Rédouane Es-Sbanti, ministre de l’Eglise Réformée,
journaliste dans deux radios protestantes :
Les religions,
survivance ou espérance ? Cela va
de soi pour moi en tant que pasteur, oui, mais c’est court.
Je suis
partagé entre la rationalité cartésienne et le bagage culturel des deux rives
de la Méditerranée.
La question de
l’espérance varie d’une spiritualité à l’autre, d’où le singulier plutôt que le
pluriel.
Haïti vient de
subir un coup terrible qui s’ajoute aux mauvaises conditions de vie. Les
journalistes étaient surpris de la ferveur des Haïtiens, ils n’étaient pas
abattus : traces à creuser.
Par quel
chemin ouvrir l’avenir, pour un père de quatre enfants : est-ce que ce
monde vaut d’être vécu, quel monde leur promets-je pour leur devenir ?
Quand nous
affirmons notre espoir dans un autre monde possible, que voulons-nous
dire ?
Quel espoir
dans ce monde-là ? Quel espoir pour
l’environnement, la solidarité…Aucune législation ne suffira jamais.
L’environnement est une préoccupation . Dans le premier testament, on a inscrit
la loi qui protège le plus faible par nécessité de vivre ensemble, par quel
chemin et à quelle condition pouvons-nous arriver à une telle qualité de vie
humaine ? Un autre monde est possible, on peut miser sur le devenir de
l’humanité.
Croyons-nous
parvenir à un monde radicalement différent ? Quelles valeurs
promouvoir ? Quel monde renouvelé ?
Notre mode de
vie est différent de celui d’il y a un siècle, mais est-il nouveau ?
Après la chute
du mur de Berlin, désenchantement des gens de l’Est qui accèdent à la
démocratie : alors que ceux qui la vivent sont heureux, eux ils en voient
les défauts (tromperies, cupidités…).
Malgré des
avancées importantes, nous ne sommes toujours pas dans un monde nouveau :
il faudrait surmonter la double faille éthique et politique, créer une culture
de la solidarité, de la justice et de la paix.
…protection
efficace…. ???
Nous n’avons
pas les moyens d’assurer par nous-mêmes.
La cupidité
reste extrêmement forte. Nous n’avons pas les moyens de remplacer la cupidité
par la solidarité.
En présentant
Jésus comme la principale figure du Royaume, … ?… agit dans le monde comme
la graine de moutarde, le levain dans la pâte.
L’attention à
cette….
Moïse était
soutenu par le « oui »d’une promesse : il tiendra le coup sous
couvert de la nuée. Moïse guidait en suivant.
De même
Daniel, en exil : il a entrevu que le colosse était au pied d’argile. Il a
entrevu le Fils de l’Homme.
Lien
indissociable du monde nouveau avec l’humanité nouvelle dans les Evangiles.
La
Résurrection n’abolira pas l’injustice sur la terre.
Le Royaume
s’accomplit d’abord dans un humain transformé.
Deux éléments
l’ont renvoyé à la religion… ?
Il y a 4000
ans, on a pensé à s’arrêter un jour par semaine, ce qui n’existe plus, quel
regard sur cette société ?
La religion
peut être un signe d’espérance pour aujourd’hui comme pour Israël.
Quelle
théologie pour demain, sinon la théologie de l’espérance ?
La réponse est
à chacun d’entre-nous.
DÉBAT Q = question, R = réponse de R Es Sbanti
Q : Je
pense à Jean Paul II et à l’esprit d’Assise, à l’impact de la rencontre
inter-religieuse. Le cardinal F. Arinze disait : « nous
chrétiens et boudhistes engagés dans nos voies spirituelles respectives, nous
devons travailler ensemble en reconnaissant nos différences ». Respect réciproque, amour vrai, j’y crois dur
comme fer !
Q : Les
religions peuvent être une espérance, mais elles sont aussi causes de guerre.
R : Il
faut différencier la spiritualité et la religion : il y a d’autres
religions, du jeu, du plaisir, de l’argent, du travail…
Que fait
l’humain du trésor qui lui est donné ? « Un intégriste est un
daltonien de la foi » ( dans le film « Marius et Jeannette »),
car la religion n’est plus libération, mais oppression.
Dans ma
famille musulmane, nous avons été surpris du regard des européens sur les
musulmans, pourtant nous cohabitions avec les juifs.
Le
protestantisme est connu comme une religion de liberté, puis il a été associé
dans l’opinion aux Evangéliques des USA, les plus fermés.
La Parole
donnée au travers des Ecritures est une Parole de vie. Elle me donne un regard
sur les autres qui ont d’autres repères économiques, politiques,
philosophiques.
Par exemple,
on se méfie des radios protestantes. Il est difficile pour une radio
protestante de collaborer avec une radio laïque. La religion crée de
l’exclusion. Ainsi une radio a fait une émission sur la république espagnole.
Vous ne pouvez y participer car vous êtes du côté de l’oppresseur !
Autre
exemple :Au nord de l’Argentine, les indiens tobas étaient chassés comme
du gibier. Pour eux la religion chrétienne a été une religion d’espérance. Les
méthodistes les ont protégé. La Parole de Dieu a été occasion de l’émergence de
leur dignité.
Voir aussi le
travail auprès du peuple Canaque en Nouvelle Calédonie.
L’Eglise s’est
positionnée au niveau politique, social et économique.
Il ne suffit
pas de faire des lois, si on ne change pas fondamentalement les repères
humains.
Q : Si on
parle de survivance de religion : nous avons hérité d’un message,
d’institutions, d’une hiérarchie, de comportements, de langages liturgiques qui
pèsent : comment transmettre une espérance ?
R :
Comment l’institution peut-elle cesser d’être conservatrice ? Pour qu’elle
survive, il faut baliser.
Pour l’Eglise
Réformée, elle reconnaît qu’elle peut se tromper et nomme les gens à sa tête
pour un temps donné. Le départ (d’un poste) est une souffrance mais aussi, un
ressourcement (pour celui qui part, pour la communauté dont il part). Le
changement de personnalité permet de toucher d’autres sensibilités,
l’institution fige les hommes.
Q :
Plusieurs théologiens ont écrit sur l’universalité du message, comment le
transmettre ? L’institution est-elle gardienne de l’héritage ? Si la
transmission est la question posée d’abord ?
R :
L’institution fait durer le projet, elle en est la garante ( force des
catholiques, talon d’Achille des protestants : chaque protestant est un
pape avec une bible sous le bras ! ). Elle doit veiller à relire la
parabole des talents : nous devons être vigilants.
L’institution,
sans ceux qui la composent, n’est rien. Elle est à notre image. On peut aller à
l’église en manifestant son désaccord ( cf Luther a voulu changer l’Eglise de
l’intérieur ).
Q :
Transmission : quelque chose de fermé, on « passe » un message.
Les religions, ouvertes, peuvent donner de l’espérance. La foi n’est pas
transmissible, elle est donnée. C’est par la rencontre des autres qu’on peut se
construire une spiritualité.
R : Les
enfants de Maradona sont de piètres footballeurs ! La transmission est la
responsabilité que j’ai vis à vis de mes enfants. Je leur transmets ma
passion : « Je peux te dire que j’ai fait directement l’expérience de
Dieu », par exemple. Il est de mon rôle d’en parler, de témoigner…Ils
doivent faire l’expérience de Dieu.
Musulman, j’ai
dans ma vie cette partie de mon histoire qui nourrit mon présent. Ne façonnons
pas nos enfants à notre image. La rupture de l’adolescence est nécessaire. Il
faut laisser un peu d’espace à Dieu pour intervenir « Dieu voyage souvent
incognito ».
Q : Que
va-t-on transmettre ? Nous privilégions la transmission de la foi par le
prisme socio-culturel. Ne faut il pas la transmettre par l’espérance ?
R : On
transmet le goût de la Bible, l’envie d’en savoir plus. Mais aussi, ce que cela
change pour nous d’être croyant. Les évangélistes ont un projet de vie. Pour
les protestants après 400 ans à l’ombre, il est difficile d’aller au soleil. Il
faut en sortir !
Par ex :
que dire du travail du dimanche ? Depuis 4000 ans le regroupement familial
une fois par semaine est constitutif de la société. Disons haut et fort qu’il
faut libérer le dimanche. Nos Eglises sont timides, elles ne proposent pas
leurs idées comme « politiques ». Quel projet avons-nous pour la
création ?
Q : Faire
goûter à nos enfants le cadeau du temps. Ce sont des religions anciennes, il
faut du temps pour parcourir ce chemin de la spiritualité. Il faut des pauses,
transmettre ce goût aux enfants est difficile. Attention aux religions
proposées à la TV ! Bonheur en venant gagner 1 million, époque de
l’immédiateté…
R : La
fainéantise est devenu un leitmotiv de notre société : tout, vite et sans
effort. L’athéisme est une facilité.
La
spiritualité demande effort et temps. La société ne veut pas de ce temps-là,
tout, tout de suite. Mais, c’est peut-être une manière d’avancer dans notre
propre responsabilité. C’est tellement plus simple de ne pas parler de
spiritualité aux enfants !
Par exemple,
sur la mort, la vie après la mort, il y a tout un travail à faire, des temps de
silence à laisser. Il y a des théologiens en Asie, en Inde, en Afrique qui sont
ignorés. Quelle reformation de notre théologie?
Q : La
religion est-elle une affaire collective ou individuelle ? Autrefois on
appartenait à telle ou telle communauté. Aujourd’hui, dans la famille, dans la
communauté, il y a des pratiques différentes, il y a évolution. Dans nos
familles il est difficile de gérer ceux
qui pratiquent et ceux qui ne pratiquent pas.
Oui, la religion
est une espérance, puisque nous croyons à une vie après la mort.
« Je ne
crois pas en Dieu, mais des scientifiques aussi bons que moi, y croient ».
Des scientifiques sont agnostiques et non, athées.
R :
Quand, jeune musulman, je discutais avec des chrétiens j’étais arrêté par la
Trinité. Les mathématiques m’ont fait découvrir qu’il fallait rester humble. Si
on passe de l’addition à la multiplication, on n’a pas le même résultat :
la trinité, 1+1+1 ou 1x1x1 ?
Q :
Survivance de la religion : avons-nous la notion que nous sommes le sel de
la terre ? La société est une saumure dans laquelle pas grand-chose ne
pousse… On n’est pas nombreux, mais on a la foi accrochée au cœur et aux
tripes. Mais, il faut faire tourner la boutique ! Il est difficile de s’engager
à l’extérieur mais pour changer la société il faut s’y immerger…
R : On a
la chance de faire partie d’une Eglise universelle, mais il faut changer les
règles d’accueil de l’étranger. J’ai emmené des jeunes au Sénégal, l’Eglise est
un espace de liberté (certificat de liberté)
Ile de Goré.
En retour nous n’avons pas pu accueillir les jeunes africains par manque de
visa ! En Europe, on se ferme au reste du monde.
Notre
chrétienté ne se nourrit pas au contact des autres. Quel espace pour le jeune,
pour qu’il y trouve son compte ? Notre fils aux USA a découvert une vie
sociale de l’Eglise (sport, garderie…), du vivre ensemble. Comme à la JOC, à la JEC, mouvements de
« vivre ensemble » ou, encore aujourd’hui, les scouts qui donnent un
projet de vie.
Les religions
peuvent être un lien de désespérance : il faut pointer ces lieux, ces
faits… Jean Paul II, Benoit XVI ont fait
ce travail.
L’Eglise est
le lieu de la Parole de vie. Ou je construis dans la perspective d’un retraité,
ou je construis dans la perspective d’un jeune marié. Pour se tourner vers
l’avenir, il faut tourner une page du passé.
Q :
Question posée par un musulman : pourquoi vous chrétiens n’avez-vous pas
de mouvements politiques ou syndicalistes : dans le Coran, état et
religion sont liés.
R : Le
projet du Christ est de donner un nouvel éclairage : les règles de vie
sont là, chez les premiers chrétiens. Mahomet veur restaurer le « vivre
ensemble » bédouin à partir de l’exil à Médine. Porteur d’un projet il va
permettre la percée de l’islam. L’Islam est un château de cartes, on ne peut
pas supprimer une carte sans reformer tout l’ensemble.
Quel discours
social avons-nous dans nos Eglises ? Nous avons à interpeller le
politique, le syndical.
Q : Aux
USA, appel à la protection de Dieu sur l’armée, en Amérique du sud, mère
excommuniée, pas de réactions des théologiens ?
R : Ce
sont les désespérances de la religion. Il faut changer les mentalités avant les
structures. Je dois évangéliser aussi mes relations avec les autres ( ainsi
avec mon épouse : je ne supportais pas qu’elle me contredise en
public : je relis cette irritation à mon passé marocain et musulman)
« Il me
faut aimer le pécheur, et haïr le péché » St Augustin.
On déshumanise
l’autre, par exemple, en parlant de « clandestins » et non de
personnes en particulier. Ils deviennent des gens sans histoire dont on accepte
alors le rejet.
Il faut que
nos Eglises gardent l’aiguillon de la Parole, qu’elle gardent la Parole
d’éveil.
Q :
Vatican II, grand espoir, son esprit s’évanouit, désespérance de ceux qui
attendaient un changement. Où va l’Eglise ? Des gens se retrouvent à la
marge : peut-être est-ce une bonne chose, peut-être va-t-on reconstruire
quelque chose ?
R :
Beaucoup d’espoir pour l’œcuménisme. Vers quoi voulons-nous aller ?
Comment ? Avec nos richesses, nos diversités. Nous cohabitons sur le
chemin qui nous mène au Royaume. Les cartes sont brouillées, les religions ne
sont plus limitées dans un espace géographique. Ce qui importe, ce n’est pas ce
qu’on va devenir, mais que le Royaume avance.
Q : Ce
n’est pas gênant que l’on soit minoritaire. Il y a des inconvénients à être
majoritaire ? Nous serons une espérance pour l’humanité si nous vivons
entre nous, solidaires, si nous participons avec les autres sans prétendre les
englober. Nous pouvons vouloir être présents sans prétendre tout englober. (
Père Noël Saignes)
R : le
fait d’être minoritaire oblige à être imaginatif, dynamique (crédit coopératif,
coopératives…). De nos faiblesses, nous pouvons tirer un devenir. Au Nicaragua,
« on va faire avec rien ! ».
Si ma foi
repose sur la Parole de Dieu, je ne crains rien. Comment être des signes
contradictoires à la violence, par exemple ?
Il faut
retrouver des fondamentaux : la Parole, les Ecritures, le témoignage du
passé…
Q : Ne
pas perdre de vue la variété des visages de nos religions. C’est une chance
d’être minoritaires, il faut se tenir debout. Quand on se rencontre en
inter-religions, il ressort le meilleur de l’autre.