La SOUFFRANCE AU TRAVAIL DES SOIGNANTS

Débat à partir du témoignage de Marie françoise MAGNE (Infirmière CHU)

Appel au débat :

arbreEn France comme en Europe, les services publics sont malmenés et le libéralisme veut que l’hôpital public soit géré comme une entreprise privée et soit rentable. Dans un tel système, l’hôpital public qui a des charges d’enseignement et de recherche et l’obligation d’accueillir tout le monde, ne peut rivaliser avec les cliniques privées, qui choisissent les créneaux les plus rentables.
Le passage aux 35 heures sans création d’emplois et le paiement des interventions à l’acte ont créé un mal être chez les personnels du milieu hospitalier, qui s’est manifesté par des grèves aussi bien des infirmiers que des médecins.
Chez les personnels soignants, le sous effectif et la difficulté de pourvoir les emplois libérés, se manifeste par un très fort absentéisme, avec un travail accru des personnels présents et un appel à de l’intérim. La notion d’équipe soignante est mise à mal et met la sécurité des patients en jeu. Les personnels souffrent.
C’est un sujet qui nous interpelle tous. Venez en débattre.


Le débat (25 janvier 2011 à la brasserie Le Dôme) :

C R du Témoignage :

En guise d’introduction :
Je suis infirmière de formation et actuellement j’occupe un poste de cadre de santé (ex surveillante) au CHU de Montpellier. Mon témoignage est basé sur mon expérience et sur mon vécu de terrain. Mais cette lecture ou essai d’analyse de ce monde du travail que je vais partager avec vous est aussi vécu par nombre de professionnels dans beaucoup d’institutions et hôpitaux de France ainsi que nous le confirme les partages, les échanges dans les revues professionnelles ou les colloques.

Il y a  quelques années, si j’avais été interpellé sur ce thème de la « souffrance au travail des soignants », je l’aurais, sans aucun doute évoqué sous l’angle des situations de soins auxquelles les soignants sont confrontés et qui sont, pour eux, douloureuses. Par exemple soutenir la détresse de ceux à qui on annonce une maladie grave, ou que l’on va les amputer d’une partie de leur corps, ceux qui ont mal et qui se murent dans leur douleur physique ou leur souffrance psychique mais aussi les situations de fin de vie qu’il faut accompagner et bien sûr la mort que l’on côtoie au quotidien.
Ces situations existent, bien sûr, toujours aujourd’hui mais la différence c'est qu'elles sont mieux reconnues et acceptées comme potentiellement douloureuses pour les professionnels. Et de fait on met en place davantage de choses et on nous donne des moyens pour mieux y faire face et se sentir moins seuls : par exemple la formation  de base des infirmières prend en compte ces situations, la formation continue tout au long de la carrière permet de développer des compétences adaptées, des groupes de paroles animées par des psychologues permettent l’expression des ressenti, et surtout  les équipes spécialisées dans la prise en charge de la douleur ou des soins palliatifs nous viennent en aide.
Ainsi donc il n’y a plus de honte pour le soignant à avouer ses difficultés et ce sujet n’est plus tabou.

Aujourd’hui lorsqu’on évoque la souffrance au travail des soignants c’est davantage en référence aux situations de travail et surtout aux conditions du travail. Les symptômes  que les professionnels manifestent sont souvent un épuisement professionnel qui se traduit par une baisse de la motivation et de l’énergie.
Je me suis donc intéressée à essayer de comprendre les causes qui amènent à ces situations de travail difficiles et j’en vois 2 aspects qui sont : le  contexte, ensuite les conditions du travail lui-même
-    Tout d’abord le contexte, l’environnement du travail :
Le 1er élément c’est que l’hôpital aujourd’hui est considéré comme une entité de production. On en parle comme d'une entreprise privée et de fait doit être géré, administré comme telle c'est-à-dire avec des notions de rentabilité, de productivité. Pendant des années on a entendu la phrase «  la santé n’a pas de prix », aujourd’hui on rajoute « mais elle a un coût ». . Les contraintes économiques pèsent sur le quotidien : les dépenses de personnel représentant 70% des dépenses, c’est le premier poste à souffrir de la rigueur budgétaire d’où la suppression d’un certain nombre de postes dans les hôpitaux. Par ailleurs la mise en place des 35h  ne s’est pas effectuée avec l’apport du personnel annoncé…
Le 2ième élément à prendre en compte dans le contexte, c’est le mode de rémunération des hôpitaux qui a changé puisqu’on ne parle plus de dotation globale mais de tarification à l’activité. L’hôpital ne peut dépenser, et cela semble normal, que les ressources qu’il génère. Du coup cela devient dans certains secteurs, comme les consultations, une course effrénée à la production d’actes, ou dans les hospitalisations à des durées de séjours de plus en plus courtes donc à un turn-over rapide des patients avec ce que cela génère dans la prise en charge des patients. Les soignants ont de plus en plus de difficultés à prendre en compte la personne soignée dans sa singularité.
Le 3ième élément qui influe sur ce contexte est en lien avec la société dans laquelle on évolue et qui a besoin de normes, de règles, de procédures, de protocoles, de traçabilité, de certification, de principe de précaution. Le soin devient de plus en plus réglementé, encadré. C’est nécessaire bien sûr, mais la formalisation à outrance  n’est plus applicable car on n’a pas le temps de se tenir au courant de tous les référentiels de pratiques qui sortent régulièrement (les étagères des salles de soins en sont pleines) Et pourtant la judiciarisation croissante de ce non respect des pratiques fait peser une menace constante sur tous les acteurs (qu’ils soient médecins ou soignants)

-    En ce qui concerne les conditions du travail lui-même :
Une des injonctions  dans le monde du travail en général est de travailler VITE, BIEN, et EN SECURITE :
Le VITE nous renvoie à la notion du coût, du rendement
Le BIEN amène la notion de qualité
Le EN SECURITE renvoie à la notion de bien être au travail
Ces 3 injonctions, vous le sentez bien sont paradoxales, et le travailleur comprend très vite que cela ne va pas ensemble et qu’il va devoir y faire face non pas simultanément  mais séparément. Pendant des années, en tant que soignante, j’y ai malgré tout trouvé mon compte, parc qu’à la fin de la journée ou au pire à la fin de la semaine de travail l’équilibre, l’harmonie entre le VITE, le BIEN, le EN SECURITE étaient respectés. Même s’il y avaient des jours difficiles, ils étaient amplement compensés par ceux où la satisfaction au travail était pleine, par ceux où le travail effectué était de qualité, et j’étais heureuse d’aller travailler, épanouie car me sentant utile.
Depuis les années 2000, insidieusement l’injonction globale s’est renforcée et celle du travailler « VITE » est devenue prépondérante, rognant sur les moments où on peut travailler BIEN et dans de BONNES CONDITIONS. Alors, petit à petit les soignants se sont laissé envahir par le mal être, la démotivation car il y a de bons professionnels qui savent comment il faut faire pour faire du bon travail, qui savent comment bien travailler pour offrir un soin ou une relation de qualité mais qui supportent de moins en moins de ne pas pouvoir le faire. Ils sont usés, fatigués, l’arrêt maladie devient alors une porte de sortie ou de salut…Mais, et là je fais référence à ce que j’évoquais précédemment, nous sommes à flux tendu en matière de ressources humaines et il n’est pas toujours possible de remplacer le personnel manquant malgré les moyens mis en place : pool de remplacement, intérim, paiement en heures supplémentaires…
Cette question de l’absentéisme est donc au cœur des conditions de travail. Pour y pallier les plannings programmés des agents sont mis  à mal car nous devons rappeler les agents sur leurs repos et pour eux, comment accepter entre autres que le seul week-end de repos toutes les 3 semaines soit supprimé en dernière minute? Comment argumenter, en tant que cadre, que la vie de famille passe après les contraintes professionnelles ?
La plupart des services fonctionnent donc régulièrement avec un sous effectif que ce soit au niveau infirmier, aide soignant ou agent d’entretien et du coup on ne peut pas, par exemple, effectuer à 2 le travail  prévu pour 3. On peut le faire sur une courte période mais pas de façon régulière. Les notions de qualité, de sécurité que ce soit pour le professionnel ou l’usager sont mises à mal et cela devient de plus en plus insupportable. On devient hantés par la peur de devenir dangereux pour les patients dont on a la charge.
Pour tenir, il faut se serrer les coudes, développer la solidarité entre collègues, mais cela aussi devient difficile car la notion d’appartenance à une équipe se modifie du fait du nombre de personnels intérimaires. Personnels qui ne font que passer sans s’investir ou s’impliquer dans les organisations de travail…Or pour construire une équipe il faut un minimum de stabilité du personnel.

Voilà ces quelques réflexions pour venir questionner la réalité hospitalière. J’ai conscience d’être pessimiste mais en tant que soignante, en tant que cadre de santé j’ai le sentiment d’être dans une marche forcée dans laquelle j’ai du mal à voir l’orientation ou le sens ou tout simplement comprendre les perspectives. Nous avons l'impression de foncer dans un mur… J’ai du mal à vivre au quotidien les incohérences du système, les logiques différentes de fonctionnement  que sont les logiques administrative, médicale, soignante. J’ai du mal à accepter l’écart entre travail réel et travail prescrit. Je suis à certains moments dans une totale impuissance pour soutenir les équipes dont j’ai la charge malgré l’écoute et la proximité avec eux. La souffrance au travail des soignants n’est pas différente de celle que d’autres professionnels vivent sur leur lieu d’exercice mais cela ne console pas. Au contraire cela me désole de réaliser que l’hôpital lieu du « prendre soin » devient à son tour une « institution mal traitante ».
Alors les pistes à explorer pour tenir debout, pour continuer à exercer ce métier que l’on a choisi (mais qui est de moins en moins attractif) sont de se recentrer sur les valeurs du soin qui nous anime, de se recentrer sur le patient et ses besoins. Il est indispensable de ne pas se sentir seul mais de pouvoir compter sur un collectif  avec lequel on va pouvoir parler, échanger, verbaliser les difficultés
A travers cette thématique il s’agit bien de s’interroger de façon plus large sur la gestion de la Santé en France. Nous avons un merveilleux système de santé, le plus performant au monde et ce serait dommage de le détruire.
Merci pour votre attention

Le débat :

Question : vous semblez avoir mal vécu le passage aux 35heures. Pourquoi ?
MFM : cela a permis une réorganisation du travail mais il n’y a pas eu l’augmentation de personnel annoncé, ce qui ne nous laisse ainsi aucune marge de manœuvre. Nous fonctionnons à flux tendu. Nous ne pouvons plus puiser dans les services riches. Nous devons adapter notre activité à nos moyens et non aux besoins. D’où fermeture de lits ! Normalement l’urgence prime sur l’activité de base. Comment trouver des lits pour les urgences ? Il y a danger pour les malades.
Q : Dans le cadre de la restriction des fonctionnaires, comment est traitée l’assistance publique ?
M S. : à l’hôpital les médecins ne sont pas fonctionnaires, les soignants le sont. L’évolution de l’hôpital est d’époque ! Le monde a changé : un interne ne rempile pas après 12h de travail. La médecine n’est plus un sacerdoce. Les femmes internes ont leur vie de famille comme le personnel qui n’est plus caritatif. Les 35 heures ont ouvert un compteur temps. Je suis partie à la retraite avec 6 mois de RTT ! On travaillait par plaisir. On ne comptait pas son temps ! Nous assistons à une dégradation progressive.
Q : La santé coûte cher, on devrait savoir le prix des examens.
MFM : Il faut le demander.
X : après un séjour hospitalier j’ai surveillé mes comptes et j’ai demandé le décompte à l’hôpital.
MFM : même les soignants ont du mal à le savoir ! Il n’y a pas de lien rapide entre l’infirmière qui fait les soins et le service de la facturation. Mais existe une amélioration récente du système !
Q : Les soins et les examens sont payés à l’acte : même prix dans le public et le privé ?
MFM : oui, mais le privé fait des actes plus rentables. Tout le social se fait dans le public. Les cas graves et les pauvres vont à l’hôpital. L’ambulatoire est plus rentable.
Dans les pauvres il n’y a pas que des roms, il y a beaucoup de retraités, de gens en situation de précarité. L’hôpital travaille à perte. On est en train de remettre ce dispositif en cause !
X : Avec la nouvelle loi (HPST : Hôpital, Patient, Santé, Territoire) l’hospitalisation privée doit participer à des missions d’accueil de la précarité. Dans les situations d’urgence ce sont les pompiers qui choisissent l’hôpital pour le blessé.
X : Même les services de soins palliatifs doivent être rentables et le malade doit mourir dans les temps impartis !
MFM : La tarification est dégressive : 100% pour le 1er examen, 50% pour le 2ème, 25% pour le 3ème. D’où danger de faire revenir plusieurs fois le malade ! Ex revenir seulement pour un doppler…
MS : La sécu veut diminuer les dépenses et dans les hôpitaux on fait tout pour les augmenter (2jours comptés pour 23heures). On devrait faire de la pub pour que les patients sachent les prix !
Q : la paye est elle la même dans le privé ?
MFM : oui,  mais elle est disproportionnée par rapport aux revenus de la clinique.
Les jeunes ont la bougeotte : ils commencent dans les cliniques mais les conditions de travail sont difficiles. Ils partent à l’hôpital…bougent encore. Etre fonctionnaire ne fait plus rêver. Les remplacements sont difficiles. On a diminué les quotas dans les écoles et actuellement on ne forme pas assez de personnel.
Q : le personnel ose dire qu’il souffre dans son travail.
MFM : Oui. J’ai été formaté à dire qu’il faut souffrir en silence. Ce n’est plus tabou. Il y a une formation de base, de la formation continue, des groupes de paroles (les gens ne s’y précipitent pas), des staffs pour les choix éthiques. On en fait trop ou pas assez.
Q : que pensez vous des fermetures d’hôpitaux car pas assez d’actes ?
MFM : En ce qui me concerne je préfère confier ma hanche à un chirurgien expérimenté !
X : Il faut savoir que les hôpitaux manquent de « lits d’aval » pour les soins de suites. Ces hôpitaux en difficultés peuvent s’y reconvertir. Exemple l’hôpital de Pézenas s’est réorganisé avec une coordination publique/privé.
X : j’accompagne des malades. La qualité du personnel soignant induit la qualité de vie et crée une ambiance formidable. Est-ce dû au chef de service ? Au cadre infirmier ?
MFM : le cadre infirmier doit dynamiser, porter…Le chef de service est souvent accaparé par les étudiants, la recherche, l’administration…mais la collaboration entre eux est indispensable
X : il avait été question d’adjoindre au chef de service un administrateur.
MFM : on a créé des pôles énormes avec un médecin chef de pôle assisté d’un gestionnaire administratif et d’un cadre de santé. Cela a diminué les intermédiaires: ça marche plus vite. Mais la partie paperasse reste très lourde : pour ¼ heure de consultation il y a ¼ heure d’administration.
MS : gros efforts de relationnel du personnel : malgré la pression il y a des gestes d’accompagnement, de solidarité, de gentillesse.
J : Cette souffrance remonte à 10 ans environ. Ce mal est il connu des responsables politiques ?
MFM : ils en sont informés par les syndicats. Ils s’en foutent ! Ils ont leur politique.
De nos jours on ne peut partir à la retraite sans avoir soldé ses RTT (autrefois on pouvait se les faire payer en heures supplémentaires). Or, à cause du manque de personnel je ne peux donner ces temps de récupération, de même que les congés annuels. C’est là tout le paradoxe! Je suis fautive mais je n’ai pas les moyens d’appliquer la loi !
X : Devant la constatation d’un chiffre élevé de fautes, erreurs, accidents dans les hôpitaux par la faute du personnel on va ajouter un administrateur contrôleur !! Est-ce une solution ?
MFM : c’est horrible de devenir potentiellement dangereux !
Q : Existe-t-il une association des victimes d’actes médicaux ?
MFM : Il y a des médiateurs entre les familles qui voudraient porter plainte et l’institution. Les plaintes des patients sont traitées. Les outils de la traçabilité permettent de répondre. Mais on se dirige vers un système où les gens deviennent de plus en plus procéduriers !
J : L’hôpital s’est réformé : on est mieux soigné. Il faudrait plus de considération de la nation, des députés par exemple pour les personnels soignants. Serions nous prêts à payer plus pour qu’il y ait plus de personnel ?
MFM : chaque administrateur a ses projets. Ils sont centrés sur leur ego.
J : J’ai une fille en Allemagne. Les RV sont donnés selon votre type d’inscription à la sécurité sociale. Pour un salaire faible vous dépendez d’une prise en charge contingentée, avec des RV souvent très éloignées et des remboursements faibles !
Q : Y a-t-il des bénévoles ?
MFM : oui, il y en a. Mais ils ne sont pas là pour aider les soignants. Ça ne soulage pas le personnel.
Q : aux prochaines élections ne faudrait il pas poser des questions aux candidats ?
     ???
X : nous avons une médecine à 2 vitesses. Voyez les mutuelles : plus vous payez plus un parcours vous est proposé par des professionnels compétents. L’assurance dépendance est en cours.
X : Grande dette nationale ! Où faire des économies ? Cela demande de faire des choix politiques, de ne pas dépenser plus qu’on a.
MFM : Si au moins nous avions les effectifs qui sont sur les papiers !!!


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