, mais d’une écoute individuelle et d’un développement de carrière qui va lui permettre d’atteindre ses objectifs à lui. C’est au Danemark que j’ai vu des cadres compétents refuser des propositions de postes supérieurs à ceux qu’ils occupaient.

Au Danemark, la vision du travail et la vision du chef sont différents de ce qui se vit en France. Par exemple le chef d’entreprise n’est pas omniscient ni celui qui décide en premier. Le chef d’entreprise qui réussit est celui qui s’entoure d’une équipe compétente, qui n’est pas sûr des performances individuelles mais sait utiliser les compétences complémentaires. C’est celui qui écoute, parle en dernier et oriente vers le consensus. Cela prend du temps, mais lorsqu’une décision est approuvée, elle est immédiatement appliquée. En France, la décision du patron est rapide, mais elle est longue à être appliqué par l’équipe, car celle-ci trouve tous les prétextes possibles et imaginables pour la retarder.

J’ai passé à l’APM une journée avec une chef d’orchestre qui me disait que quand elle dirige un orchestre en Allemagne, elle a un orchestre de musiciens, alors qu’en France elle a un orchestre de solistes. Tous ces musiciens sont frustrés parce qu’ils estiment ne pas avoir été choisis et reconnus.

En France il faut s’interroger sur la formation des équipes. L’équipe n’est pas interchangeable, elle correspond au chef et le chef correspond à l’équipe. Le chef d’entreprise qui réussit est celui qui sait constituer une équipe et sait l’animer. On doit s’interroger sur le mythe du chef d’entreprise providentiel et qui a raison seul contre tous.

L’autre sujet que je voudrais aborder maintenant est celui de la révolution du travail liée à la révolution numérique.

Quand je suis sorti de l’école de commerce, je n’avais jamais eu un ordinateur personnel, mais seulement l’accès à une salle informatique. Et quand je suis entré à l’Oréal, l’entreprise jugeait que s’était un investissement inutile que d’équiper les chefs de projets.  Elle équipait en PC que les secrétariats et les secrétaires n’arrivaient pas à maitriser cet outil et continuaient à utiliser les machines à écrire et le papier carbone.

Michel Serre explique dans un numéro de Libération du 3 septembre dernier, que l’impact de la révolution informatique est vécu dans l’entreprise et dans la vie quotidienne, comme celle vécu à la chute de l’Empire Romain qui passe d’une culture orale à une culture écrite, et celle vécu à la Renaissance ou l’on passe de l’écriture manuscrite à l’écriture imprimée de masse.

Avec la révolution informatique, toutes les institutions sont en crise (entreprises, éducation, religions …) parce qu’elles sont impactés par cette révolution de la communication immédiate et n’arrive pas à s’y adapter. Notre société est dirigée par des dinosaures, de gens vieux qui ne maitrise pas cet outil et ont été formés dans une autre culture.

Les jeunes n’ont pas ce handicap, car il fonctionne avec cet outil par reflexes instinctifs selon l’adage prêté aux dirigeants de Google : « Trompez vous souvent, mais trompez vous vite ». Notre génération a été formé pour trouver la bonne solution et faire le bon choix, alors qu’aujourd’hui il n’y a plus de bonne solution ni de bon choix, il y a plusieurs solutions et  plusieurs choix, il faut essayer ; si ça marche tant mieux, si ça ne marche pas tant pis et on essai une autre solution. C’est une démarche empirique qui est un vrai défit, car comme je l’ai vécu au Danemark, les jeunes ne respecte pas l’autorité en tant que tel. Ils respectent l’autorité que s’il y a compétence et espace de liberté. L’entreprise doit leur laisser la liberté de trouver du sens dans leur fonction. Non du sens pour faire du profit et trouver des parts de marchés, mais du sens dans le service à la collectivité, à la société.

Au 1er septembre 2012, Eminence a connu une chute d’activité de 10%. Vu les marges bénéficiaires nous n’étions pas très loin de procéder à des licenciements. Il faut dire que les salaires les plus bas sont de 14% supérieur au SMIC et que tous ont en plus l’équivalent de 2 mois de salaires par des primes d’intéressement et de participation. Pour éviter les licenciements en France, j’ai retiré des volumes de production en Tunisie et au Bengladesh pour les réaliser en France. Les gens considèrent que c’est une bonne chose. Mais en tant qu’homme et chrétien il faut se poser la question suivante : vaut-il mieux priver de travail des tunisiens, bengladais, ou roumains qu’à des français qui ont des caisses pou indemniser le chômage? Quels sont les travailleurs les plus protégés ? Quelle est la valeur intrinsèque des salariés, français, tunisiens, … ? Qu’elle est la bonne solution ? Il faut s’opposer par tous les moyens aux licenciements boursiers. Mais pour la survie d’une entreprise, et des emplois immédiats et futurs, un licenciement honnête est transitoire est nécessaire. C’est exactement comme si vous demandiez à un chirurgien de ne pas opérer une appendicite parce qu’il n’y a pas un risque vital et qu’il faut attendre une péritonite pour opérer avec risque mortel. En effet lorsqu’une entreprise ne gagne plus d’argent, elle s’affaiblit et risque de périr. Le fait de refuser de couper les branches d’activités que le chef d’entreprise à tort ou à raison et il peut se tromper, juge qu’elle n’a plus d’avenir, empêche cet entrepreneur d’investir et de se développer sur des marchés pour créer de l’emploi et peut conduire au dépôt de bilan.

Le débat aujourd’hui sur la flexibilité et la sécurité du travail est important. Sur ce sujet, il faut faire attention à deux stéréotypes :

- Quand l’entreprise marche bien, on entend dire que les patrons sont pourris, ils s’en mettent plein les poches, il s’engraisse sur le dos des ouvriers et salariés

- Quand l’entreprise ne marche pas bien et licencie, les mêmes disent que les patrons sont des salauds, qu’ils mettent les familles dans la misère.

Entre les deux j’ai du mal à me situer. Au-delà de ces caricatures comment je dois faire ? En tant que chrétien, j’ai conscience des problèmes que je crée par mes décisions et je cherche à les résoudre au mieux de tous. Je vous pose alors la question, et nous allons en débattre, si vous étiez à ma place que feriez-vous ?

Débat.

Q/ Est-ce que Les entreprises Conessa et Elmer sont des bons exemples ?

R/ Je ne peux pas vous répondre. Par contre, à propos de Peugeot qui défraie la chronique, et bien que je ne connaisse pas la situation du groupe, je trouve paradoxal que Peugeot soit vilipendé alors que c’est l’entreprise française qui a gardé la plus grande partie de sa production en France. Le paradoxe est que l’on veut garder le plus d’emploi en France, et qu’en même temps on achète étranger. Qui n’a pas ici une voiture de marque étrangère ? Nous sommes donc aussi responsables que la famille Peugeot. On à tous un pouvoir de décision. Nous sommes très patriote sur le made in France, mais notre pouvoir d’achat nous contraint à des arbitrages qui fait que l’on ne peut s’offrir du made in France plus onéreux.

Peugeot comme Renault, ces 2 entreprises doivent aller chercher la croissance la ou elle existe et construire des usines en Russie, en Chine ou au Brésil. Faut-il le leur interdire, alors que ces usines donneront du travail en France ? Je vous renvoi à ma parabole sur l’appendicite et la péritonite. A –t-on rendu service aux salariés de Peugeot, de ne pas se développer à l’étranger ? Je n’en suis pas convaincu. Qu’aurait-on pu faire ? L’Europe a-t-elle protégé ses emplois. C’est qu’après avoir vécu 15 ans d’hémorragie dans l’industrie française et européenne, que l’Europe se pose enfin la question de sauver l’industrie.

Il faut combattre un certain nombre de services que l’on délocalise dans des pays à bas coût, et qui pose quelques problèmes dans l’emploi en France. Dans notre population, tout le monde ne peut pas être bac+12 et avoir un travail délocalisé pour les intellectuels. On a besoin non seulement d’intellectuels, mais aussi de manuels. Je ne fais pas de différence entre quelqu’un qui a bac+12 et quelqu’un qui a de l’or dans les mains par son savoir faire artisanal, technique. Ce sont 2 personnes d’égale valeur qui ont des compétences différentes. Le travail manuel n’est pas valorisé en France.

Pour en revenir à l’hémorragie dans l’industrie il faut mettre des barrières au niveau de l’Europe. Mais attention. Si Airbus veut vendre des A380 à la Chine, ce qui est bon pour la France et pour Toulouse, l’Europe doit s’ouvrir à des produits chinois qui rentrent en concurrence avec nos entreprises qui confectionnent des T-shirts par exemple. Nous sommes dans une logique d’échange d’emplois qualifiés contre des emplois moins qualifiés. Il faut donc mettre des barrières au bon endroit. En effet il n’est pas normal que les européens aient plus de difficultés d’exporter en Chine ou au Brésil, qu’eux en ont pour exporter chez nous.

Pour en revenir à l’industrie automobile, reprocher à Renault et Peugeot de ne pas s’être positionner sur le haut de gamme est déraisonnable. Les volumes ne sont pas les mêmes. En termes d’emplois il est évident qu’il vaut mieux produire beaucoup de véhicules de petites et moyennes gammes qu’un petit nombre de voitures de haut de gamme.

Les industries française et notamment les industrielle sont aujourd’hui les moins rentables d’Europe et ce sont celles qui ont les investissements les plus anciens et leurs capacités à innover est grandement atteint. L’absence d’innovation d’aujourd’hui prépare le chômage de demain.

Q/ Les décisions à prendre ne sont pas qu’individuelles. Licencier en Tunisie ou en France je n’ai pas la réponse. C’est comme lorsque je dois acheter une paire de chaussure fabriquée en Chine plutôt qu’en France ; je fais ce que je peux, comme je peux. Les décisions à ce niveau là doivent être politiques, collectives. Les réponses individuelles sont que les gens avec leur salaire, font comme elles peuvent, elles n’ont pas le choix.

J’ai une autre question par rapport à la valeur travail. Vous dites qu’elle diminue chez les jeunes, c’est vrai et je suis d’accord avec vous. Vous prenez l’exemple de la Scandinavie et les raisons que vous donnez sont que les gens sont bien payés, qu’il n’y a pas de chômage et ont donc du travail comme ils en veulent. Mais l’expérience que j’ai en France, ce n’est pas pour les mêmes raisons. Si la valeur travail diminue chez les travailleurs, ces que ces gens  se rendent comptent qu’on les traite comme partie négligeable dans l’entreprise, qu’ils sont mal payés, qu’on les licencie ; le travail n’est donc pas le lieu ou ils vont se réaliser.

R/ Le fait que l’image du travail est abimée, j’en ai parlé et je suis d’accord avec vous. C’est sûr que demander à un jeune de croire à l’entreprise, alors que leurs parents, beaux parents ou amis ont été mal traité par l’entreprise, c’est difficile d’être crédible. En même temps il y a quelqu’un de très brillant, André Comte-Sponville qui a écrit que le travail n’est pas une valeur. Il explique que les valeurs ne se vendent pas par exemple l’amour ou la justice. Il n’y a pas de bourse de ces valeurs, par contre il y a une bourse du travail.

Le travail qui était perçu à tord par nos parents comme une valeur, il n’en est plus rien aujourd’hui. Mes parents sont nés en 1932 et 35, ils ont connu la guerre et ont participé à la reconstruction de la France. Leurs enfants n’ont pas connu la guerre et non pas envie pour reprendre le slogan de 68, de perdre leur vie à la gagner. Il y a des choses plus importante que le travail, notamment élever une famille. Le travail est un moyen, non une finalité. Le travail peut avoir des vertus de socialisation, d’estime de soi, d’intégration mais pour moi il n’est pas une valeur.

Q/ L’homme qui perd son travail, qui est au chômage, est dévalorisé. Il perd sa valeur vis-à-vis des siens, de ses amis. Il se sent rejeté, rebus de la société et perd confiance en lui. C’est dramatique pour lui et sa famille. A cette perte de travail, il y a bien une valeur qui s’y rattache ?

R/ Dans le cas de prévisions, l’entreprise peut gagner de l’argent et toutefois licencier ; elle a raison parce qu’elle doit préserver l’avenir. La bonne attitude des chefs d’entreprises est de s’inquiéter de chaque travailleur, car derrière il y a le devenir d’une famille. Cette question nous ramène au sujet de la flexi-sécurité en débat entre syndicats ouvriers et patronaux. Comment faire pour qu’un travailleur perdant son emploi puisse conserver un minimum de sécurité et de valeur de lui-même durant cette phase de transition pour pouvoir rapidement se recaser.

Les licenciements boursiers existent et ils sont condamnables. Il est inadmissible qu’un entrepreneur licencie uniquement dans un but financier personnel ou pour ses actionnaires et je le condamne. Mais dans un grand nombre de situations, malheureusement, le chef d’entreprise a les mains liées et s’il agit trop tard il met en péril l’entreprise et le licenciement de tout le personnel.

Qu’elle est donc la finalité d’une entreprise ? Création de biens et de valeurs monétaires, ou développement économique et humain ? En 1974 Antoine Riboud avait mentionné que le chef d’entreprise devait avoir un double projet économique et social. C’est une raison qui m’a conduit à travailler 4 ans dans cette entreprise.

L’état peut encourager cette double vision et doit vérifier en tant que gendarme, qu’une entreprise ne procède pas à un licenciement boursier. Mais la règle ne doit pas être d’interdire à tout prix de licenciements même si elle fait des bénéfices.

Sur la valeur travail, vous avez raison, quand un ouvrier perd son travail, il perd beaucoup. Mais pour moi le travail n’est pas une finalité. Si nous avions le moyen de vivre confortablement et de recevoir régulièrement de l’argent, nous ne travaillerons pas. Le travail est un moyen qui nous permet une reconnaissance de soi et une reconnaissance sociale, mais il ne peut être mis au même rang que l’amour du prochain, la solidarité … Ce n’est pas de même nature. Travailler, se donner à fond dans le travail, à tel point que la famille passe en second plan, a des conséquences négatives. J’estime qu’un entrepreneur qui travaille 70h par semaine, 7 jours sur 7 ne peut plus garder la lucidité et la bonne distance pour prendre de bonnes décisions non seulement dans sa vie personnelle avec des conséquences dans le couple et pour ses enfants, mais aussi pour diriger son entreprise. On devient dangereux de la même façon qu’un conducteur qui a passé trop de temps au volant peut sortir de la route.

Q/ Pour répondre à ces problèmes de licenciement, pour moi, le partage du travail me paraît une solution intéressante Qu’en pensez-vous ?

R/ Sur le partage de travail, je vous en ai parlé un petit peu en vous parlant des jeunes cadres qui vont apprendre le travail dans des équipes avant de les diriger, et des patrons scandinaves qui s’entourent des meilleures compétences pour animer le collectif. C’est une manière de montrer que tout ne passent pas par eux et qu’ils font confiance à des gens compétents pour faire une partie du travail mieux qu’eux même pourraient faire.

Q/ Moi j’ai parlé de travailler moins pour que plus de gens puissent travailler.

R/ C’est une idée généreuse qui a été attribuée à Martine Aubry. Oui il vaut mieux avoir plus de gens en emploi, ce n’est pas absurde, mais il faut discuter sur son application, de l’anticipation des formations qu’il faut pour que l’on trouve les gens formé au bon endroit. La réforme des 35h est quasiment irréversible. Elle a été critiquée par le MEDEF et la droite n’est pas revenu dessus, vu les dégâts politiques en terme électoral que ça aurait causé. Les patrons se sont adaptés, et le coût de cette réforme s’est traduit par une augmentation de la productivité. C’est la limite du système. Les charges sociales étant très élevées, et le coût de la minute du travail étant de 25 à 30 fois supérieure chez nous de celle du Bengladesh par exemple, que le patron économise sur le temps. Tout est minuté et les salariés doivent lutter contre le chronomètre, avec les problèmes réels liés aux cadences infernales, les répétitions de tâches, les troubles musculo squelettiques (TMS). Avant de définir un poste de travail, la médecine du travail exige des patrons que le poste soit étudié ergonomiquement pour éviter ces troubles. Mais plus le coût de travail augmente, plus le patron aura tendance soit à pousser les salariés de travailler plus vite, soit de remplacer les hommes par des machines.

Cet état de fait pose le problème qu’une grande partie de la protection sociale qui n’a rien à voir avec l’entreprise, car assise sur les cotisations sur le travail (charges patronales et charges ouvrières), a conduit à l’hémorragie industrielle. En effet, quand un distributeur peut importer des produits qui n’ont pas à supporter le coût de la protection sociale, il ne faut pas s’étonner que les entreprises tentent de se délocaliser pour être compétitif.

Q/ Sur la valeur du travail, je pense qu’il y a des jeunes qui veulent utiliser leurs compétences pour un projet qui a un sens et utile pour la société. Par ailleurs les personnes sans emploi est un vrai problème de rapports sociaux. Ces personnes ont tendance à tourner en rond en famille, au lieu d’avoir une vie sociale. J’ai été intéressé par ce que vous disiez sur l’équipe de travail. En France, on ne donne pas assez de place au travail collectif, à des projets en équipe alors que c’est très important. Parmi les jeunes que je connais, il y en a beaucoup qui ne sont pas satisfait de la façon dont sont traitées les équipes et les avancements qui sont fait sans consultation de la base.

R/ Je n’ai pas dit que le travail était sans utilité sociale ou sans valeur, mais ce n’est pas en soi une valeur une finalité, comme l’amour ou la justice. Vous citez des jeunes qui ne sont pas satisfaits dans leur travail. C’est donc bien que le travail ne répond pas à cette quête de sens. Les jeunes ont besoin de comprendre à quoi le travail va servir. Quand on parle d’économie durable on parle d’écologie. Mais s’il n’y a pas de développement il n’y aura pas de développement durable.

Je pense à ce chinois qui demande à Eric Orsenna : pourquoi les français n’aiment pas leurs enfants ? Mais ils les aiment ! Le chinois rétorque :  alors pourquoi vous allez leur léguer une montagne de dettes ? Cela fait trente ans que l’on creuse la dette de la France, trente ans que chacun veut profiter du système en obérant l’avenir de nos enfants et petits enfants, pour satisfaire à notre bonheur ou à nos avantages immédiats. Plutôt que se polariser sur le partage des richesses et sur l’égalité, il faut redistribuer par l’impôt pour corriger les inégalités, sans oublier que pour distribuer, il faut créer des richesses. On partage aujourd’hui les richesses de demain qu’on n’a pas encore produites.

Q/ Je suis dans le secteur public mais j’observe que la souffrance au travail n’a pas diminué, et qu’elle a tendance même à augmenter, comme on le voit avec les problèmes du burnout qui augmente de plus en plus. La course à la performance avec traçabilité des contrôles sont des thèmes qui reviennent souvent maintenant, et qui enferment les gens avec une perte de sens au travail. Est-ce que dans votre groupe, vous avez constaté une souffrance au travail et comment vous la traité ? Les jeunes que je côtoie sont surtout demandeur de qualité du travail.

R/ Cette question se pose partout même dans l’éducation nationale avec les rythmes scolaires. Avec les 35h et les RTT, on a diminué le nombre d’heures et de jours de travail avec une augmentation de l’intensité du travail. De même dans l’éducation nationale faire passer de 4,5 jours de travail par semaine à 4H a entrainé une intensité du travail demandé aux élèves. Autrefois le travail était dilaté ce qui permettait de donner du sens au travail, d’échanger avec ses collègues, et avoir un rôle social. La tension dans le travail même dans mon groupe est telle que les hommes sont comme des machines. Comme nous sommes dans un système compétitif, on a tendance à augmenter les cadences d’autant plus qu’il n’y a pas de grèves. Il faut donc faire preuve de discernement et se poser la question, est-ce que l’on a les bonnes personnes aux bons postes, est-ce qu’on est capable de détecter les signes avant coureurs et les fragilités qui vont dégénérer dans un problème de santé grave.

J’ai une personne dans mon entourage qui a été touché par le burnout, cette forme de dépression qui est dû à une surcharge de travail ou une surcharge de pression dans le cadre du travail. Le travail peut devenir nocif quand on a l’impression qu’on ne sert plus à rien, qu’on ne sait pas la finalité du travail. Il y a des études sur les personnes et les postes les plus exposés au burnout, et dans notre entreprise avec les CHPC nous avons des outils pour éviter ces souffrances. On est assez bon pour éviter la souffrance physique au travail et organiser des postes de travail c’est-à-dire éviter de porter des charges, limiter les gestes répétitifs, mais pour éviter les agressions comme on le voit dans les lycées, nous ne sommes pas formé et capable de faire du bon travail.

Q/ A propos de compétitivité et de salaire, quand est-il des salaires des parachutes dorés des grands dirigeants et cadres d’entreprises ? Qu’advient-il des dividendes ? Ne sont-ils pas des éléments de non compétitivité ?

R/ A propos de parachute doré il y a un certain nombre d’idées reçues. Je suis bénéficiaire d’un parachute doré et j’explique pourquoi. Comme je suis mandataire social de l’entreprise, je n’ai pas droit aux ASSEDIC, et suis révocable sous 48h sans motif. Le parachute doré pour moi représente un an et demi de salaire que j’aurais obtenu si j’avais été un salarié bien sûr avec un bon salaire. C’est un risque permanent et dire c’est bien ou non, cela dépend ; si on est licencié c’est fonction de pouvoir retrouver ou non un travail. Le problème du parachute doré c’est quand il est excessif, et il doit être taxé.

Sur la question des salaires, il y a 3 composantes, la compétitivité coût, le salaire et la compétitivité hors coût. Il faut éviter la spirale de la baisse des salaires, car baisser les salaires pour être compétitif ça ne sert à rien. S’aligner sur le Tchad ou Madagascar, c’est au final ne plus de protection sociale, plus de retraite, plus d’économie, plus rien. Mais augmenter le SMIC de manière rapide, joue contre nous. A ce jour la Chine est victime de la délocalisation, parce que les salaires des ouvriers chinois ont augmenté de 20% par an chaque année depuis 5 ans.

On constate que les lieux de production se déplacent. Prenons l’automobile. Dans les années 1960, les japonais ont produits des voitures plus basiques que les américains et ont gagné des parts de marché. Leur niveau de vie a augmenté c’est alors que la production des voitures basiques est passée en Corée. Le coût du travail a donc des incidences sur la production et le chômage.

Si j’ai pu garder 400 emplois en France, ce n’est pas parce que c’est moins cher de produire en France, mais parce que c’est lié au savoir faire des personnels, leurs polyvalences avec une valeur de productivité supérieure que dans les pays émergeants. On a une valeur ajouté en tant que qualité et savoir faire. De plus on peut répondre dans un délai très court à la demande de nos clients et ne pas avoir des pénalités pour des produits qu’on ne peut livrer en temps voulu. En plus cela nous permet d’avoir un stock limité et une grande réactivité. Cela nous permet de garder notre savoir faire, sans le transférer à des partenaires qui pourraient nous concurrencer.

Q/ Je voudrais qu’on parle du conseil d’administration. Un président a dit qu’il serait souhaitable que les profits soient partagés en 3 tiers, 1/3 pour le personnel, 1/3 pour l’entreprise et son développement et 1/3 pour les actionnaires. Nous n’en sommes pas très loin, mais la part prélevée par le conseil d’administration, plombe la rentabilité de l’entreprise. Comment cela se passe dans les entreprises étrangères ?

R/ Je suis président du directoire et non président du conseil d’administration. Je n’ai pas d’expérience du fonctionnement du conseil d’administration à l’étranger et n’ai jamais approché un membre de ces conseils dans les entreprises étrangères. Il y a 2 sujets. 1/ La rémunération des administrateurs, (les jetons de présence). Elle est votée par les actionnaires. A eux de faire que les actionnaires soient rémunérés à leur juste valeur, mais à un niveau pour maintenir une qualité des administrateurs. 2/ Qu’elle est la répartition de la richesse. Il faut insister que pour répartir des richesses il faut les avoir produites. Il ne faut pas oublier qu’une partie des richesses produites a été donné à l’état sous forme d’impôts, impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés, ce qui signifie qu’on a partagé les richesses en quatre, état, entreprise, salariés, actionnaires, bien que certaines grosses entreprises arrivent à ne pas payer d’impôts, alors que les PME elles les paient.

Pour partager les richesses équitablement, il faut de la transparence. Moi je souhaiterais que l’entreprise puisse dire combien le dirigent de l’entreprise et les responsables gagnent, non à titre individuel mais à titre collectif. Il est également important que les salariés soient associés aux bénéfices de l’entreprise. Hors salaires, charges sociales, retraites etc., lorsque l’entreprise gagne de l’argent, c’est normal qu’elle en fasse profiter les salariés. Il faut prévoir des mécanismes de redistribution, comme épargne de précaution. Par contre il faut être mesuré sur l’actionnariat des salariés. Parce que lorsqu’on a une action d’une entreprise on prend un risque, avec le risque de tout perdre. De plus les titres d’une entreprise ne sont pas côtés en bourse et on ne peut les vendre du jour au lendemain et peut être attendre 1 an ou 5 ans avant de pouvoir les vendre. C’est une problématique de riche. Je préfère l’intéressement à l’entreprise, c'est-à-dire, si les actionnaires gagnent, les salariés gagnent aussi, mais toujours dans la transparence des comptes de l’entreprise. Mais transformer les salariés en actionnaires heureux et assez utopique.

Q/ Par rapport aux accords signés il y a peu, le MEDEF parle d’une avancée exceptionnelle alors que la CGT parle d’un grand retour en arrière et par rapport à l’apprentissage, pour trouver un stage les jeunes doivent avoir un bac professionnel, or tous les jeunes ne peuvent avoir un bac pro, et une frange de jeunes ne peuvent donc pas donner un sens à leur projet de vie. Qu’en pensez-vous ?

R/ En ce qui concerne l’accord patronat et 3 syndicats, je pense que c’est un succès dans la mesure où le gouvernement n’impose pas une loi de manière unilatérale. C’est un compromis, un premier pas, mais on est très loin des rapports sociaux scandinave, et je peux comprendre que des syndicats estiment que cet accord fait des cadeaux aux entreprises pour pouvoir financer leurs plans sociaux et boursiers à bon compte et qu’ils utilisent des difficultés passagères pour baisser les salaires ou augmenter les horaires. Mais je pense qu’il vaut mieux que 4 syndicats se mettent d’accord sur un compromis même frileux, que de voir l’état et ses conseillés ministériels qui connaissent mal le milieu de l’entreprise de décider de manière unilatérale ce qui est bien pour tous. Cet accord inaugure une démarche, celle qui au lieu de se regarder face à face, et de se mettre côte à côte pour voir comment ensemble on peut résoudre les problèmes de l’emploi et de la répartition des richesses produites et porter un projet en commun.

Sur les 20% de la classe d’âge qui n’arrive pas au bac ou bac pro, on est dans une logique ou on explique à beaucoup d’enfants que s’ils ne sont pas capables de faire des études ou des abstractions, ils sont des ratés. En France par rapport à d’autres pays on a dévalorisé le travail manuel et notamment l’apprentissage. Il y a plein de métiers aujourd’hui ou l’on n’a pas besoin du bac et qui sont à la recherche d’apprentis et qui débouchent sur des emplois bien rémunérés. Mais les parents sont réticents de pousser leurs enfants vers ses métiers. On peut pourtant s’y révéler pleinement. Regarder l’engouement aux métiers de la cuisine.

Q/ Pour avoir été responsable d’une filière d’apprentissage, une des difficultés est de trouver des entreprises qui acceptent de prendre des apprentis. Peut être que le contrat de génération pourra permettre aux entreprises de former et d’embaucher des jeunes.

R/ Pour transmettre un savoir, il faut que l’entreprise investisse du temps avant d’en gagner. Il y a donc un acte citoyen de la part de l’entreprise, et donc des réticences. Le contrat de génération est une idée généreuse qui permet au PME d’économiser sur les charges sociales (salarié et entreprise) et qui devrait permettre de résoudre en partie le chômage des jeunes. Il faut éviter la révolte des jeunes que l’on voit en Espagne comme en Grèce.

Q/ Pour que les enfants est un métier, c’est l’éducation nationale qu’il faut changer. Il faut que l’école mette en valeur le travail manuel.

Autre question, c’est le problème des travailleurs pauvres qui ne peuvent pas payer leur loyer.

R/ Sur la question des travailleurs pauvres, c’est soit un problème des bailleurs qui ne veulent pas louer à des salariés qui n’ont pas un CDI, soit au coût des loyers qui sont trop élevés. Je n’ai pas plus que vous des solutions. Dans l’entreprise je m’efforce de donner des salaires qui permettent de vivre décemment. Pour faire baisser les prix des loyers il faut en construire, et les terrains dans les villes sont rares et chers. C’est un problème éminemment politique.

Q/ Vous pourriez expliquer ce paradoxe de l’entreprise Lejaby : elle ferme une usine qui reprise par des salariés relance la production et la vend à Lejaby ?

R/ Je connais bien les responsables de l’entreprise et j’ai suivi le déroulement de l’affaire. C’est une entreprise qui était en risque comme Eminence en 1999 ; une entreprise avec des coûts élevés, positionnée en moyenne et haut de gamme et pas en luxe, avec une sensibilité réelle à la crise qui demandait un travail de restructuration nécessaire pour assurer sa pérennité. Lejalby a été racheté au premier semestre 2008 par une société autrichienne Euro-Palmers, qui a financé cette acquisition avec un plan financier qui n’intégrait pas la crise qui arrive en septembre 2008. Ce projet s’est heurté à la réalité du marché, et le chiffre d’affaire a été fatal à la société. Les actionnaires ont jeté l’éponge, et la société a été mise en liquidation. Le Tribunal de commerce a décidé de disperser les actifs de la société à 3 différents repreneurs. Une partie des salariés ont décidé de mettre leurs indemnités de licenciement dans une société coopérative ouvrière participative (SCOP) pour redémarrer. Une autre partie a été reprise par un industriel qui fait aujourd’hui de la maroquinerie. La dernière partie a été reprise par le management sans les actionnaires précédents pour prolonger avec le nom les activités de Lejaby.  Cette dernière fait fabriquer l’essentiel de ses produits en Tunisie et sous traite des produits à cette SCOP, qui s’est positionnée aussi sur le haut de gamme. Mais tout cela est encore fragile. Un soutien-gorge vendu en France est acheté en moyenne à 17€ alors que la scop le sort au-dessus de 90€.

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