PMA : QUELLES QUESTIONS ?

Débat à partir du témoignage du Pr Pierre MarèS (Gynécologue obsttétricien)

Appel au débat :

arbre

La PMA (Procréation Médicalement Assistée) ou AMP (Assistance Médicale à la Procréation) est un ensemble de pratiques cliniques et biologiques où la médecine intervient dans la procréation.


 


Les découvertes médicales sont-elles «une fatalité ou un espoir ?

 

La médecine se heurte à une réflexion sociétale : où est la place de l’enfant dans cette question ?

La société doit-elle prendre en charge un choix individuel ? Il s’agit en effet d’un choix des parents et non celui de l’enfant.

 


Quelle est la place de la liberté de l’enfant ? Venez nombreux en débattre avec nous.


Le débat (15 10 2019 à la brasserie du Dôme) :

Témoignage

Le docteur Bernard Redon introduit la soirée en présentant son ancien condisciple Pierre MARES professeur d’obstétrique et de gynécologie au CHU de Nîmes , membre du Comité National d’Ethique..
En commençant Pierre MARES précise que la PMA lui tient particulièrement à cœur. Il a collaboré à Montpellier avec Bernard HEDON et Montpellier est actuellement la deuxième ville de France pour la fécondation in vitro.

I Débat de société.
On parle de bioéthique en se tournant vers la médecine… en fait les questions que nous nous sommes posées concernent la pratique médicale vont bien au-delà de la médecine.  Il s’agit bien plus d’un débat de société qui pose des questions multiples :

1 – la médecine a répondu à une question médicale d’infertilité de couple ou d’une maladie à risque à éviter …
D’ailleurs le screening d’embryon pour le dépistage de maladie à risque est pour l’instant interdit comme ceci est le cas dans le dépistage des BRC1 BRC2 qui sont des facteurs favorisant le cancer du sein chez la femme à un certain âge.
2 – la demande actuelle intervient dans le cadre lié aux reconnaissances de parentalités « nouvelles » : monoparentalité, homoparentalité qui jusque-là trouvaient des solutions naturelles sans intervention médicale…. En effet il ne s’agit pas d’un problème médical à proprement parlé.
De fait la notion de filiation a été modifiée et je vous renvoie au texte de Françoise Héritier : « la filiation est un lien social (adoption) qui peut être complètement découplée de la biologie. Il n’y a pas de père biologique, il n’y a que des pères sociaux et des géniteurs… L’enfantement (féminin) ou l’engendrement (masculin) peuvent être dissociés de la filiation »
Ceci correspond à une dissolution du lien entre le biologique et le généalogique dont les impacts sont multiples comme on peut l’imaginer ainsi qu’au niveau sociétal : héritage …
A un degré supplémentaire on peut imaginer que les biotechnologies permettent de constituer « un pas en avant » permettant de passer de la sélection naturelle à un « dessein intelligent »… (Alba - le lapin fluo – E KOC).
Ce déplacement du concept familial était inscrit dans ce qui était l’engagement 31 de F.HOLLANDE « c’est l’enfant qui fait famille ».
3 -  On a donc franchi un cap avec la dissociation de la sexualité et de la fécondation et de la parentalité et on dissocie ainsi l’acte sexuel de l’attachement inter personnel.
4 – Ceci remet en cause la place du père mais aussi la place de la mère aujourd’hui et dans l’avenir puisqu’on peut très bien imaginer d’ici une vingtaine d’années, pourquoi pas, de réaliser des grossesses totalement in vitro avec des placentas artificiels.
5 – le questionnement se pose également de l’avenir de l’enfant avec un enfant aux « normes » du désir parental qui pourrait évoluer dans le temps et les conduire à rejeter cet enfant …
Cette démarche pourrait également s’appliquer pour les couples hétérosexuels.
On en arrive à la demande de l’enfant sans grossesse : cf le point 4
En conclusion intermédiaire on perçoit l’évolution qui concerne l’enfant avec entre 1980 et 2020 « une évolution qui pourrait être décrite de la façon suivante :
A – l’enfant comme un don ou une chance
B – l’enfant comme un droit
C – l’enfant comme je souhaite….où est la liberté de l’enfant son espace d’originalité ….

II – Des questions « oubliées »

En abordant les questions de cette façon on a « passé » discrètement sur des questions non abordées ou évitées ?
1 - La connaissance de l’ADN de quelqu’un ne permet en rien de préjuger de son avenir ni de son histoire même si autour des années 1960 – 1970 la connaissance de génome paraissait comme le graal absolu pour connaitre le devenir d’un individu.
En effet, à quoi sert de connaitre l’ADN de quelqu’un avant la naissance par rapport au vécu des parents et au vécu de l’intéressé.
2 – on connait aujourd’hui l’existence de zones non codantes de l’ADN qui constitue en fait de véritables réservoirs de variabilité dans une même espèce. (T Rouberetoux – CNRS 2005)
3 – On sait également qu’il existe des variations génétiques chez chacun de nous puisque 10% des gènes ne sont pas doubles et 12% du génome présente des variations. (Redon – Nature 2006)
4 – On a même vu le projet d’une banque de sperme le prix noble qui n’a pas eu un franc succès. C’était d’ailleurs oublier que les parent ce « ces prix Nobel » ne l’étaient pas… pas plus que leur frère et sœur
5 – L’établissement des liens in utero mère enfant, si importants pour le développement de l’enfant dans les années 80… et objets de tant de recherches des pédopsychiatres et des spécialistes de l’enfant
6 – Les risques pour une femme de « porter » une grossesse au niveau vital (88 décès / an en France) mais aussi au niveau de la morbidité : incontinence urinaire, incontinence anale, trouble sexuel, image corporelle …. Voire d’une césarienne
7 – L’apparition de l’épigénétique avec les facteurs environnementaux et les polluants auxquels s’ajoute le fait que le fonctionnement des gènes peut être imprévisible soit muté soit se taire soit se réveiller. En clair on comprend que l’évolution n’est plus simplement liée à l’ADN. (Etienne Dauchin – Tououse)
En fin tout ceci néglige la capacité de nos sociétés à réaliser des progrès techniques et d’innovation conceptuelle pour faire des traitements qui iraient même au-delà du génome.
Vous percevez assez rapidement que ce qu’on appelle progressiste sont plutôt des fixistes puisqu’ils veulent déterminer l’intégralité du devenir d’un individu dès sa conception et qu’on peut se demander où est le progrès puisque le progrès serait de faire confiance à une société capable de progrès techniques et d’innovations.

III – Le rôle des comités d’éthiques
J’aborde ce sujet étant moi-même membre d’un comité d’éthique.
On peut se poser la question de capacité de réflexion critique des comités d’éthique ou est-ce qu’ils ne sont qu’un espace de préparation à l’acceptation des biotechnologies comme un mode de vie ? ou pour permettre à des économistes de défendre des programmes financés pour « ne pas être distancé par d’autres pays » ? (il n’est pas anodin de remarquer que les membres du comité national d’éthique ont changé avec les modifications de chaque président successif pouvant expliquer les positions parfois différentes….

Quelle est la place du poids de technosciences qui s’imposent comme étant les démarches seulement progressistes ? (liens d’intérêt ?...)
Je vous renvoie à quelques citations :
« il n‘y a pas de limite morale à une médecine non directement thérapeutique, il n’y en aura donc pas également au niveau du génétique engineering » : Suzanne - In manipulation genetic Human – De Boeck – 1990.
D’un côté et de l’autre ….
« tout se jouerait dans l’intégration par tout un chacun de normes médicales et biologiques et de l’affirmation d’attitude  et de revendications de type consumériste concernant la santé, la procréation, la vie, l’amour » (Laurence Gavarini) 
« Le technoscience … se justifie constamment par elle-même, elle tend à éliminer tout jugement de valeur que celui-ci vienne du droit de l’éthique ou de la morale ». (Labrusse Riou – 1991)

Et nous n’avons pas abordé ici les sujets tels que la GPA et les questions du Trans humanisme.

IV – Les questions de société.
On ne peut que s’étonner avec le retour de la recherche du naturel, de la protection de la nature, de la façon sont posées ces questions.
On met en place des démarches de plus en plus nombreuses pour protéger la nature et les animaux et on développe de plus en plus une démarche d’artificialisation ou de sophistication de la nature humaine ce qui devrait nous poser quelques questions, ne serait-ce qu’en termes de prudence quand on ne sait pas quelle en sera l’évolution sur le long terme.
Mais en fait ceci s’inscrit dans une forme de paradis moderne qui serait une nouvelle étoile polaire : « dans les années 2030 l’hybridation de nos cerveaux avec le NBIC nous permettra de disposer d’un pouvoir démiurge » (Ray Kuzweil – Google)

V – Les faits
17 mai 2013 : « il est exclu qu’un lien de filiation puisse être établi à l’égard de deux personnes de même sexe » CCNE. On sait ce que propose la nouvelle loi
7 février 2018 : Conseil des évêques : « Respect de l‘être humain dans sa dignité et sa vulnérabilité »
27 juin 2018 CCNE : « Rien ne s’oppose à l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules »
11 juillet 2018 Conseil d’Etat : Ce dernier ne s’oppose pas à ‘l’ouverture de l’AMP ou à son statuquo… plaçant les politiques devant leurs responsabilités et en insistant sur les conséquences profondes pour la société.
25 septembre 2018 : Conseil d’Etat : « Priver un enfant de sa double référence paternelle et maternelle ne s’accorde pas avec les intérêts supérieurs de l’enfant » Convention relative aux droits de l’enfant – Oviedo.
Le CCNE en 2005 avait d’ores et déjà donné une réponse tout à fait pertinente et qui pourrait être le résumé de mon intervention.
« L’AMP a toujours été destinée à résoudre un problème de stérilité d’origine médicale … l’ouverture de l’AMP à l’homoparentalité ou aux personnes seules constituerait alors peut être un excès de l’intérêt individuel sur l’intérêt collectif
A ce stade je vous propose quelques questions qui sont pour vous et pour moi
N’a-t-on pas fait un mélange dans ce débat entre éthique, société et économique ?
Doit-on prendre en charge sur le plan médical une infertilité « choisie » par un mode de vie ?
A-t-on mesuré la place du père, de la mère et de l’enfant dans son droit ?
L’enfant peut-il être un « produit » objet d’une marchandisation ?
Peut-on mettre en place une loi qui s’appuie sur un désir d’adulte sans se poser la question de l’intérêt de l’enfant et de la liberté de l’enfant ? et du désir changeant des adultes
A-t-on posé la question de l’enfant dans son droit à avoir une référence parentale claire ?
L’enfant « obtenu » qui peut être refusé par le couple accueillant ou gardé par la mère génitrice ?
La médecine est-elle au service de la santé ou de désir particulier et jusqu’où ceci peut aller ?
La notion du respect de liberté des personnes puisque pour défendre la liberté de quelques-uns on réduira la liberté d’autres en échange d’une somme d’argent
La séparation entre le biologique et le généalogique et son impact pour la société, sans parler des notions d’héritage
Pourquoi a-t-on oublié de parler du lien mère enfant in utero dont tout le monde souligne l’importance aujourd’hui ?
L’impact de ce choix sur l’existence des familles et des familles monoparentales non pas subies mais délibérément choisies au niveau psychologique voire au niveau économique de la société, car y aura-t-il une raison à garder une indemnité pour mère seule et femme isolée dès lors que ce sera une démarche délibérée ?

L’éducation sur la fertilité vis-à-vis des femmes et des hommes en sachant le rôle de l’impact du recul de l’âge de la grossesse sur le développement de l’infertilité et la mise en place d’une information source d’une prévention face à ces problèmes
Une autre question qui est le détournement ou le dénigrement de la pensée de l’autre, les défenseurs d’une position faisant passer les autres pour des non progressistes, non modernes alors qu’on peut se poser la question de savoir qui est moderne dans la défense de la personne par rapport à un ultra libéralisme…

Conclusion qui n’est pas du tout une conclusion ….
On se trouve devant un débat beaucoup plus important qu’il n’y parait puisqu’il met en jeu la personne et l’organisation de la structure sociétale.
Je citerais D Sicard 2008 : « le marché biotechnologique se nourrit … d’une recherche offrant un avenir radieux et… fini par oublier la personne qui est l’objet de cette prédiction.
Par ailleurs « ce qui spécifie l’humanité c’est que chacun de ce qui la compose vaut pas sa différence avec tous les autres » (Marie Jean Sauret – Journal des psychologues – 2008.)
Faut-il avoir peur ? Faut-il se braquer sur les positions ? il parait beaucoup plus logique de réfléchir et de travailler sur ces questions et je vous renverrais à la proposition de P. VESPIEREN dans Hors-série de Bioéthique de 2009 : « en appeler à la responsabilité personnelle et collective porte souvent plus de fruits que de s’opposer à l’innovation »
Ceci me parait la base de notre discussion et de notre rencontre car l’essentiel des échanges qui vont suivre c’est de nous permettre d’éveiller, de développer une intelligence éthique qui enrichisse notre société car : « chaque progrès donne un nouvel espoir suspendu à la solution d’une nouvelle difficulté le dossier n’est jamais clos » CL Levi-strauss


Débat


1 Le Conseil National d’Ethique  (CNE) s’est-il posé toutes ces questions ?

PM : il y a aussi des pressions venant de la société. Et le président du CNE a dit « je ne sais pas ce qu’est le bien et le mal

2: la marchandisation du corps humain. Elle nous guette car si on autorise, au nom de l’égalité, des couples d’hommes à recourir à la PMA, c’est la porte ouverte à la GPA (gestation pour autrui).
PM : en France il y a un droit à la PMA car c’est remboursé par la Sécurité Sociale. Ailleurs la PMA est payante.
Le droit français préconise l’anonymat du donneur mais désormais avec l’accès à la connaissance de son ADN, tout le monde pourra connaître son donneur.
En France le don de gamète est gratuit. Il n’en est pas de même à l’étranger.
3 Quelles sont les pressions qui s’exercent ? Le docteur Touraine ne se cache pas de ses démarches (en précisant : « c’est mon choix personnel »), mais il y a des pressions des partis : en témoigne le vote d’aujourd’hui à l’assemblée nationale

4 Il y a –t-il une baisse de la fertilité ?
PM : oui, elle est nette aussi bien chez l’homme que chez la femme. Et pour celles-ci il y a un seuil à partir de 36 ans.
La baisse de la fertilité a-t-elle un rapport avec cette loi ? PM : non, c’est un lobbying par principe d’égalité, d’équité ou de justice. 3% de la population n’a pas d’enfants.

5 Le CNE est-il une spécificité française par rapport aux pays anglo-saxons ?
PM : Jean - François Mattei a défendu la bioéthique.

6 Au départ la PMA était au service du désir d’enfant mais actuellement, elle peut déboucher sur de l’eugénisme quand on identifie une anomalie sur le fœtus.
PM : en France, on ne fait pas d’eugénisme : quand on dépiste une anomalie, on informe les parents, et on les accompagne quelle que soit la décision qu’ils prennent. Cela est différent dans d’autres pays : en Australie, si l’on garde l’enfant, on n’a pas de prestations sociales pour lui.
En France on a refusé le principe d’une grille de dépistage. On ose parler : si l’on découvre une anomalie incompatible avec la vie au regard des connaissances actuelles, on peut faire une intervention médicale de grossesse (IMG) jusqu’à la fin de la grossesse.
On a toujours pratiqué des formes d’euthanasie : les enfants qui ne se réveillaient pas « sous l’oreiller »
Les certitudes n’existent pas en cette matière : la banque de sperme des prix Nobel était un leurre.

7 En France, on accepte la liberté des individus. On parle de droit à l’enfant mais on ne parle pas du droit de l’enfant. Scientifiquement on peut faire des choses mais a-t-on le droit de les faire ?
Les féministes parlent d’égalité mais c’est faux. Dans les couples homosexuels de femmes, on fabrique des enfants sans père, pourquoi accepte –t-on le droit à l’enfant ?
PM : les hommes politiques défendent des idéologies mais les pédopsychiatres connaissent les difficultés des enfants vivant dans des familles monoparentales. Naguère ces familles n’étaient pas le résultat d’un choix, actuellement la situation est différente : la loi doit respecter les familles monoparentales mais non les favoriser. Le débat éthique est différent du débat social. On risque une société sans père.

8: on glisse de la PMA vers la GPA.
PM : oui
9: Quel est le taux de réussite de la PMA ?
PM : 25 % et elle est prise en charge par la SS.
La PMA post mortem n’a pas été autorisée en France car les psychiatres l’ont refusée.

PM : la PMA est remboursée par la Sécurité Sociale, même si c’est une décision individuelle. Mais dans quelque temps on aura à choisir entre soigner des nouveau-nés ou des vieux.
On a fait allusion à l’arrêt Perruche : Jean François Mattei a défendu la dignité de chaque être humain et la primauté de l’individu sur le général. On ne devrait pas porter plainte quand on est né vivant.

10: les couples homoparentaux doivent assumer une condition qu’ils n’ont pas choisie
PM : c’est la réalité de la vie. Des couples hétérosexuels qui n’ont pas d’enfants par nature, peuvent en avoir grâce à la technique.

11 et l’adoption ? Il y a aussi le fait que l’on ne connait pas son identité. Mais ce n’est pas si simple, dit un psychiatre dans l’assemblée.
Dans la réalité il n’y a pas d’égalité, et l’on risque de faire avancer des idées au détriment des faits. On sépare sexe, amour et reproduction.
Enfin la PMA a un coût : environ 50000 €, une insémination : 40000€.
De nombreux couples n’auront jamais d’enfants, la PMA a un taux de réussite de 25 % et la nouvelle loi concernera environ 4000 couples en France


Ethernaute : Vos reflexions nous intéressent. Envoyez un courriel à l'adresse suivante : aucafedelavie@free.fr.


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