VIVRE ENSEMBLE : POURQUOI, COMMENT ?
Témoignages de Justine DUQUENNOY, Philippe BANNIER, Anne-Lise
GUILLET, Agathe DAUCHY (Coexister-Montpellier)
Appel au Débat
En
2009, trois jeunes amis décidaient de créer une association visant à
recréer du lien social et favoriser un dialogue entre les trois
religions monothéistes, dont chacun d’eux était issu. Du constat que
leur amitié ne s’inscrivait non pas « malgré mais grâce à leur
différences » est née l’association Coexister, qui s’est ouverte depuis
aux autres religions et aux non-croyants, promouvant ainsi le dialogue
inter-convictionnel.
Le vivre-ensemble est au cœur du projet de Coexister. Avec les années,
il est devenu une nécessité pour renforcer la cohésion sociale. Les
attentats de janvier dernier en ont fourni l’exemple le plus marquant
et le plus tragique. En s’adressant aux jeunes de 15-35 ans,
l’association souhaite préparer l’avenir et offrir à la jeunesse un
espace d’expression et d’engagement.
Pourquoi est-il nécessaire aujourd’hui de favoriser le vivre-ensemble ?
Quels sont les outils à notre disposition pour que chacun puisse
trouver sa place au sein de la société ? Pourquoi et comment dialoguer
et mener des actions ensemble ?
Le
témoignage
Environ 75 à 80 participants
J : Coexister est une
association loi 1901 inter-convictionnelle regroupant des jeunes de 15
à 35 ans. Cette association est un mouvement interconvictionnel qui
promeut la « Coexistence active » qui se base sur trois piliers : le
dialogue, la solidarité et la sensibilisation. Cette association
nationale née en 2009 est constituée actuellement de trente groupes
dans la France entière (1800 bénévoles) et le groupe de Montpellier est
une création récente (mai 2015) qui compte aujourd’hui sept adhérents.
Jean Paul SARTRE écrit : « l’enfer c’est les autres », alors pourquoi
vivre ensemble ? Mais nous nous demandons « Comment peut-on ne pas
vivre ensemble ? »
Pour ouvrir le débat, on peut s’appuyer sur deux ouvrages :
L’après Charlie : 20 questions pour en débattre sans
tabou (Samuel GRZIBOWSKY –fondateur de Coexister et Jean Louis BIANCO
–président de l’Observatoire de la laïcité) : après les événements
tragiques de janvier, qu’en est-il aujourd’hui de cet « esprit
Charlie » ? Est-on obligé de dire « je suis Charlie » ? Notre
association n’a pas donné de slogan, chacun est libre de choisir, on
vise l’unité dans l’action : nous sommes d’accord pour dire que nous ne
sommes pas d’accord.
Pilote de guerre de SAINT EXUPERY, publié en 1942 mais la réflexion sur
la guerre reste d’actualité : aujourd’hui, de nombreux pays sont en
guerre, nous sommes confrontés aux actes terroristes, à l’afflux des
réfugiés, fuyant la mort et la guerre. Saint Exupéry écrit : « Chacun
est responsable de tous, être homme c’est être responsable ».
Coexister fait sienne cette pensée de Martin Luther King: « Nous devons
apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir
tous ensemble comme des idiots ».
A : Pourquoi vivre ensemble ? Nous allons étudier la question d’un
point de vue juridique, du point de vue du citoyen. Est-ce un devoir,
une obligation ou un droit ? On peut faire référence à la Catalogne qui
veut se séparer de l’Espagne.
Vivre avec l’autre, est-ce inné ou cela s’apprend-il ? Cette notion
nous renvoie à celles de bien commun, d’identité, de responsabilité
collective, de laïcité.
La laïcité est la neutralité de l’Etat vis-à-vis des religions, serait-elle le moyen de vivre ensemble ?
AL : La laïcité est régie par la loi de 1905
qui érige le droit d’avoir des opinions ou de ne pas en avoir, de
pratiquer ou non une religion. La laïcité c’est la neutralité de l’Etat
et non la neutralisation des individus, la liberté de conscience
s’applique aux agents de l’Etat et non aux usagers.
Pour vivre ensemble en société, il ne suffit pas de se tolérer, il faut
se connaître pour établir le dialogue et agir ensemble, s’unir dans la
diversité. La société a besoin de diversité, d’altérité. Si tout le
monde a la même opinion, cela n’a pas d’intérêt.
Mais nous avons de nombreuses peurs : par exemple avec les migrants :
on se sent menacé dans son identité. Il faut dépasser ces peurs, sans
nier les différences mais les apprivoiser. L’école a un rôle à jouer
dans cet apprentissage. Les religions ont été gommées de l’espace
public et on les connaît mal. Il faudrait que le fait religieux soit
davantage enseigné à l’école.
Notre fondateur, Samuel Grzybowsky dit
: « Trop de sang a coulé à cause des guerres » on doit faire couler le
sang pour la paix, agir ensemble pour le bien de tous, se rassembler
pour agir. A Coexister, on dit : je suis, je crois…. On est d’accord
pour ne pas être d’accord. Je fais…. Mais ensemble.
En juin nous avons organisé une marche nocturne qui passait par
différents lieux de culte. Nous voudrions célébrer ensemble les fêtes
laïques ou religieuses.
Au niveau national nous aimerions réaliser une journée des religions
pour déconstruire les fantasmes sur les différentes religions :
connaître leurs rites et leurs fêtes sur lesquels on n’a souvent que
des clichés.
LE DEBAT
X : Avez-vous des contacts avec des protestants ?
Oui, particulièrement avec la pasteure de la Paillade (Titia Es
Sbanti). Pendant la ballade nocturne nous sommes passés devant le
Temple de la rue Maguelone.
Nos rapports avec les institutions religieuses ? Titia Es Sbanti nous
accueille à la Margelle. Avec le diocèse. Relation avec la mosquée et
les juifs. Pour faire des actions ensemble.
X : Coexister est fait pour les 18-35 ans :
initiatives pour les jeunes et par les jeunes. L’action est votre angle
d’attaque : quelles initiatives pertinentes par rapport aux jeunes ?
Votre logo intègre la croix, le croissant et l’étoile.
Nous nous déclarons mouvement inter-convictionnel des jeunes pour
laisser la place aux athées et aux agnostiques.On ne cherche pas à
convertir les jeunes, on ne fait pas de prosélytisme.
RTL lors d’une interview nous a qualifiés d’association la plus laïque mais qui parle de religions.
X : L’Etat laisse de moins en moins d’espace aux
religions ! Ce n’est pas mon avis. Au contraire, la religion est
partout non ? N’y a t’il pas d’autres présences que le fait religieux ?
Les religions sont omniprésentes dans l’actualité
car l’Etat ne leur laisse pas de place. On est ignorant sur les
religions. Il faut faire la part des choses : on parle du culte mais
pas de spiritualité. L’intergénérationnel est un élément du vivre
ensemble. L’interconvictionnel est un moyen et non un but.
X : Combien êtes-vous à Montpellier ?
Très peu : 8 ou 9 et pas encore de juif ou de musulman. Mais nous sommes de création récente (printemps 2015)
X :Avez-vous des contacts avec le scoutisme ?
Avec les Scouts et Guides de France et les scouts musulmans de France (à La Paillade), des contacts très étroits oui.
X: Le Dalaï Lama a dit : « on peut se passer de thé mais pas d’eau, on peut se passer de religion mais pas de spiritualité ».
Au sujet des salles de sport, nous n’avons pas tellement d’avis : il
faut respecter la pudeur de chacun, et les salles de sport sont du
domaine du privé, même si nous pouvons regretter le fait que certaines
refusent la mixité. Les piscines étant municipales, le problème ne se
pose pas.
X : Vous préconisez le vivre ensemble mais vous érigez une séparation : votre mouvement est pour les 18 – 35 ans !
Nous sommes ouverts mais nous voulons faire par les jeunes et pour
tous. Ce n’est pas une question de discrimination puisque nous
travaillons avec des personnes de tous âges et acceptons leur soutien
et leur participation, mais nous tenons à ce que le mouvement reste
géré par des jeunes car la question inter-convictionnelle concerne
particulièrement notre génération.
X : Les jeunes ne fréquentent plus les églises mais
certains déclarent : Dieu ça m’intéresse. Ils sont en recherche. A la
Margelle, je participe à un groupe islamo-chrétien depuis 1994. Nous
aurons prochainement une rencontre (5 novembre à 20h) sur le thème : «
Les religions sources de guerre ou ressource contre la guerre ». Les
extrémistes sont rejetés par l’Islam.
X : J’anime des équipes de préparation au mariage où
nous accueillons des jeunes de religions différentes ou areligieux.
Votre mouvement s’intéresse à la conviction et non à la religion. Par
expérience, les religions sont devenues des systèmes où il n’y a pas de
conviction (Depuis l’empereur Constantin la religion catholique était
érigée en système politique). On retrouve la possibilité de parler de
conviction, dans votre démarche
X : Pour les musulmans on a du mal à s’y
retrouver entre les sunnites, les chiites, les marocains, les algériens.
X :Le vivre ensemble ne risque-t-il pas de devenir
un fourre-tout ? Une fraternité plutôt que le vivre ensemble ? Que
faites-vous dans le domaine social ?
Nous allons organiser des maraudes pour les SDF et nous sommes en lien avec le Secours Catholique.
Nous recherchons les valeurs qui nous réunissent plutôt que de nous
diviser. En parlant de religion on cristallise le débat en rendant
difficile l’action. Promouvoir l’action solidaire pour comprendre les
différences et les assumer.
Quand on aborde le vivre ensemble, en réfléchissant au pourquoi, on
arrive aux convictions. Avec l’inter-convictionnel, on arrive au moteur
qui nous anime : quel vivre ensemble, quel projet de société ?
La diversité est une richesse et les religions véhiculent des valeurs universelles
X : Agir ensemble pour mieux se connaître, on accepte la différence de l’autre
Une piste d’action commune : avec la mosquée Averroès à La Paillade
pour répondre à une demande d’action sociale commune (les catholiques
n’ont pas pu répondre faute de participants: 250 personnes à la mosquée
et 50 à l’église).
X : C’est en agissant ensemble qu’on se
connaît et qu’on fait tomber les préjugés, nous sommes d’accord, mais
il ne faut pas se payer de mots. L’école n’enseigne pas les religions,
l’islam est mal connu. Comment aborder ces questions ? Le dialogue
c’est aussi la critique.
L’éveil à la spiritualité et au fait religieux, cela peut se faire dès
le plus jeune âge. Actuellement l’Etat n’est pas capable de le faire.
Il faut faire des interventions dans les écoles pour sensibiliser les
enfants et déconstruire les préjugés.
« Tous les chemins mènent à l’autre »
L’école vise à comprendre le réel, enseigner le fait religieux en
distinguant le savoir et le croire. En France la laïcité est trop
souvent synonyme d’athéisme, mais c’est un cadre qui permet de
s’exprimer.
X : A La Paillade, les enseignants sont tétanisés
par la religion car nous avons une tradition chrétienne. L’Education
Nationale n’a pas pris en charge le problème car on se l’interdit.
X : On peut aborder le problème autrement : l’Islam,
c’est l’autre qu’il faudrait assimiler. Mais la société occidentale
véhicule l’individualisme, il faut revenir au vivre ensemble.
Aujourd’hui on cherche en Syrie à combattre l’ogre occidental qui n’a
qu’un seul dieu : le fric
X : Ne vivrait-on pas mieux ensemble si l’on supprimait toutes les religions ?
On ne règle pas le problème car alors apparaissent de nouveaux dieux : argent, nazisme….
X : Il ne faut pas être angélique. Si on veut
l’action, il faut être critique et garder une certaine humilité : c’est
le point de départ de la rencontre. Il faut régler les problèmes de
terrain. La religion est un frein, alors qu’elle a
été inventée pour relier.
X : Le travail sur le vivre ensemble n’exclut pas un travail pédagogique d’explication des religions.
X : Quelles sont les actions menées à l’échelle nationale
? Et celles à faire et à faire ici ? Quels sont les besoins ?
Lorsque l’association Coexister a été fondée en 2009, la première
action a été un « don du sang interconfessionnel ». L’idée était de
faire couler le sang pour la paix, de manière symbolique, plutôt que de
le faire couler pour la guerre, comme c’était le cas à l’époque avec
l’intervention israélienne à Gaza.
Coexister préconise de suivre trois étapes pour réaliser la «
coexistence active » : d’abord, apprendre à se connaître, mener des
actions de dialogue, afin d’aller vers l’autre. Concrètement, cela
passe par des visites de lieux de culte par exemple, ou encore la
célébration de fêtes religieuses, tous ensemble. Une fois que les
différents acteurs se sont reconnus, ils décident de mener des actions
de solidarité. Ces actions peuvent prendre la forme de maraudes, ou
alors apporter un soutien aux migrants. Il s’agit d’aider les
personnes/groupes en difficulté, en réunissant des coexistants issus de
différentes religions, ou issus d’aucune. Enfin, la dernière étape
concerne la sensibilisation : une fois que le groupe a dialogué et a
mené des actions de solidarité, il va chercher à sensibiliser les
autres à sa cause, et montrer que la coexistence active est un vrai
projet de société, et non une idée abstraite.
X : Comment faire société ensemble, plutôt que vivre
ensemble. Recréer le lien social, lutter contre la fracture sociale. La
religion permet l’altérité, la solidarité. Le vivre ensemble, c’est
tout ce qui relie les gens. Gandhi a dit : Toutes les religions sont
vraies et ont un même but : la fraternité. La différence est une
richesse. » « Si l’on cultivait l’amitié entre les hommes, on n’aurait
plus besoin de justice » (Aristote)
Le débat continue :
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