SERVICE DU FRÈRE : QUELS ENJEUX ?

Débat à partir du témoignage d'André CARRIÈRE (CCFD) 

Appel au débat :

arbreNous sommes tous frères en humanité. Il n’est donc pas nécessaire d’être chrétien pour être frère. Toutefois être frère est constitutif de l’être chrétien : annoncer l’évangile, prier et célébrer et servir, ce qui n’est pas partagé par l’ensemble des chrétiens.
L’Eglise a lancé un appel « Diacona », pour provoquer les chrétiens à vivre davantage, dans la réciprocité, la fraternité et l’espérance, avec les personnes en situation de fragilité, proches ou lointaines.
Dans la situation difficile de notre société les enjeux du service du frère sont :
-    Le souci du pauvre, du plus petit, qui doit passer par le faire ensemble, lui donner pouvoir et dignité. La charité et la bonne volonté ne suffisent pas.
-    Ne pas déléguer ses responsabilités aux ONG spécialistes, (CCFD, Secours Catholique, Secours Populaire …), mais s’engager, voire être prosélyte.
-    Lutter contre les injustices, le communautarisme, la violence, l’indifférence, l’individualisme …
-    Dominer ses peurs et préjugés, accueillir l’étranger
-    Comment être accueillant, attentif, disponible … ?

Chrétiens ou non, le service du frère nous concerne. Venez partager vos réflexions, interrogations, convictions et propositions.

Le débat (Mardi 19 novembre 2013) :

C R du Témoignage :

En début de rencontre André CARRIERE  (AC) : se présente : d’origine rurale et occitane, sur un territoire marqué par les grandes révoltes de 1907, son enfance a été marquée par la vigne, moyen de subsistance et lieu à défendre. Mais aussi lieu de fraternité : dans les villages on « se donnait la main » pour les travaux agricoles.

Il a suivi des études supérieures qui ont fait de lui un enseignant : il a exercé en Algérie, après l’indépendance de ce pays, tout en fréquentant l’évêché d’Oran. A son retour en France, pour rester dans la ligne de ce qu’il avait vécu en Algérie, il s’engage au CCFD. et entame une carrière de responsable de recherche au ministère du travail tout en ayant la responsabilité régionale de la formation continue des agents de ce ministère.

Il a participé, au printemps dernier au rassemblement à Lourdes de « Diaconia ». C’est à ce titre qu’il intervient aujourd’hui, au Café de la Vie.

Le service du frère : quels enjeux ?

1) Tout d’abord, il n’est pas nécessaire d’être chrétien pour s’occuper de fraternité. Nous sommes dans la semaine de la solidarité internationale où les chrétiens ne sont pas seuls à œuvrer La devise de notre République est Liberté, Egalité, Fraternité. En langage religieux on parle de servir le bien commun et cette notion recouvre l’intérêt collectif.

Quand on parle de santé ou de vieillesse, la Sécurité Sociale (allocations familiales, prise en charge santé, retraite) est un acquis qui règle nos vies, et qui a été rendu possible, en 1945, par l’accord de tous les courants politiques issus de la Résistance, sous l’égide du général de Gaulle. Toutefois, on peut avoir la crainte que cette belle idée ne soit attaquée….

Nos hôpitaux actuels sont les héritiers des « Hôtels Dieu » et l’idée de solidarité se trouve déjà en Grèce dans les écrits d’Aristote.

Deux événements majeurs :

            10 décembre 1948 : Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen.

Le préambule affirme la valeur et la dignité de la personne humaine. L’article 1 appelle les Etats à vivre dans la fraternité.

            7 décembre 1965, à la veille de la clôture du Concile Vatican II : publication de la constitution « Gaudium et spes » : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n'est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur coeur. Leur communauté, en effet, s'édifie avec des hommes, rassemblés dans le Christ, conduits par l'Esprit -Saint dans leur marche vers le Royaume du Père, et porteurs d'un message de salut qu'il leur faut proposer à tous. La communauté des chrétiens se reconnaît donc réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire. »

Il n’y a pas une histoire sainte et une histoire profane mais une seule histoire, une seule humanité et une seule famille humaine.

2) Il n’est pas nécessaire d’être chrétien pour pratiquer la fraternité, mais servir le frère est constitutif de l’être chrétien.

Benoît XVI, dans « Deus caritas est » (n° 25) « la nature profonde de l’Église s’exprime dans une triple tâche: annonce de la Parole de Dieu (kerygma-martyria), célébration des Sacrements (leitourgia), service de la charité (diakonia). Ce sont trois tâches qui s’appellent l’une l’autre et qui ne peuvent être séparées l’une de l’autre. La charité n’est pas pour l’Église une sorte d’activité d’assistance sociale qu’on pourrait aussi laisser à d’autres, mais elle appartient à sa nature, elle est une expression de son essence elle-même, à laquelle elle ne peut renoncer »

En pratique, cette triple dimension n’apparaît pas toujours mais la pratique du culte et des sacrements n’est pas le tout de la vie chrétienne.

On pense souvent que l’Eglise a ses spécialistes du caritatif, qui font très bien les choses, et que l’on se contente de soutenir financièrement (éventuellement) Mais dans la société des figures comme l’abbé Pierre ou sœur Emmanuelle ont soulevé un courant de sympathie : ils n’ont pas fait des discours sur le service des pauvres mais une pratique authentique de la fraternité a eu un effet d’annonce. L’Evangile s’annonce surtout en actes, et l’on peut alors se réjouir, prier et célébrer.

C’est ce qu’a fait le pape François, quand le Jeudi Saint il a lavé les pieds de prisonniers (y compris d’une jeune fille musulmane). C’est la pratique de Jésus de Nazareth.

3) L’événement Diaconia :

Ce rassemblement de Lourdes (mai 2013) avait été préparé depuis 2010 : c’est une étape et non la fin d’un processus.

Cet événement a été ignoré par la grande presse, il a pourtant réuni 12000chrétiens dont 86 évêques (voir sur Google : Diaconia 2013). En introduction au rassemblement Mgr Bernard HOUSSET (président du conseil national pour la solidarité) a affirmé : « personne n’est trop pauvre pour n’avoir rien à dire, personne n’est trop pauvre pour n’avoir rien à partager ».

Le partage implique que chaque partenaire compte. Il faut que cette analyse soit reprise dans nos communautés.

Le groupe de réflexion « place et parole des pauvres » était associé à la mise en œuvre de la démarche et 3000 participants (sur le total de 12000) étaient des personnes en situation de précarité ou l’ayant expérimenté récemment.

Quelles problématiques dégager ?

La crise économique provoque une augmentation de la pauvreté et une régression de la justice sociale : il ne faut pas  s’y résigner.

Doit-on porter secours à ceux qui sont précaires sans prendre en compte leur parole ? : Non, il faut les écouter, leur laisser une place importante dans l’Eglise pour faire advenir une société plus juste

Il y a eu 120 propositions pour générer des travaux en ateliers.

AC a choisi un atelier avec Gustavo GUTIERREZ (« père de la théologie de la libération)  un jésuite d’OMS en Syrie et « Frère Jean Pierre » (MGR JP GRALLET, franciscain, archevêque de Strasbourg. ;)

La fraternité consiste à « faire avec » dans une relation d’égalité et non faire « pour » ni avoir « ses pauvres ». Quand on parle de pauvres et de pauvreté, il faut avoir une option préférentielle pour les pauvres. Et avoir un constat de départ : ce qui est conflictuel quand on parle de pauvreté c’est d’en rechercher les causes. Don Helder CAMARA disait : « si je donne à manger à quelqu’un qui a faim, je suis un saint mais si je demande pourquoi cette personne a faim, je suis accusé d’être un communiste ».

4) Pauvre, pauvreté, option préférentielle pour le pauvre selon Gustavo GUTTIEREZ

Pour lui la pauvreté est un phénomène complexe qui ne se limite pas à l’aspect économique. En ce sens la théologie de la libération parle du pauvre comme de la « non personne », ou de « l’insignifiant ». Par ces expressions ou en affirmant que le pauvre est le membre de « classes sociales et de cultures opprimées » et de races discriminées (les indiens aymaras ou quetchuas au Pérou sont une catégorie  doublement opprimée et marginalisée ), on fait écho à cette complexité du réel. Le pauvre c’est celui qui n’a pas de poids dans la société, le laissé pour compte, celui qui n’a pas de parole à dire. Diaconia qui met en œuvre une démarche de parole pour le pauvre rejoint cette analyse de la théologie de la libération.

La théologie de la libération prend sa source et son langage dans la bible.

En 1954, Albert GELIN publie « Les pauvres de Yahvé » qui est à la source de la réflexion de Gustavo GUTIERREZ. André Carrière relève, dans le livre de GELIN les nombreux termes hébreux[1] qui nomment le pauvre et sont une invite à ne pas le laisser dans cette situation dégradée.

Ce livre, « Les pauvres de Yahvé » est relativement récent mais les thèmes développés avaient déjà été abordés par les Pères de l’Eglise : Ambroise de Milan, Basile de Césarée, Jean Chrysostome…. Mais leur enseignement était tombé dans l’oubli.

Il a fallu le travail de l’exégèse historitico-critique pour redécouvrir l’option préférentielle pour les pauvres.

Et l’on doit prendre cette option non parce que les pauvres sont bons mais parce que Dieu est bon. Désormais cette expression fait partie des expressions du magistère.[2] .

L’option pour les pauvres est un choix radical et décidé, et non une vague possibilité. Elle est préférentielle mais non exclusive. Mais ce n’est plus une option optionnelle

Il faut être en solidarité avec les pauvres et protester contre la société qui les maintient dans leur état de pauvreté.

Dans l’espace international, nous ne sommes qu’une seule famille humaine. Le contexte actuel de la mondialisation est incontournable. Les chrétiens doivent être les artisans d’un partenariat avec les pauvres et promouvoir une autre gouvernance : promouvoir la notion de bien commun et de la destination universelle des biens, s’appuyant sur la solidarité et la subsidiarité : il faut régler les problèmes là où ils se posent, au niveau local et ne pas chercher des solutions ailleurs.

Nous sommes engagés envers l’humanité :

            Comment prendre conscience des dimensions du monde ?

            Comment passer à un vivre ensemble véritable ?

            Comment articuler le service du frère proche avec celui du frère lointain ?

            Comment articuler nos actions dans un esprit de partage ?

[1] Cf. Annexe 1

[1] Benoît XVI dans son discours d’Aparecida du 13 mai 2007 à l’ouverture de la quatrième conférence du CELAM

Le débat :

1) Accueillir un partenaire du CCFD, au moment du Carême, c’est facile, mais dans nos communautés l’esprit de partage est difficile à vivre.

2) Vivre en frères est déjà difficile. C’est un travail de conversion, un aspect de sa vie à aménager.

3) Engagée dans le Service Evangélique des malades à Castelnau, on fait « pour » les malades et non «avec ». On ne se pose même pas la question. Mais il faut aller plus loin.

4) La difficulté est de passer de la théologie à la vie en commun. Le frère est celui avec lequel on vit : le maghrébin sur son palier….

5) Comment les délégués à Diaconia ont-ils été choisis ?

AC : par les mouvements ou paroisses.

Les prisonniers de la prison de Béziers ne pouvant pas venir, avaient préparée une vidéo qui a été projetée

L’abbé Pierre a dit à son premier compagnon : « J’ai besoin de toi ». Il faut mettre l’autre debout, se rendre compte que nous sommes à égalité. (cf. JN 13)

6) Qu’est-ce qu’une pratique authentique de la charité ?

Pratiquer la charité a pris, au XIX° siècle une connotation péjorative. Désormais, on préfère le terme de solidarité.

« Deus caritas est »   parle de la nécessaire gratuité de la charité.

La gratuité peut aller très loin, elle ne doit pas attendre de retour.

Benoît XVI avait rejeté la théologie de la libération. Puis il a accepté l’option préférentielle pour les pauvres. Avec le pape François, on peut espérer qu’on passera aux actes.

AC : François l’a fait (Semaine Sainte) mais est-ce que « ça » va suivre ?

7) Quelles pistes pratiques préconiser ? : développer le goût de l’égalité, du partenariat ?

AC : ne pas se situer seulement dans les relations interpersonnelles

8) Comment faire pour que la société accepte le jeu ?

AC : accepter de dire son point de vue. Peut-être cela passera-t-il par une mise à plat ?

En 1945, la société s’est posé des questions sur la protection sociale. Sa réflexion a abouti à la création de la Sécurité Sociale.

Le CCFD milite contre les paradis fiscaux, les biens mal acquis….

9) Pour faire avancer la société, on ne peut agir seul, il faut se grouper. Mais nous appartenons à l’Eglise dont la hiérarchie a tellement parlé de sujets qui ont exaspéré la société, qu’elle n’est plus écoutée. Mais quand on voit des personnalités vraies comme l’abbé Pierre, sœur Emmanuelle ou le pape François, ils ont une crédibilité. Et on a besoin de leader.

10) Comment articuler le service du frère proche et celui du lointain ? J’ai rencontré une étudiante qui refuse de donner pour l’Afrique car il y a assez de pauvres chez nous.

Quelque fois il est plus facile de donner pour ceux qui sont loin

AC : des multinationales jonglent pour payer moins d’impôts.

11) Nous avons tous un pouvoir, c’est notre bulletin de vote mais il faut avoir le désir de poser des questions.

Le danger du bulletin de vote, c’est qu’on délègue et qu’après les élections, on laisse faire.

12) Dans le mot fraternité, il n’y a pas que du « faire » mais aussi de « l’être » et il faut se remettre en cause, c’est souvent le problème des engagements bénévoles.

Annexe I : Le vocabulaire hébreu du terme « pauvre »

Les chiffres nous permettent d’affirmer que le Premier Testament parle surtout du pauvre réel puisque le sens spirituel s’il est présent, est largement minoritaire. Dans le second testament, Jésus s’est exprimé en araméen mais nous n’ avons que la traduction grecque de ces paroles effectuée de 30 à 60 ans après sous le terme  «  ptochos » ; celui qui n’a pas le nécessaire pour subsister, le misérable obligé de mendier… En ce sens, c’est du moins ce que pensent la majorité des exégètes, la version des béatitudes de Luc « pauvre » est plus fidèle à la prédication de Jésus que celle Matthieu «pauvre en esprit ».


Ethernaute : Vos reflexions nous intéressent. Envoyez un courriel à l'adresse suivante : aucafedelavie@free.fr.

Retour page Comptes rendus des débats.

Retour page d'accueil