Sortir de la précarité : utopie et réalités.
Témoignage du responsable du centre Emmaüs de Frontignan : Jacques Radier
Appel au Débat
La galère : « j’en ai marre de galérer »…
La galère : on
pense que c’est toujours pour les autres mais lorsque maladie
entraîne déprime, que solitude se rajoute à
chômage, que divorce pousse à l’alcool… et
que tout s’écroule autour de moi et en moi, alors on fait
son sac et « on part en galère ».
Sur ma route je vais
certainement rencontrer ceux qui vont me dépanner,
m’assister : Ils vont me permettre de survivre …
c’est tout !
Lorsque ma galère
me conduit en un lieu où je pense en rencontrer «
d’autres comme moi », « poser mon sac »
… alors il faut ne plus s’enfoncer, il faut que je
m’en sorte.
Sortir de la
galère : une utopie ? Oui … peut-être.
L’utopie de redécouvrir que d’autres ont besoin de
moi, que je peux donner de la vie autour de moi, que je peux aider
plutôt que d’être aidé.
Utopie ? Lorsque
l’abbé Pierre dit à Georges : « J’ai
besoin de toi » et que Georges répond à ce besoin,
alors … l’utopie devient réalité.
Le débat
Le témoignage
Jacques Radier, invité par l’Action Catholique,
déclare d’emblée que son témoignage
n’engage que lui. Il se présente comme salarié
responsable depuis 2 ans à Frontignan après 13 ans
à Montpellier.
Une communauté d’Emmaüs, qu’est ce ?
Créés par l’Abbé Pierre,
il y en a 116 en France, de 7 à 150 compagnons chacune, 20
à 30 en général, 50 à 60 à
Montpellier. Les communautés ne sont qu’une branche
d’Emmaüs : il y a aussi SOS famille, Solidarité et
Insertion, Action sociale et Logements ( HLM à Paris ).
Une communauté est un lieu d’accueil et
d’hébergement avec une dimension essentielle : le
travail. Personne ne reçoit le RMI, personne ne tend la
main : ils travaillent et sont déclarés à
l’URSAFF : pas d’assistanat ! Ils n’ont pas de
contrat de travail, pas de fiche de salaire mais ont un statut de
travailleur solidaire comme les moines. Ils ont une reconnaissance
officielle nationale ( SS, CMU, Carte vitale ). Ils sont nourris,
éclairés, blanchis et reçoivent 300€
d’argent de poche par mois. Ils travaillent 5 jours par semaine
et ont droit à 2 jours ½ de congé par mois. Quel
travail font ils ? De la récupération de ce qu’on
leur donne : pas le droit d’acheter, de faire du troc.
Chaque communauté est bâtie sur un trépied :
- une association de bénévoles loi 1901 (15 à Frontignan)
- des compagnons (7 à 10 à Frontignan )
- un salarié responsable choisi par le CA avec le statut d’animateur social.
Que deviennent les compagnons ? On ne sait pas combien
reviennent à la vie normale ! La communauté est un lieu
de vie où ils viennent poser leur sac : pour certains
c’est un lieu de passage, pour d’autres c’est un lieu
de reconstruction. A Emmaüs on n’oblige personne à
partir, il n’y a pas de date butoir.
Sortir de la galère ? la porte de sortie est la même que
celle d’entrée ! On rentre dans la galère par le
chômage, la maladie, le rejet familial, l’isolement
relationnel, la drogue, l’alcool, le jeu (casino),
l’endettement, des problèmes judiciaires, l’absence
de papiers, l’incapacité de se
gérer…Pourtant tous ceux qui sont au chômage par ex
ne rentrent pas en galère ! La spirale de l’enfoncement
mène à la galère. Cela peut arriver à
n’importe qui !
Comment stopper la galère ? En les aidant d’abord à entrer dans le
projet d’Emmaüs : respect de soi même et des autres.
Sont exclus l’alcool, la drogue, la violence, le racisme ;
confiance et pour cela honnêteté, transparence,
vérité ; le relationnel et donc l’aspect humain.
Tout le monde est accueilli quelque soit la nationalité. Les
petites communautés comme celle de Frontignan sont bien
insérées localement.
Comment en sortir ? Il leur faut recréer du
lien : des amitiés se constituent…C’est le seul
moyen de s’en sortir. Il leur faut aussi remettre leurs papiers
à jour, se refaire une santé, apprendre à
gérer leur argent, à maîtriser leurs
déviances (alcool…), se remettre au travail et pour cela
respecter les horaires…A partir de là certains font un
projet pour partir et cherchent un logement et un travail.
D’autres ne veulent plus partir, ils sont bien là, ils
sont sortis de la précarité. Il est important pour eux de
trouver une femme et de créer une famille. Le RMI serait bien si
l’insertion était recherchée !
En guise de conclusion, JR évoque l’histoire de Job dans
l’ancien testament, malheureux Job qui est entré dans la
spirale de la galère mais s’en est sorti car il n’a
jamais renié Dieu. L’important, c’est de trouver un
sens à sa vie. C’est ainsi que l’abbé Pierre,
rencontrant Georges lui a dit : « j’ai besoin de toi, viens
m’aider ». Il a redonné un sens à sa vie.
Sortir de la précarité est une réalité et
non une utopie !!!
Echange
H s’occupe des anciens d’Emmaüs,
avec beaucoup de difficultés pour les loger : on ne les veut pas
dans les logements sociaux, parfois une maison de retraite en
accueille, ou chez les petites Sœurs des pauvres. Leur famille,
c’est Emmaüs !

Y : comment sont ils acceptés par le voisinage ?
JR : bien dans l’ensemble malgré
quelques dérapages car les idées à priori
cèdent quand on les connaît. E. génère des
solidarités locales : nous sommes en lien avec le service des
urgences à Sète. Avec le temps se fait un apprivoisement
mutuel, dit A, le Président.
P : avez-vous des limites d’accueil ? Y a-t-il une solidarité entre communautés ?
JR : nous vivons à 100% de notre tiroir
caisse et avons rarement des excédents. Nous devons trouver un
équilibre entre la zone de ramassage et la structure
d’accueil. Au besoin nous pourrions faire appel à une
autre communauté. Frontignan a été une annexe de
Montpellier (après Pont d’Hérault). Au bout de 2
ans nous avons voulu prouver que nous pouvions être autonome et
indépendant, ce que nous sommes depuis juillet 2005.
A : nous accueillons tout le monde à
condition d’avoir de la place et que le nouvel arrivé
accepte les règles de la communauté.
C : Si un gars arrive complètement
alcoolisé, on ne peut l’accueillir d’emblée.
JR : on le renvoie vers une communauté plus
adaptée ou vers un lieu de vie (famille d’accueil) ou un
service médical de cure ou de postcure, ce qui nécessite
5 à 15 coups de fil !
P : la demande augmente t’elle ?
JR : oui, tout est plein alors qu’autrefois, l’été il y avait de la place.
X : quelle est la moyenne d’âge ?
JR : 43 ans ½ mais actuellement nous avons
plus de jeunes. Ils sont à la retraite à 65 ans. Ils
vivent de leur retraite et nous cherchons à les aider. Certaines
communautés les accompagnent jusqu’au bout. Nous essayons
de leur trouver un lieu de vie, proche pour qu’ils puissent
revenir facilement à la communauté.
L : quelle est la formation donnée par Emmaüs ?
JR : une formation interne mais qui n’est pas
qualifiante : par ex pour réparer les frigos, les machines
à laver, les TV…Nous utilisons les compétences
personnelles des compagnons, nous payons parfois une formation dans un
centre officiel.
X : quelle est la place des bénévoles ?
C , bénévole, témoigne de son
engagement total en immersion : il vit avec eux toute la
journée, boit le café, aide …avec plaisir mais
rentre chez lui le soir. D’autres donnent quelques heures par ci
par là selon leur compétence et leur disponibilité.
J : tu as fait référence à Job
qui a résisté à la spirale d’enfoncement car
il n’a jamais renié Dieu. Quelle est ta
référence à ta Foi ?
JR : Emmaüs est apolitique et areligieux pour
accueillir largement mais a des racines chrétiennes et humaines.
Ce qui est profondément humain rejoint Dieu, le dieu de
Jésus Christ qui s’est fait homme. Hamid est musulman,
croyant : nous nous rencontrons en toute vérité,
discutons du ramadan et du carême….
JC : Partagez vous votre expérience
particulière avec des services sociaux, des prêtres , des
rabbins qui sont affrontés aux mêmes problèmes ?
JR : pas tellement, à l’occasion de contacts de personne à personne.
N est travailleur social, très
impliqué dans la reconstruction de l’identité de la
personne. « L’homme est au cœur de notre
métier » dit il. Il nous raconte qu’il accompagnait
un gars et qu’il ne s’est aperçu qu’au bout
d’une semaine qu’il avait les pieds en sang ! Il
était honteux ! L’accompagnateur doit être à
l’écoute, ne pas juger et accepter de ne pas toujours
réussir !
J. Guy Gilbert, le prêtre des loubards, se
retire chaque semaine dans un monastère. As-tu un lieu ressource
?
JR : c’est ma femme. Je ne prends pas le temps
d’aller au désert ! Je ne suis pas dans la
précarité, je fais le grand écart entre
Emmaüs et ma famille. Je ne me culpabilise pas mais…le
mouvement nous interpelle sur le chômage, le
logement…Quelles questions cela nous pose t’il ? Nos
conditions de vie génèrent elles de la
précarité ?
M : Comment à notre niveau aider des jeunes à sortir de la précarité ?
C : par de petits gestes, en signalant un jeune en
difficulté par ex. « En vivant avec eux à
Frontignan, je pense leur apporter un élément
d’équilibre et de stabilité. Il faut
être soi mais ne pas imposer son exemple comme une
normalité ».
JR conclue en disant : à chacun sa place, humanisons notre société.
Le débat continue :
Ethernaute : Vos reflexions nous intéressent. Envoyez un
courriel à l'adresse suivante : aucafedelavie@free.fr.
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