En début de rencontre André CARRIERE
(AC) : se présente : d’origine
rurale et occitane, sur un territoire marqué par les grandes révoltes de 1907,
son enfance a été marquée par la vigne, moyen de subsistance et lieu à
défendre. Mais aussi lieu de fraternité : dans les villages on « se
donnait la main » pour les travaux agricoles.
Il a suivi des études supérieures
qui ont fait de lui un enseignant : il a exercé en Algérie, après
l’indépendance de ce pays, tout en fréquentant l’évêché d’Oran. A son retour en
France, pour rester dans la ligne de ce qu’il avait vécu en Algérie, il s’engage
au CCFD. et entame une carrière de responsable de recherche au ministère du
travail tout en ayant la responsabilité régionale de la formation continue des
agents de ce ministère.
Il a participé, au printemps
dernier au rassemblement à Lourdes de « Diaconia ». C’est à ce titre
qu’il intervient aujourd’hui, au Café de la Vie.
Le service du frère : quels enjeux ?
1) Tout d’abord, il n’est pas nécessaire d’être chrétien
pour s’occuper de fraternité. Nous sommes dans la semaine de la solidarité
internationale où les chrétiens ne sont pas seuls à œuvrer La devise de notre
République est Liberté, Egalité, Fraternité. En langage religieux on parle de
servir le bien commun et cette notion recouvre l’intérêt collectif.
Quand on parle de santé ou de
vieillesse, la Sécurité Sociale (allocations familiales, prise en charge santé, retraite) est un acquis qui règle nos vies, et qui a été rendu possible, en
1945, par l’accord de tous les courants politiques issus de la Résistance, sous
l’égide du général de Gaulle. Toutefois,
on peut avoir la crainte que cette belle idée ne soit attaquée….
Nos hôpitaux actuels sont les
héritiers des « Hôtels Dieu » et l’idée de solidarité se trouve déjà
en Grèce dans les écrits d’Aristote.
Deux événements majeurs :
10 décembre 1948 : Déclaration
universelle des droits de l’homme et du citoyen.
Le préambule affirme la valeur et
la dignité de la personne humaine. L’article 1 appelle les Etats à vivre dans
la fraternité.
7 décembre 1965, à la veille de la
clôture du Concile Vatican II : publication de la constitution
« Gaudium et spes » : « Les
joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps,
des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les
espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n'est
rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur coeur. Leur communauté, en
effet, s'édifie avec des hommes, rassemblés dans le Christ, conduits par
l'Esprit -Saint dans leur marche vers le Royaume du Père, et porteurs d'un
message de salut qu'il leur faut proposer à tous. La communauté des chrétiens
se reconnaît donc réellement et intimement solidaire du genre humain et de son
histoire. »
Il n’y a pas une histoire sainte et une histoire profane
mais une seule histoire, une seule humanité et une seule famille humaine.
2) Il n’est pas
nécessaire d’être chrétien pour pratiquer la fraternité, mais servir le frère
est constitutif de l’être chrétien.
Benoît XVI, dans « Deus caritas est » (n° 25) « la nature profonde de l’Église
s’exprime dans une triple tâche:
annonce de la Parole de Dieu (kerygma-martyria),
célébration des Sacrements (leitourgia), service de la charité (diakonia). Ce sont trois tâches qui
s’appellent l’une l’autre et qui ne peuvent être séparées l’une de l’autre. La
charité n’est pas pour l’Église une sorte d’activité d’assistance sociale qu’on
pourrait aussi laisser à d’autres, mais elle appartient à sa nature, elle est
une expression de son essence elle-même, à laquelle elle ne peut renoncer »
En pratique, cette triple dimension n’apparaît pas
toujours mais la pratique du culte et des
sacrements n’est pas le tout de la vie chrétienne.
On pense souvent que l’Eglise a ses spécialistes du
caritatif, qui font très bien les choses, et que l’on se contente de soutenir
financièrement (éventuellement) Mais dans la société des figures comme l’abbé
Pierre ou sœur Emmanuelle ont soulevé un courant de sympathie : ils n’ont
pas fait des discours sur le service des pauvres mais une pratique authentique
de la fraternité a eu un effet d’annonce. L’Evangile s’annonce surtout en
actes, et l’on peut alors se réjouir, prier et célébrer.
C’est ce qu’a fait le pape François, quand le Jeudi Saint
il a lavé les pieds de prisonniers (y compris d’une jeune fille musulmane).
C’est la pratique de Jésus de Nazareth.
3) L’événement
Diaconia :
Ce rassemblement de Lourdes (mai 2013) avait été préparé
depuis 2010 : c’est une étape et non la fin d’un processus.
Cet événement a été ignoré par la grande presse, il a
pourtant réuni 12000chrétiens dont 86 évêques (voir sur Google : Diaconia
2013). En introduction au rassemblement Mgr Bernard HOUSSET (président du
conseil national pour la solidarité) a affirmé : « personne n’est
trop pauvre pour n’avoir rien à dire, personne n’est trop pauvre pour n’avoir
rien à partager ».
Le partage implique que chaque partenaire compte. Il faut
que cette analyse soit reprise dans nos communautés.
Le groupe de réflexion « place et parole des
pauvres » était associé à la mise en œuvre de la démarche et 3000 participants
(sur le total de 12000) étaient des personnes en situation de précarité ou
l’ayant expérimenté récemment.
Quelles problématiques dégager ?
La crise économique provoque une augmentation de la
pauvreté et une régression de la justice sociale : il ne faut pas s’y résigner.
Doit-on porter secours à ceux qui sont précaires sans
prendre en compte leur parole ? : Non, il faut les écouter, leur laisser une
place importante dans l’Eglise pour faire advenir une société plus juste
Il y a eu 120 propositions pour générer des travaux en
ateliers.
AC a choisi un atelier avec Gustavo GUTIERREZ (« père
de la théologie de la libération) un
jésuite d’OMS en Syrie et « Frère Jean Pierre » (MGR JP GRALLET,
franciscain, archevêque de Strasbourg. ;)
La fraternité consiste à « faire avec » dans une
relation d’égalité et non faire « pour » ni avoir « ses
pauvres ». Quand on parle de pauvres et de pauvreté, il faut avoir une
option préférentielle pour les pauvres. Et avoir un constat de départ : ce
qui est conflictuel quand on parle de pauvreté c’est d’en rechercher les
causes. Don Helder CAMARA disait : « si je donne à manger à quelqu’un
qui a faim, je suis un saint mais si je demande pourquoi cette personne a faim,
je suis accusé d’être un communiste ».
4) Pauvre, pauvreté,
option préférentielle pour le pauvre selon Gustavo GUTTIEREZ
Pour lui la pauvreté est un phénomène complexe qui ne se
limite pas à l’aspect économique. En ce sens la théologie de la libération
parle du pauvre comme de la « non personne », ou de « l’insignifiant ».
Par ces expressions ou en affirmant que le pauvre est le membre de
« classes sociales et de cultures opprimées » et de races
discriminées (les indiens aymaras ou quetchuas au Pérou sont une catégorie doublement
opprimée et marginalisée ), on fait écho à cette complexité du réel. Le
pauvre c’est celui qui n’a pas de poids dans la société, le laissé pour compte,
celui qui n’a pas de parole à dire. Diaconia qui met en œuvre une démarche de
parole pour le pauvre rejoint cette analyse
de la théologie de la libération.
La théologie de la libération prend sa source et son
langage dans la bible.
En 1954, Albert GELIN publie « Les pauvres de Yahvé »
qui est à la source de la réflexion de Gustavo GUTIERREZ. André Carrière
relève, dans le livre de GELIN les nombreux termes hébreux[1] qui
nomment le pauvre et sont une invite à ne pas le laisser dans cette situation
dégradée.
Ce livre, « Les pauvres de Yahvé » est
relativement récent mais les thèmes développés avaient déjà été abordés par les
Pères de l’Eglise : Ambroise de Milan, Basile de Césarée, Jean Chrysostome….
Mais leur enseignement était tombé dans l’oubli.
Il a fallu le travail de l’exégèse historitico-critique
pour redécouvrir l’option préférentielle pour les pauvres.
Et l’on doit prendre cette option non parce que les
pauvres sont bons mais parce que Dieu est bon. Désormais cette expression fait
partie des expressions du magistère.[2] .
L’option pour les pauvres est un choix radical et décidé,
et non une vague possibilité. Elle est préférentielle mais non exclusive. Mais
ce n’est plus une option optionnelle
Il faut être en solidarité avec les pauvres et protester
contre la société qui les maintient dans leur état de pauvreté.
Dans l’espace international, nous ne sommes qu’une seule
famille humaine. Le contexte actuel de la mondialisation est incontournable. Les
chrétiens doivent être les artisans d’un partenariat avec les pauvres et
promouvoir une autre gouvernance : promouvoir la notion de bien commun et
de la destination universelle des biens, s’appuyant sur la solidarité et la
subsidiarité : il faut régler les problèmes là où ils se posent, au niveau
local et ne pas chercher des solutions ailleurs.
Nous sommes engagés envers l’humanité :
Comment
prendre conscience des dimensions du monde ?
Comment
passer à un vivre ensemble véritable ?
Comment
articuler le service du frère proche avec celui du frère lointain ?
Comment
articuler nos actions dans un esprit de partage ?
[1] Cf. Annexe 1
[1] Benoît XVI dans son discours d’Aparecida du 13 mai 2007 à l’ouverture
de la quatrième conférence du CELAM
1) Accueillir un partenaire du CCFD, au moment du Carême,
c’est facile, mais dans nos communautés l’esprit de partage est difficile à
vivre.
2) Vivre en frères est déjà difficile. C’est un travail de
conversion, un aspect de sa vie à aménager.
3) Engagée dans le Service Evangélique des malades à
Castelnau, on fait « pour » les malades et non «avec ». On ne se
pose même pas la question. Mais il faut aller plus loin.
4) La difficulté est de passer de la théologie à la vie en
commun. Le frère est celui avec lequel on vit : le maghrébin sur son
palier….
5) Comment les délégués à Diaconia ont-ils été
choisis ?
AC : par les mouvements ou paroisses.
Les prisonniers de la prison de Béziers ne pouvant pas
venir, avaient préparée une vidéo qui a été projetée
L’abbé Pierre a dit à son premier compagnon :
« J’ai besoin de toi ». Il faut mettre l’autre debout, se rendre
compte que nous sommes à égalité. (cf. JN 13)
6) Qu’est-ce qu’une pratique authentique de la
charité ?
Pratiquer la charité a pris, au XIX° siècle une
connotation péjorative. Désormais, on préfère le terme de solidarité.
« Deus caritas est » parle de la
nécessaire gratuité de la charité.
La gratuité peut aller très loin, elle ne doit pas attendre
de retour.
Benoît XVI avait rejeté la théologie de la libération.
Puis il a accepté l’option préférentielle pour les pauvres. Avec le pape
François, on peut espérer qu’on passera aux actes.
AC : François l’a fait (Semaine Sainte) mais est-ce
que « ça » va suivre ?
7) Quelles pistes pratiques préconiser ? :
développer le goût de l’égalité, du partenariat ?
AC : ne pas se situer seulement dans les relations
interpersonnelles
8) Comment faire pour que la société accepte le jeu ?
AC : accepter de dire son point de vue. Peut-être
cela passera-t-il par une mise à plat ?
En 1945, la société s’est posé des questions sur la
protection sociale. Sa réflexion a abouti à la création de la Sécurité Sociale.
Le CCFD milite contre les paradis fiscaux, les biens mal
acquis….
9) Pour faire avancer la société, on ne peut agir seul, il
faut se grouper. Mais nous appartenons à l’Eglise dont la hiérarchie a
tellement parlé de sujets qui ont exaspéré la société, qu’elle n’est plus
écoutée. Mais quand on voit des personnalités vraies comme l’abbé Pierre, sœur
Emmanuelle ou le pape François, ils ont une crédibilité. Et on a besoin de
leader.
10) Comment articuler le service du frère proche et celui
du lointain ? J’ai rencontré une étudiante qui refuse de donner pour l’Afrique
car il y a assez de pauvres chez nous.
Quelque fois il est plus facile de donner pour ceux qui
sont loin
AC : des multinationales jonglent pour payer moins
d’impôts.
11) Nous avons tous un pouvoir, c’est notre bulletin de
vote mais il faut avoir le désir de poser des questions.
Le danger du bulletin de vote, c’est qu’on délègue et
qu’après les élections, on laisse faire.
12) Dans le mot fraternité, il n’y a pas que du
« faire » mais aussi de « l’être » et il faut se
remettre en cause, c’est souvent le problème des engagements bénévoles.
Annexe I : Le
vocabulaire hébreu du terme « pauvre »
Les chiffres
nous permettent d’affirmer que le Premier Testament parle surtout du pauvre
réel puisque le sens spirituel s’il est présent, est largement
minoritaire. Dans le second testament, Jésus s’est exprimé en araméen mais nous
n’ avons que la traduction grecque de ces paroles effectuée de 30 à 60 ans
après sous le terme « ptochos » ; celui qui n’a pas le
nécessaire pour subsister, le misérable obligé de mendier… En ce sens, c’est du
moins ce que pensent la majorité des exégètes, la version des béatitudes de Luc
« pauvre » est plus fidèle à la prédication de Jésus que celle
Matthieu «pauvre en esprit ».