MOYEN ORIENT ET PLURALITE CONFESSIONNELLE DES JEUNES : QUELLES ACTIONS ? QUELS ESPOIRS ?



Débat à partir du témoignage de Jean ROUQUETTE (Offre Joie)


                                  Appel au débat : arbre

On parle des jeunes qui partent faire le Jihad. Mais il y a des volontaires de la Paix. Ils sont nombreux, depuis 30 ans, à rejoindre les jeunes de toute confession pour bâtir un Liban uni, plural, libre et juste.
On a peur des immigrés, mais savons-nous qu’au géné-reux pays du Cèdre ils sont un tiers de sa population ! Les jeunes d'Offrejoie (OJ) ne se contentent pas de transformer leur centre inter-religieux en école pour réfugiés. L'arbre pousse une branche en Irak. OJ a bâti un collège pour les exilés de Mossoul, conçu démon-table pour le remonter au pays.
Toujours plus loin : OJ a commencé en pleine guerre par des colonies de vacances.  Chrétiens, sunnites, chiites, ont réappris à jouer et prier ensemble. Ils ont  grandi dans les chantiers de reconstruction. OJ a redonné conscience de sa force à la société civile contre la politique des Puissances - Etats mono-confessionnels, expulsion des minorités et provocant la disparition de cette diversité omniprésente qui fait le message du Moyen Orient.
En cette période de grandes migrations, en quoi sommes-nous concernés ? Qu’en pensez-vous ? Quels signes d’espérances ?

Le débat (17 novembre 2015 à la brasserie Le Dôme) :

C R du Témoignage :

Jean Rouquette (JR) est prêtre diocésain en fonction actuellement à St Georges d’Orques.
Il commence par une anecdote : hier sur la place de la Comédie il y avait beaucoup de fleurs, de lumignons…pas une seule inscription en arabe ! Rencontrant un jeune musulman de Djibouti il lui demande s’il est contre ces attentats : « oui, me  répond- il ; je lui dis alors: Comment s'écrit  Allah  ou Akbar » ; Ils l'écrivent  ensemble,  et de commenter : Allah est le plus grand car Dieu est plus grand que ces assassins.
  Au Moyen Orient (Liban, Syrie, Irak) il était facile de se dire chrétien ou musulman car tous vivaient ensemble depuis des siècles. On étudiait ensemble à l’école des Sœurs ou des Jésuites. On se côtoyait dans les quartiers, les villages, on prenait le café ensemble…
  Offre Joie (OJ) est né pendant la guerre du Liban où  des jeunes de toutes confessions se retrouvaient au sein de la Croix Rouge. En 1985 au Centre St Guilhem j’en ai rencontré  qui venaient faire leurs études en France. Ils m’ont raconté avoir fait l’année précédente au Liban une colonie de vacances, et me mettent dans le coup pour pouvoir continuer. Dès le départ de jeunes français ont participé à ces colonies.
La guerre avait provoqué des regroupements par religion. En 1991 une colo réunit 500 enfants, toutes religions mélangées, pour ré- apprendre à vivre ensemble ! "Le maire du lieu, lors du pot de bienvenue me demande une place pour sa fille car il voudrait qu’elle connaisse des chrétiens !" En 1990 OJ a organisé une Caravane de la paix. En 1992 une caravane est  même allée dans le Sud occupé par Israël, avec le slogan : « renversons les barrages, réunissons nous ».
Dès 1992 ont commencé les chantiers de reconstruction.  Jeunes sunnites et chiites ont reconstruit ensemble des maisons que des miliciens de l'autre bord avaient détruites. Des amis de Sœur Emmanuelle, des jeunes des collèges de Jésuites de Paris, des scouts unitaires  sont venus les aider l'été pour humaniser des prisons, récupérer du matériel pour les écoles en danger de fermeture. Mais surtout la grande amitié de ces jeunes a été contagieuse sur la population.
En 2002 ce fut le grand déclic ! Ils ont réhabilité tout un quartier de Tripoli et transformé "ligne verte" du no mans land en ruine  entre sunnites et alaouites ligne verte  des places arborées et de  terrains de jeux. Les journalistes sont venus et ont écrit que  les jeunes donnaient la preuve que ce que les pouvoirs publics ne faisaient pas, les citoyens pouvaient le faire comme eux.

Après les accords de Taëf, qui ont payé le retour à la paix par le partage du Liban en zones d'influence de ses deux voisins, (occupation du Liban par la Syrie), le refus profond d'un retour à la guerre des milices n'a pas totalement écarté le danger de contamination par les problèmes non réglés au moyen Orient. On voit plus de voiles islamiques qu'au temps de la guerre, et les intégristes chrétiens de France instrumentalisent les peurs des chrétiens d'Orient.
Offrejoie avait été à la pointe de la revendication d'un Liban uni, plural, libre et juste. Il a contribué au sentiment qu'une fois chassé l'occupant israélien, l'occupation par la Syrie avait perdu tout prétexte, et après le départ des Syriens, à travers nombre d'actions, il avait commencé de donner à la société civile la conscience de sa force.
De nos jours la guerre avec la Syrie a rendu problématiques tous ces acquis! Des conflits endémiques ont empêché les jeunes d'OJ de reprendre à Tripoli le chantier du quartier plusieurs fois détruit, plusieurs fois rebâti." Mais j'y ai entraîné une poignée de volontaires  à reconstituer les fresques murales qui témoignent à nouveau « si tout est à recommencer, on peut tout recommencer! »
Après les massacres de 2010  dans la Cathédrale de Bagdad OJ a même offert aux jeunes d'Irak sa solidarité et son expérience d'une culture de la Paix. Depuis, O.J. Irak a fait des colonies de vacances, avec des moniteurs, libanais au début, puis irakiens. Il ne faut pas que l’Irak se vide de ses chrétiens ! Un an après l'invasion par Daech, les colos ont été impossibles, mais O.J. a créé à Erbil, où toute la population chrétienne et yazidie s'est réfugiée dans des kilomètres de tentes et de mobilhomes, une école pour 1000 enfants… un  collège est démontable, pour entretenir l’espoir de rentrer à Mossoul !
Pour l’instant rien n’a pu se faire en Syrie, mais au Liban O.J. a ouvert dans ses locaux d’OJ une école pour les enfants des réfugiés syriens qui fuient aussi bien Bachar el Assad que l'Etat Islamique. Magnifique exemple d'un pays d'accueil où les réfugiés du pays qui l'occupait naguère représentent un tiers de sa population totale! Et pourtant les Libanais  ont aussi leurs attentats (60 morts récemment dans le sud). Le Liban n’a pas de président depuis 1 an. Les députés se sont voté une prorogation de leur mandat et les chefs de partis qui furent les chefs des milices attendent de savoir comment tournent les événements et les alliances dans le Moyen Orient pour  élire selon la règle comme Président de la République un chrétien pro (le Général Aoun) ou anti Hezbollah  (Jaja) , et, selon la même bi-polarisation, un Premier ministre sunnite  et un président du parlement chiite. La crise des poubelles, toujours pas résolue, faute d'accord entre les politiciens, est symptomatique de la situation : des immondices partout, des rats… De temps en temps on y met le feu… Le ministre de l’environnement a démissionné, des manifestations se multiplient, le Mouvement « vous puez » n’arrive à rien… C'est sur ce point comme bien d'autres l'attentisme, chacun renvoyant à l'évolution de la politique internationale le déblocage la situation !
Du coup, Offrejoie a lancé un chantier d'un nouveau genre, propre à faire honte aux "élus": Les jeunes se sont armés de gants et de sacs pour assainir au moins les rues! Leur devise est symbolisée par les trois doigts levés en signe de reconnaissance : Amour, respect et pardon.
  La vocation d’OJ est de dire haut et fort : « restons ensemble, chrétiens, druzes, sunnites et chiites ; gardons la diversité qui caractérise le Moyen Orient, luttons contre ceux qui voudraient créer des mini-états mono-confessionnels. Ne partez pas, revenez chez vous ».

Débat

Q : Combien de personnes à OJ ?
JR : c’est un Mouvement spontanéiste qui se réinvente chaque année. Certains anciens sont partis travailler à l’étranger. D'autres ont aujourd'hui des postes de responsabilité au Liban. C’est l’ONG la plus connue au Liban, et respectée même par tous les partis.
Q : Comment se fait-il qu’il y ait autant de syriens et que ça n’ait pas explosé ?
JR : Ce n’est pas facile en effet ! Du temps de l’occupation par Bachar El Assad Israël a dû quitter le sud Liban sous la pression de la population et du Hezbollah. Plus tard les Libanais ont réussi à mettre les Syriens dehors. A l’époque il y avait un certain racisme syrien : cf la charade que j'avais même inventée et qui faisait tordre de rire les jeunes: mon 1er est une nullité, mon 2ème est une nullit, etc. …mon 6ème est une nullité : mon tout est une nullité ! Et maintenant ils accueillent les compatriotes de leurs anciens occupants dans les camps de réfugiés !
Q : Comment OJ peut-il survivre à 30 ans de spontanéité ?
JR : Nous sommes apolitiques. Les jeunes d’OJ ont pourtant fait signer aux candidats aux élections une charte de bonne conduite. Chaque fois que cela est nécessaire Melhem, le fondateur, fait un  appel à volontaires, et ils répondent « présents ».
Q : Le politique et le religieux sont étroitement liés. Les responsables religieux n’ont-ils pas droit à la parole ?
JR : Ils changent souvent de camp et ne s’entendent pas. Les clivages politiques traversent toutes les religions.
Q : Comment les jeunes d'Offrejoie se reconnaissent-ils en dehors des colos et chantiers?
JR : Ils n’ont pas d’uniforme en effet mais ils se repèrent ! C'est ainsi qu'un jeune qu'on avait eu l'année précédente dans un camp pour mineurs délinquants, repérant à Tripoli des responsables venus y écouler de la ferraille, s'est fait connaître d'eux et les a amenés dans son quartier… Celui-là même où ils allaient créer un chantier!
Q : Quel encadrement ont-ils ?
JR : Chaque année il y a un camp de formation avec un noyau d'anciens.
Q : Et les jeunes de France ?
JR : Il y en a moins. La guerre dans la Syrie voisine les dissuade ainsi que leurs parents. Mais il y a des volontaires qui viennent pour 6 mois comme professeurs pour les réfugiés. Certaines écoles ou entreprises envoient des jeunes en stage. OJ a un groupe d'anciens actif sur Paris et sur Lyon (le site www.offrejoie.org est alimenté depuis Lyon). OJ a un bulletin (Offrejoie, 2 rue de l'Eglise, 34 680 St Georges d'Orques - CCP 18 742 T Montpellier).
Q : D’où vient l’argent ?
JR : Au début surtout des amis de France, puis de plus en plus d'entreprises du Liban (matériaux, aliments, dons).
La pagaille au Liban vient de la politique internationale. La création d’Israël les a perturbés. Les jeunes reprochent aux vieux la pagaille actuelle. La guerre de Syrie les a déséquilibrés.
Q : je suis allé en mission au Liban et la conclusion de notre audit était qu’il fallait créer une autre faculté. Pas question leur a-t-il été répondu : qui en sera le président ? Un chrétien ? Un sunnite ? Il n’y a pas de recensement depuis 1946 !
JR : la religion n’est plus marquée sur la carte d’identité. Tous ont les mêmes droits. Mais les maronites existent en tant que maronites, les sunnites comme sunnites, etc. Au siècle dernier  il y avait 50 % de chrétiens au Liban ( c'est la plus  ancienne communauté du pays), de nos jours seulement 30 % avec le risque de disparition ! Les minorités ont besoin d'un statut pour se sentir en sécurité. Mais les musulmans sont les premiers à dire que sans les chrétiens le Liban ne serait plus le Liban.
Q : Quelles langues parle-t-on ?
JR : C’est un problème à Offrejoie pour les volontaires français qui ne parlent pas l’arabe.  C'est d'ailleurs grâce aux chrétiens du Liban que la langue arabe a connu son renouveau littéraire. Mais si le français recule devant l'américanisation, on peut toujours communiquer en anglais, qui gagne du terrain.
 Q : Beaucoup d’étudiants étrangers venus apprendre en France ne rentrent pas dans leur pays : n'est-ce pas un appauvrissement pour leur pays?
JR : C’est vrai que certains restent là où ils ont fait des études supérieures, plus encore de nos jours à cause de la guerre. Et beaucoup de chrétiens ont envie de partir ! On m'a même parlé d'évêques européens qui débauchent à leur service des prêtres du Moyen Orient en leur offrant une vie confortable au lieu de la perspective du martyre ? Mais beaucoup résistent, et c'est héroïque.
Q : Y a-t-il une différence entre les chrétiens d’orient et les chrétiens d’occident ?
JR : C'est une chrétienté traditionnelle (village, famille, Eglise). Mais jeunes et moins jeunes, malgré la forte pratique, se posent souvent des questions sur la foi sans trouver qui les aide à la penser pour aujourd'hui
Le christianisme du Moyen Orient, fervent mais décalé par rapport à son évolution en occident n'empêche pas prêtres et moines d'étudier la théologie en Europe ou en Amérique. Mais les Libanais qui pavoisent aux JMJ  quand ils viennent vivre en France ils cessent souvent de pratiquer, comme les jeunes français.
Q : Quel message nous laisseriez-vous ? Quel avenir?
JR : Ceux d’Offrejoie  y croient. Nous y travaillons.







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