L'islam en France, Parlons-en !

Débat à partir du témoignage de Bernard LAPIZE sj

Appel au débat :

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De nombreux facteurs (décolonisation, guerres et conflits, appel de main d’œuvre étrangère, ..) ont entraîné dans les  dernières décennies, une forte immigration vers la France et, en particulier, celle de nombreux musulmans.
Les naturalisations, les conversions, les mariages mixtes, ont fait que l’Islam est devenu la seconde religion de France, après le Christianisme.

Le développement d'une certaine islamophobie nous questionne sur :
. Le choc cultures / religions …
. Les peurs, les fantasmes …
. Les exigences démocratiques …
. La laïcité et le vivre ensemble …
. Les religions et les étrangers, une richesse ?
. La femme dans l’Islam …
. Le voile, une antique aliénation ?
. Le dialogue islamo – chrétien ?
. L’islam est-il par essence politique ?
. …

Venez partager vos questionnements et  expériences sur les musulmans et nos sociétés occidentales.

Le débat (Mardi 15 avril 2014) :

C R du Témoignage :

Bernard LAPIZE (BL) : jésuite, a passé une grande partie de sa vie en Algérie. De retour en France depuis cinq ans. Son séjour en Algérie a été coupé, de 1985 à 1994, par 10 ans au Petit Bard à Montpellier. Les relations avec les nombreux musulmans de ce quartier étaient très différentes d’aujourd’hui. Il rencontre actuellement les musulmans de La Paillade à Montpellier et de la Devèze à Béziers. Ils sont très différents des Algériens d’Algérie !

L’Islam en France : pour beaucoup il y a un parti pris en disant que le dialogue est difficile !

« Islam et démocratie » était le 1er titre retenu pour ce Café. Je préfère poser la question de  savoir si les musulmans sont solubles dans la démocratie. S’ils peuvent s’intégrer dans la société française ? L’Islam est-il un handicap pour cette intégration ? Actuellement il y a un doute collectif, une peur alimentée dans les faits divers exploités à des fins partisanes. Je vais essayer de repérer les vraies raisons d’avoir peur ou confiance.

Combien y a-t-il de musulmans en France ?

Impossible à dire pour deux raisons : il n’y a pas de registres internes des pratiquants (comme nous avons les registres des baptêmes) et la laïcité françaises interdit de recenser selon des critères religieux (ni politiques ni sociaux : loi du 06/01/1978). Il y a 50 ans la plupart des musulmans étaient des étrangers : les maghrébins étaient tous musulmans. De nos jours la grande majorité est d’origine française : nés en France, africains venant de pays multi religieux. Certains minimisent le chiffre pour rassurer, d’autres l’augmentent pour faire peur ! L’INED et l’INSEE en 2010 estimaient  à 2,1 millions les musulmans se déclarant pratiquants, Claude Guéant 5 à 6 millions dont 33% de pratiquants (chiffres cohérents avec les précédents) le FN encore davantage…Les islamophobes invoquent toujours des chiffres forts. Ils sont aussi xénophobes ou arabophobes. Or 33% ne pratiquent pas et l’Islam ne dicte pas leur comportement. Les pratiquants sont très visibles dans nos villes par le voile des femmes.

Comment se présente cette population musulmane ?

-          La Ouma

(communauté des croyants musulmans) est, apparemment, très unie dans le monde. Ils ont les mêmes rites, le même credo en particulier à la Mecque Mais, en fait existent des divisions sous-jacentes entre sunnites et chiites. En France ils sont tous sunnites mais ne sont pas un groupe monolithique.! Ils n’ont pas de structure interne, pas de hiérarchie ce qui est source de difficultés. Ainsi pour décider de la date de la fin du ramadan les Algériens et les Marocains du Petit Bard ne calculent pas  le même jour ! En Algérie j’ai vu 2 villages proches fêter le ramadan à 1 jour de différence car les « anciens » d’un village chargés de regarder l’apparition de la lune avaient la cataracte !-           

-          Autre difficulté : les relations musulmans/Etat. Le dialogue est difficile pour régler les problèmes de mosquées, de cimetière, de cantine scolaire… Cela va mieux depuis la création du CFCM (Conseil Français du Culte Musulman) qui est un interlocuteur reconnu. Il intervient entre autres pour la formation des imans (formation à la laïcité à l’Institut Catholique de Paris !), des aumôneries des hôpitaux, dans les quartiers (3 aumôniers à La Paillade), dans les prisons, les armées.. Il coordonne les dates des fêtes religieuses…

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-          Eléments de cette diversité

Leur origine (Algérie, Maroc,( Haïti ??), Harkis  Turquie…), Arabe ou Berbère, influences politiques (la mosquée de Paris est d’obédience algérienne, celle de Montpellier marocaine) et même à Montpellier les musulmans du quartier des abattoirs étaient d’obédience marocaine et ceux de Gambetta d’obédience algérienne avec un harki président !

  Ils sont de cultures différentes : turcs, africains et asiatiques non arabes, la moitié des marocains est berbère !

  Ils sont d’écoles différentes comme les soufis,  mystiques qui approchent Dieu par leurs prières ou des pratiques particulières comme les derviches tourneurs. Ils sont rejetés par les purs et durs qui disent qu’on ne peut approcher Dieu. Les marabouts, intermédiaires entre Dieu et les hommes sont refusés par les purs.

  Il existe des divisions entre générations : les primo arrivants et les grands parents ne sont pas du même monde, ont des pratiques différentes ;

  Il y a des clivages dans la société au niveau social, de l’engagement politique. Par ex « j’avais mobilisé des étudiants pour faire de l’alphabétisation des plus jeunes : ce fut impossible, ils ne se sentaient pas concernés ! ».

  Diversité des Mouvements de pensée : salafistes et djihadistes font de leur religion un instrument de combat. Or la majorité musulmane ne réagit pas ainsi. La majorité est française, la 3ème et la 4ème génération parlent français. Les imans, étrangers au début sont maintenant francophones et formés en France. Par ex il y a quelques années ils ne savaient pas  qu’en France on ne pouvait pas se marier à l’église sans être marié à la mairie ! Il faut parler d’ l’Islam de France  et non d’Islam en France ! Pour les islamistes l’Islam ne doit pas évoluer, il doit être le même en tous lieux et de tous temps, les rites rester inchangés. Les mouvements. radicaux ne sont pas à l’aise dans les mosquées : on n’y enseigne pas de s’opposer à la société. Exemple, en période électorale, des musulmans se sont impliqués dans les débats, ont voté et se sont même engagés dans des municipalités. Il y a un mois à la Devéze à Béziers des musulmans et des chrétiens ont réfléchi ensemble avant les municipales.

La tendance traditionnelle progresse. Autrefois au Petit Bard il n’y avait pas de femmes voilées, peu fréquentaient la mosquée. De nos jours c’est différent : le port du voile, la prière dans la rue…font polémique et débats passionnés !

 Les musulmans sont souvent peu instruits de leur religion, influençables. Récemment l’UOIF (Union des Organisations Islamiques de France) a organisé un rassemblement au palais des Sports pour réclamer un Islam citoyen. En théorie ils acceptent la laïcité, les conditions qu’elle donne pour la liberté de culte, ils réclament des mosquées mais s’opposent à tout ce qui gène leurs pratiques. Ils ont l’impression que la laïcité sert de rempart à la religion musulmane (comme les chrétiens au début du XXème siècle lors des lois anticléricales et pourtant l’Eglise a évolué et maintenant approuve la laïcité !).  Pour les islamistes le peuple n’est pas souverain, seul Dieu est souverain. Le Coran est la loi de Dieu. La démocratie est anti-religieuse. Donc, au niveau politique ils croient en la théocratie, au niveau familial au patriarcat et au niveau de la société à la priorité de l’homme sur la femme. Un ancien ambassadeur d’Israël en France disait que « l’Islam et la religion juive ont une difficulté commune, moindre chez les chrétiens, du fait de leur origine théocratique ». Pour les chrétiens le Christ n’est lié à aucune communauté politique et le restera. Jésus a toujours distingué le domaine de Dieu et de César. Le césaro papisme a existé mais en distinguant césar et le pape

L’Arabie a une monarchie théocratique, le Maroc une monarchie constitutionnelle, l’Algérie et la Tunisie sont des républiques populaires avec un pouvoir unique. Leur monarque est élu mais voter ce n’est pas choisir, c’est faire allégeance au chef.

Tous les états musulmans ne sont pas arabes. L’Indonésie est le plus grand pays musulman avec240 millions d’habitants dont 86% sont musulmans. La liberté religieuse est inscrite dans sa constitution. Les catholiques sont reconnus et Noël, Pâques et l’Ascension sont des fêtes reconnues. Le Pakistan a une femme présidente, en Chine des femmes sont imans. Par contre l’Arabie Saoudite est intolérante. En Algérie l’Islam est religion d’état mais les chrétiens sont respectés. La conversion au catholicisme n’est pas un délit. Un Algérien converti a même été ordonné prêtre il y a 4 ans ! Ils ont parfois une messe télévisée, ils ont restauré Notre Dame d’Afrique. Un appel à la démocratie se fait jour : quelques manifestations ont lieu actuellement en Algérie contre Bouteflika qui se représente aux élections malgré son état de santé ! Les journaux sont libres en Algérie.

 

En conclusion : les musulmans de France savent qu’ils doivent entrer dans la modernité et vivre leur foi dans notre monde non musulman. Beaucoup de jeunes n’arrivent pas à trouver leur place dans cette période de crise et sont attirés par les extrémistes. Certains sont partis en Syrie à l’insu de leur famille. Danger du farniente et de la délinquance. L’islam n’a rien à y voir, l’origine en est économique, sociale et politique. Que les religieux se penchent  sur ce « vivre ensemble » en favorisant des rencontres accueillantes et bienveillantes et non des débats politiques. La solution est dans la rencontre la société ne guérira de ces tensions que dans le partage d’humanité entre nous tous.

Le débat :

-       - Les musulmans de France sont un groupuscule autour de la Méditerranée. Merci d’avoir élargi le problème de l’Islam aux dimensions du monde.

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- Que penser des islamistes en Egypte, au Mali, en Arabie Saoudite, en Centrafrique … ?

BL : Al Qaïda au Mali, au Sahel…c’est une nébuleuse, un mouvement militaire violent. En Egypte les frères musulmans sont normalement non-violents mais ils le sont devenus, ils veulent instaurer la loi musulmane traditionnelle. Mais les salafistes sont aussi présents et cherchent à détruire le pouvoir car en Islam il n’y a pas de pouvoir local. L’Islam de France n’est pas violent, de type frères musulmans sauf quelques salafistes très actifs qui font partir des jeunes en Syrie. Ce phénomène est difficile à analyser.

-          - En France nous connaissons la séparation du politique et du religieux. Vous avez évoqué les difficultés de 1905. Dans l’Islam il y a confusion du politique et du religieux. Il faut que les musulmans fassent le travail pour trouver un « Islam des lumières ».Je ne suis pas d’accord quand vous dites que la solution n’est pas dans le débat religieux. Le Coran est parole de Dieu dictée par l’ange à Mohammed. La méthode historico critique est peu faite.

BL : j’ai fait des débats entre théologiens chrétiens et musulmans. Ce fut un échec ! C’est, soit deux monologues soit on arrive à un accord à minima qui est un faux accord. Il n’y a pas d’évolution possible, pour l’instant, de dogme à dogme. C’est dans la rue qu’on peut se rencontrer, dans les lieux où l’on vit ensemble. Il existe un « Islam des lumières » mais ces théologiens ne touchent pas la population. Le Coran est en effet dicté mais Jésus n’a pas dicté l’Evangile. Il vaut mieux intégrer les gens dans un partage d’humanité. La religion juive et l’Islam sont nés au désert, lieu infini où l’homme est complètement dépendant de Dieu. En arrivant en Palestine chacun est devenu plus maître de son sort, influencé par des forces diverses. Le polythéisme est né. Quand les musulmans sont arrivés au Maghreb ils ont eu des marabouts (sortes de saints). Les mentalités ont évolué : ils ont gardé le même credo mais la pratique religieuse n’a plus été la même.

-          - J’ai rencontré une Malienne qui faisait des ménages pour payer ses études. Un certain nombre de jeunes Maliens ont demandé de partir au Mali pour aider leur pays à se redresser. En novembre 2013 le Père Christophe Roucou a rencontré l’iman de Bordeaux qui plaide pour une intégration.

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-         -  A La Paillade musulmans et chrétiens se rapprochent dans le combat contre l’ABCD de l’égalité en répandant des bruits infondés, notamment sur ABC et la théorie du genre, mot instrumentalisé politiquement.

BL : ce sont des groupes non représentatifs, délégués ni par l’Eglise ni par les imans.

-  - Un  kabyle se demande si les confréries n’ont pas été encouragées en Algérie par la colonisation ? 

     BL : le pouvoir colonial a utilisé les confréries pour mailler la population, utilisé et non   créé. Elles sont en désaccord avec le credo musulman. Les tombeaux des marabouts ont été détruits pendant la révolution algérienne.

-          - Comment faire dialoguer ces deux populations ? Les chrétiens croyants sont peu nombreux, les musulmans très pratiquants. Certains deviennent médecin, avocat…d’autres se sont engagés dans les nouveaux conseils municipaux. Comment appeler les jeunes musulmans nés en France qui sont français ?

-          BL : en Algérie on disait : français pied noir et français algérien. On pourrait dire en France : français de souche européenne et français de souche africaine. Ne pas les différencier par leur religion.

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-      - Si on regarde une carte du monde on voit que les pays musulmans occupent essentiellement les régions sous-développées qui font le terreau de l’Islam.

En Algérie il y avait 9 millions de musulmans et 1 million de non musulmans. En France la proportion est inversée. Comment se faisait-il qu’en Algérie on vivait bien ensemble ? Les djihadistes arrivent parfois au pouvoir de façon légale car ils tirent leur légitimité  de leur action sociale. La religion fait partie de la vie. La laïcité est impensable en Islam.car il est impossible de séparer le spirituel du politique. L’ensemble des musulmans est déculturé.

-       - Quelles pistes pratiques proposer ? Notre Evêque a lancé pour trois ans le projet « Semons la fraternité » nous invitant à trouver des voies nouvelles. Créer des groupes islamo chrétiens par exemple ou des fraternités entre religions différentes ?

BL : il existe un groupe islamo chrétien à la Margelle( Eglise protestante) à La Paillade où l’on s’informe et l’on cherche à mieux se comprendre. On réfléchit ensemble sur la société dont on fait partie, on cherche ensemble comment aider les autres à faire société, à faire progresser l’amour.

-    - Je suis gêné par l’idée de deux dogmes qui s’affrontent. L’ancien testament nous vient du monde juif. Les chrétiens l’acceptent, les musulmans le transforment.

BL : les dogmes sont incompatibles. Dieu fait homme est impensable pour les musulmans ce qui n’empêche pas de vivre ensemble. J’ai eu l’occasion d’enterrer en Algérie un chrétien clandestin et j’avais demandé à un ami iman de m’assister. Je le remerciais à la fin en lui disant : « sans toi je n’aurais pas pu l’enterrer ». Il m’a répondu : « nous travaillons pour le même patron. Je sens que je suis devenu un meilleur musulman ». Je lui dis : « qu’entends-tu par là ? ». Il me répond : « je me croyais un bon musulman. Les prières, les rites n’ont pas de valeur si on ne fait pas ainsi ». Le St Esprit agissait !

-    -   Vivre ensemble mais aussi faire ensemble. J’ai travaillé 35 ans à La Paillade. La désespérance économique s’est aggravée. Cette population a trouvé un lieu et un motif d’identification lors de la première guerre du Golfe. En 1984 il y avait des cours d’Islam dans les appartements. Est arrivé le 11 septembre et la référence à Ben Laden (des bébés étaient prénommés Oussama !). La haine a été entretenue par ces conflits. Comment se fait-il qu’il y ait plus de conversion au djihad en France qu’en Algérie ?

BL : je pense que des jeunes algériens y sont partis également.

-        - Le GAIC est un groupe islamo chrétien qui existe depuis 1994 et depuis 2002 dans 48 villes de France et 12 d’Europe avec un projet commun.

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-    - - Les écoles coraniques sont des lieux où l’on apprend aussi l’arabe : 80% du temps pour l’arabe, 20% pour le Coran. Moyen de les aider à se développer.

BL : c’est la maternelle du Coran.

-    - Il y a un clivage profond entre les cultures occidentales, chrétiennes et la culture musulmane : la liberté est le fondement de la culture chrétienne, l’obéissance est le fondement de la culture musulmane.

BL : c’est vrai en théorie. Les Maghrébins se sentent plus près de nous que des Indonésiens ou des Afghans. Souvenons-nous que nous avons longtemps vécu sans liberté ! La liberté est récente.

-         Il y a un centre œcuménique à Jacou. L’association « religions et perspectives » rencontre   toutes les religions du coin pour se connaître et se reconnaître.




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