Les richesses financiÈres :              quel partage ?

Débat à partir du témoignage de Olivier GROS (CCFD)

Appel au débat :

arbreDepuis plus de trente ans, le développement économique s’articule autour de trois grands piliers : produire, consommer, financer. Et, en théorie du moins, l’économie est un instrument au service du développement de la communauté humaine. Pourtant, de nos jours, la crise est là  qui nous alerte et nous montre que notre économie est bien malade. Comment et pourquoi en est-on arrivé là ? Aurions-nous oublié de prendre soin d’elle ? Est-ce qu’on peut essayer de comprendre ce qui se passe ?
La production et la redistribution de richesses doivent être organisées, car le mode de partage des richesses, ce n’est pas une option ou un accessoire démagogique mais bien un organe vital de toute économie.
Partager les richesses : une attitude dont nous sommes, chrétiens ou pas, invités à creuser le sens, alors que la communauté internationale fait face à mille et une questions sur le moteur de l’économie, la place de la finance, le rôle, le choix et  l’efficience des politiques publiques.Venez en débattre.

Le débat (16 novembre 2010 à la brasserie Le Dôme) :

C R du Témoignage :

25 participants 

Pourquoi le CCFD traite cette question ?

- Le but premier du CCFD, créé par tous les évêques de France à l’appel de Jean XXIII, c’est de répondre à la faim dans le monde,

- Il est vite apparu que pour résoudre le problème de la faim il faut aider au développement. Il faut s’attaquer au développement durable.

- Et pour aider en ce sens, il faut lutter contre les freins au développement, et mieux organiser le partage.

- Très vite il est devenu clair qu’il ne sert à rien de s’attaquer aux problèmes là-bas si on ne commence pas par les traiter ici ; nous sommes tous concernés.

Pourquoi cette question ?

- La crise a appauvri les plus pauvres

- Des pays ont sombré et leurs citoyens sont soumis à une cure d’austérité

- Résumé du scénario initié en 2008 :

*les banques prennent des risques démesurés pour gagner davantage

*le système grippe ; elles vont toutes s’écrouler et appellent à l’aide

*les Etats les aident sans conditions à s’en sortir à coup de centaines de milliards

*les banques s’en sortent, vite ; elles recommencent à faire du profit

*les dettes des Etats flambent ; certains appellent à l’aide

*les banques  imposent leurs conditions aux Etats défaillants : des cures de rigueur où les salaires et les services publics doivent être sacrifiés au système

 

Je vous propose cinq pistes de réflexion :

        A/ Sans partage, la création de richesses a-t-elle un sens ?

        B/ Quels mécanismes financiers gouvernent notre économie ?

        C/ Quelle relation avons-nous avec l’argent ? 

        D/  Pouvons-nous, en ce domaine, avoir un comportement éthique ?

        E/ Pouvons-nous bâtir des sociétés au service de tous ?

A.   A/ Sans partage, la création de richesses a-t-elle un sens ?

Exemple de la RSA. L’apartheid en Afrique du Sud avait conduit les nations à boycotter cet état. S’en était suivi un grand appauvrissement. Avec l’arrivée de Mandela au pouvoir, le PIB croît énormément, des richesses s’accumulent, mais les inégalités se sont accrues. Ainsi, un développement économique remarquable (1er PIB d’Afrique) mais presque pas partagé (accroissement de l’extrême pauvreté).

La création de richesses, c’est la création d’emplois, l’amélioration de l’accès au crédit, c’est la diminution des situations de pauvreté ou d’inégalité.

Exemple SANOFI. La recherche sur de nouvelles molécules médicamenteuses coûte très cher. L’entreprise, depuis un an ou deux, semble abandonner ce créneau pour des produits plus faciles à mettre sur le marché et qui rapportent plus. Cela a entrainé le la suppression de centaines de postes en Recherche. On peut se poser la question de savoir si cette entreprise, créée par la volonté du gouvernement français en 1973 est faite pour chercher des médicaments ou pour augmenter les dividendes des actionnaires ?

B.   B/ Quels mécanismes financiers gouvernent notre économie ?

L’entreprise est-elle faite pour la finance ou la finance pour l’entreprise ? La dette des pays pauvres est-elle juste ? La lutte contre les paradis fiscaux est-elle juste ; est-elle efficace ?

Depuis la crise de 2008, il semblait que les états avaient bannis les paradis fiscaux. Ce n’était qu’un leurre.

Par exemple pour un jean que nous trouvons à 30 €, il faut savoir qu’il est exporté de son lieu de fabrication vers un paradis fiscal (taxe peu élevée) pour 10 à 15% de cette valeur (3 à 4 €), mais qu’il est vendu au grossiste européen pour 60 à 70 % de cette valeur ( 20 à 25 €). Les taxes élevées en Europe ne porte donc plus que sur quelques euros de bénéfice. Ce mécanisme est utilisé pour les marchandises manufacturées comme pour les produits agricoles ; c’est le cas par exemple de la banane illustrée dans la campagne du CCFD « Stop aux paradis fiscaux ».

C.   C/ Pouvons-nous, en ce domaine, avoir un comportement éthique ?

Nous pouvons restaurer des règles de comportement, ne pas accepter ceux qui disent que tout est permis.

Par exemple :

- commencer par restaurer la solidarité nationale que représente l’impôt. Payer plus d’impôt, cela signifie plus de crèches pour les enfants, plus de policiers, plus d’infirmières, plus d’écoles, de meilleurs accès aux soins, etc.

- lutter contre le travail au noir, qui est une autre forme de refus de la solidarité nationale,

- lutter pour la restitution des « biens mal acquis », ces biens payés par des pays pauvres au seul profit de leurs dirigeants ou de leurs familles

- lutter aussi contre ce qui menace notre environnement.

D.   D/ Quelle relation avons-nous avec l’argent ?

D’abord, il faut reconnaître que la pauvreté, ce n’est pas la misère et que même pauvre on peut être riche. Sans forcément recourir aux paroles du Christ, l’argent n’est pas tout, l’argent n’est pas notre maître. Le riche est-il celui qui peut tout convoiter ou celui qui peut se passer de ce qu’il veut ?

        E/        Pouvons-nous bâtir des sociétés au service de tous ?

Nous pouvons aider tous nos états à jouer leur rôle : contre les paradis fiscaux, contre la corruption  et pour une vraie protection sociale. La protection sociale est un levier de développement efficace.

Débat.

Q : Je suis gêné par le fait que l’on peut enlever des impôts une partie du denier du culte ou des cotisations à des mouvements d’action catholiques.

R : Cette diminution d’impôt, sert en règle générale à animer un secteur bénéfique pour tous. On pourrait citer comme exemple l’appel aux dons pour la lutte contre le cancer.

Q : La recherche contre le cancer et autres causes nationales devraient être assumées par l’état.

R : Oui, mais l’appel aux dons sensibilise plus les gens.

Ces dons fonctionnent comme un vote.

Ce n’est pas juste, car ceux qui ne payent pas d’impôt n’ont pas droit au vote.

Q : Dans une entreprise de la vallée du Rhône, les actionnaires veulent de plus en plus d’argent, mettant en péril cette entreprise.

R : Oui, la finance provoque parfois la mort des entreprises au lieu de l’aider, et participe à la mort de la société par le chômage qui en découle.

Face à la finance, il est important que la société civile existe et réagisse. Par exemple, toutes les banques ont des fonds solidaires. Elles n’en font pas la publicité. Il vaut mieux placer son argent comme les primes de licenciement dans ces fonds solidaires plutôt que devenir actionnaires soi-même.

Les fonds de pensions achètent puis vendent les entreprises pour faire de l’argent. Les uns gagnent (les retraités actionnaires) 15%, alors que les autres les perdent (les salariés). C’est les vases communicants. Il faut ouvrir les yeux : les banques exigent des rendements de 15% alors que la moyenne de la croissance des meilleures économies est de l’ordre de 10%. Ca veut bien dire que la finance met à l’agonie les plus faibles.

Q : Que dire des paradis fiscaux ?

R : On a pu voir que des états abritants des paradis fiscaux (PF) étaient passés de la liste noire à la liste grise voire blanche. Mais tous les PF n’ont pas disparus, tel le Delaware aux USA, les îles Anglo-Normandes ou la City de Londres … Il faut donc exiger de nos services publics,  et des collectivités locales comme le Conseil Général, la Région, une parfaite transparence des entreprises avec lesquelles elles travaillent.  C’est ce qu’ont déjà fait de nombreux conseils régionaux ou généraux.Mais les lobbies des banques s’opposent ouvertement à ces demandes et cherchent à bloquer la démarche favorisant cette transparence.

Comme dans la lutte pour les droits de l’homme, on peut imaginer des campagnes de cartes postales adressées au gouvernement. Ça parait inefficace mais il faut se souvenir que c’est le moyen d’action choisi par Amnesty International et que, depuis sa création par Sean Mac Bride, Amnesty a démontré largement son efficacité.

Q : Le pouvoir n’aurait il pas les moyens de contrôler une juste activité des fonds de pensions et des PF ?

R : Si on attend un état éthique pour lutter contre les paradis fiscaux et les fonds de pensions destructeurs d’entreprises, on peut attendre longtemps. La lutte passe par notre action sur nos élus, notamment dans les collectivités territoriales et non uniquement par l’état.

Oui les PF sont un danger pour nos sociétés et, en plus, ils protègent l’argent du crime et de la corruption.

R : Dans les entreprises, la régulation passe par le rapport de force entre actionnaires et salariés. Dans les entreprises où existent des syndicats puissants, les actionnaires ont plus de difficultés à faire ce qu’ils veulent. Le syndicalisme est un moyen de contrôle.

R : Les actionnaires n’ont pas toujours un comportement qui va avec la réussite d’une entreprise. Par exemple l’ancien DG d’une grosse entreprise pharmaceutique a été remplacé par le conseil d’administration de cette entreprise avec un parachute doré de 2,7 millions d’euros voté, parce que sa politique de recherche n’était pas efficace. Mais il a pourtant été choisi par ce même CA pour être conseiller de l’entreprise avec un revenu mensuel de 50 000 €, auxquels s’ajoutent 50 000 € par mois pour clause de confidentialité.

R : Il faut séparer le comportement des entreprises du CAC 40 de celles des PME. Les PME sont les premières créatrices d’emplois et de richesses ; leurs patrons n’ont pas des salaires indécents et sont attentifs à leurs salariés.

R : Qui n’a pas eu la tentation de payer au noir, ou trouver de meilleurs placements ? Notre propre comportement, notre éthique n’est-elle pas le reflet de cette société de l’argent ?

Q : Comment agir pour le partage des richesses ? La loi des 35 heures si décriée n’est-elle pas un pas dans cette direction ?

R : Les 35 h ont permis de créer plus de 150 emplois à SANOFI-Recherche à Montpellier. Dans les réunions du MCC (mouvement des cadres chrétiens) au début des années 90, nous avions identifié que le problème du chômage était que la masse de travail n’augmentant pas, il fallait surtout mieux partager le travail.

R : Le partage du travail ? Notre richesse vient de l’extérieur, de la compétitivité des entreprises, du gain de productivité et de la productivité globale de notre pays. Compte tenu de la dette de l’état, il faut que la répartition des richesses soit un compromis entre ce qui est produit et les charges de l’état.

R : La sécurité sociale et le financement des retraites par répartitions sont nés en 1945, alors que le pays était ruiné et que les caisses de l’état étaient vides. Depuis le PIB a augmenté suffisamment pour financer sécurité sociale et retraites ; le problème c’est que l’assiette de cotisation ne se base pratiquement que sur les salaires. L’agriculture, à ce titre, est un bon exemple. On est passé de 10 millions d’agriculteurs après la guerre, à environ1 million maintenant. Et les 10 millions d’agriculture ont si bien développé notre productivité agricole que nous avons pu avoir des excédents, même avec 90% d’emplois en moins. Il y a donc bien eu gain de productivité. Le problème c’est que le nombre des actifs cotisants pour la retraite de leurs ainés remet en cause le système de répartition. Et la solution impitoyable actuelle est de baisser la retraite des paysans. Ce n’est pas normal.

R : Un des problèmes des 35h, c’est qu’on a partagé le temps de travail, mais pas les salaires.

R : Les références culturelles et politiques sont un état de fait. Il n’y a qu’a voir la lutte de certains américains contre le Président Obama qui a fait voter une loi pour permettre à plus de 30 millions d’américains de pouvoir avoir accès à la sécurité sociale.

R : Pour certains, la liberté c’est un renard libre dans un poulailler.

On peut faire de petites choses, à notre niveau.

Est-ce que nous sommes assez pris à la gorge ? On a encore trop à perdre.

Q : J’ai apprécié tous les exemples concernant l’action dans les entreprises. Que peut-on dire de l’action des églises ?

R : Les églises prennent des positions de partage et d’avancées sociales qui ne sont pas toujours repris par les chrétiens. L’homme doit être au cœur de tout projet. Il suffit de relire les textes de nos évêques. Par exemple « Qu’as-tu fait de ton frère ? » ou la dernière encyclique de Benoit XVI.

Pour Calvin il ne faut pas faire de l’usure sur l’argent prêté aux pauvres.

Il faut lutter pour des comportements éthiques. Le CCFD propose d’agir dans des campagnes comme celle sur le contenu des étiquettes ou celles sur les paradis fiscaux. On doit être en éveil sur tous nos actes. Sur une affiche de la dernière campagne du CCFD Terre Solidaire nommée « Aidons l’ardent » on peut lire : « Je suis l’argent, je ne dors jamais, mais j’ai quand même des rêves ».

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