Bernard LAPIZE
(BL) : jésuite, a passé une grande partie de sa
vie en Algérie. De retour en France depuis cinq ans. Son séjour en Algérie a
été coupé, de 1985 à 1994, par 10 ans au Petit Bard à Montpellier. Les
relations avec les nombreux musulmans de ce quartier étaient très différentes
d’aujourd’hui. Il rencontre actuellement les musulmans de La Paillade à
Montpellier et de la Devèze à Béziers. Ils sont très différents des Algériens d’Algérie !
L’Islam en
France : pour beaucoup il y a un parti pris en
disant que le dialogue est difficile !
« Islam et
démocratie » était le 1er titre retenu pour ce Café. Je préfère
poser la question de savoir si les
musulmans sont solubles dans la démocratie. S’ils peuvent s’intégrer dans la
société française ? L’Islam est-il un handicap pour cette
intégration ? Actuellement il y a un doute collectif, une peur alimentée
dans les faits divers exploités à des fins partisanes. Je vais essayer de
repérer les vraies raisons d’avoir peur ou confiance.
Combien y a-t-il
de musulmans en France ?
Impossible à dire
pour deux raisons : il n’y a pas de registres internes des pratiquants
(comme nous avons les registres des baptêmes) et la laïcité françaises interdit
de recenser selon des critères religieux (ni politiques ni sociaux : loi
du 06/01/1978). Il y a 50 ans la plupart des musulmans étaient des
étrangers : les maghrébins étaient tous musulmans. De nos jours la grande
majorité est d’origine française : nés en France, africains venant de pays
multi religieux. Certains minimisent le chiffre pour rassurer, d’autres
l’augmentent pour faire peur ! L’INED et l’INSEE en 2010 estimaient à 2,1 millions les musulmans se déclarant pratiquants,
Claude Guéant 5 à 6 millions dont 33% de pratiquants (chiffres cohérents avec
les précédents) le FN encore davantage…Les islamophobes invoquent toujours des
chiffres forts. Ils sont aussi xénophobes ou arabophobes. Or 33% ne pratiquent
pas et l’Islam ne dicte pas leur comportement. Les pratiquants sont très
visibles dans nos villes par le voile des femmes.
Comment se
présente cette population musulmane ?
- La Ouma
(communauté des croyants musulmans) est, apparemment, très unie dans
le monde. Ils ont les mêmes rites, le même credo en particulier à la Mecque
Mais, en fait existent des divisions sous-jacentes entre sunnites et chiites.
En France ils sont tous sunnites mais ne sont pas un groupe monolithique.! Ils
n’ont pas de structure interne, pas de hiérarchie ce qui est source de
difficultés. Ainsi pour décider de la date de la fin du ramadan les Algériens
et les Marocains du Petit Bard ne calculent pas le même jour ! En Algérie j’ai vu 2
villages proches fêter le ramadan à 1 jour de différence car les
« anciens » d’un village chargés de regarder l’apparition de la lune
avaient la cataracte !
-
Autre difficulté : les
relations musulmans/Etat. Le dialogue est difficile
pour régler les problèmes de mosquées, de cimetière, de cantine scolaire… Cela
va mieux depuis la création du CFCM (Conseil Français du Culte Musulman) qui
est un interlocuteur reconnu. Il intervient entre autres pour la formation des
imans (formation à la laïcité à l’Institut Catholique de Paris !), des
aumôneries des hôpitaux, dans les quartiers (3 aumôniers à La Paillade), dans
les prisons, les armées.. Il coordonne les dates des fêtes religieuses…
-
-
Eléments de cette diversité
Leur origine (Algérie, Maroc,( Haïti ??),
Harkis Turquie…), Arabe ou Berbère,
influences politiques (la mosquée de Paris est d’obédience algérienne, celle de
Montpellier marocaine) et même à Montpellier les musulmans du quartier des
abattoirs étaient d’obédience marocaine et ceux de Gambetta d’obédience
algérienne avec un harki président !
Ils sont de cultures différentes :
turcs, africains et asiatiques non arabes, la moitié des marocains est
berbère !
Ils sont d’écoles différentes comme
les soufis, mystiques qui approchent
Dieu par leurs prières ou des pratiques particulières comme les derviches
tourneurs. Ils sont rejetés par les purs et durs qui disent qu’on ne peut
approcher Dieu. Les marabouts, intermédiaires entre Dieu et les hommes sont
refusés par les purs.
Il existe des divisions entre générations :
les primo arrivants et les grands parents ne sont pas du même monde, ont des
pratiques différentes ;
Il y a des clivages dans la société au
niveau social, de l’engagement politique. Par ex « j’avais mobilisé des
étudiants pour faire de l’alphabétisation des plus jeunes : ce fut
impossible, ils ne se sentaient pas concernés ! ».
Diversité des Mouvements de pensée :
salafistes et djihadistes font de leur religion un instrument de combat. Or la
majorité musulmane ne réagit pas ainsi. La majorité est française, la 3ème
et la 4ème génération parlent français. Les imans, étrangers au
début sont maintenant francophones et formés en France. Par ex il y a quelques
années ils ne savaient pas qu’en France
on ne pouvait pas se marier à l’église sans être marié à la mairie ! Il faut
parler d’ l’Islam de France et non d’Islam en France ! Pour les
islamistes l’Islam ne doit pas évoluer, il doit être le même en tous lieux et
de tous temps, les rites rester inchangés. Les mouvements. radicaux ne sont pas
à l’aise dans les mosquées : on n’y enseigne pas de s’opposer à la
société. Exemple, en période électorale, des musulmans se sont impliqués dans
les débats, ont voté et se sont même engagés dans des municipalités. Il y a un
mois à la Devéze à Béziers des musulmans et des chrétiens ont réfléchi ensemble
avant les municipales.
La tendance
traditionnelle progresse. Autrefois au Petit Bard il
n’y avait pas de femmes voilées, peu fréquentaient la mosquée. De nos jours
c’est différent : le port du voile, la prière dans la rue…font polémique et
débats passionnés !
Les musulmans sont souvent peu instruits de
leur religion, influençables. Récemment l’UOIF (Union des Organisations
Islamiques de France) a organisé un rassemblement au palais des Sports pour
réclamer un Islam citoyen. En théorie ils acceptent la laïcité, les
conditions qu’elle donne pour la liberté de culte, ils réclament des mosquées
mais s’opposent à tout ce qui gène leurs pratiques. Ils ont l’impression que la
laïcité sert de rempart à la religion musulmane (comme les chrétiens au début
du XXème siècle lors des lois anticléricales et pourtant l’Eglise a évolué et
maintenant approuve la laïcité !).
Pour les islamistes le peuple n’est pas souverain, seul Dieu est
souverain. Le Coran est la loi de Dieu. La démocratie est anti-religieuse.
Donc, au niveau politique ils croient en la théocratie, au niveau familial au
patriarcat et au niveau de la société à la priorité de l’homme sur la femme. Un
ancien ambassadeur d’Israël en France disait que « l’Islam et la religion
juive ont une difficulté commune, moindre chez les chrétiens, du fait de leur
origine théocratique ». Pour les chrétiens le Christ n’est lié à aucune
communauté politique et le restera. Jésus a toujours distingué le domaine de
Dieu et de César. Le césaro papisme a existé mais en distinguant césar et le
pape
L’Arabie a une
monarchie théocratique, le Maroc une monarchie constitutionnelle, l’Algérie et
la Tunisie sont des républiques populaires avec un pouvoir unique. Leur
monarque est élu mais voter ce n’est pas choisir, c’est faire allégeance au
chef.
Tous les états
musulmans ne sont pas arabes. L’Indonésie est le plus grand pays musulman
avec240 millions d’habitants dont 86% sont musulmans. La liberté religieuse est
inscrite dans sa constitution. Les catholiques sont reconnus et Noël, Pâques et
l’Ascension sont des fêtes reconnues. Le Pakistan a une femme présidente, en
Chine des femmes sont imans. Par contre l’Arabie Saoudite est intolérante. En
Algérie l’Islam est religion d’état mais les chrétiens sont respectés. La conversion
au catholicisme n’est pas un délit. Un Algérien converti a même été ordonné
prêtre il y a 4 ans ! Ils ont parfois une messe télévisée, ils ont
restauré Notre Dame d’Afrique. Un appel à la démocratie se fait jour :
quelques manifestations ont lieu actuellement en Algérie contre Bouteflika qui
se représente aux élections malgré son état de santé ! Les journaux sont
libres en Algérie.
En conclusion : les
musulmans de France savent qu’ils doivent entrer dans la modernité et vivre
leur foi dans notre monde non musulman. Beaucoup de jeunes n’arrivent pas à
trouver leur place dans cette période de crise et sont attirés par les
extrémistes. Certains sont partis en Syrie à l’insu de leur famille. Danger du
farniente et de la délinquance. L’islam n’a rien à y voir, l’origine en est
économique, sociale et politique. Que les religieux se penchent sur ce « vivre ensemble » en
favorisant des rencontres accueillantes et bienveillantes et non des débats
politiques. La solution est dans la rencontre la société ne guérira de ces
tensions que dans le partage d’humanité entre nous tous.
- - Les musulmans de France sont un
groupuscule autour de la Méditerranée. Merci d’avoir élargi le problème de l’Islam
aux dimensions du monde.
-
- Que penser des islamistes en
Egypte, au Mali, en Arabie Saoudite, en Centrafrique … ?
BL : Al Qaïda au Mali, au Sahel…c’est une
nébuleuse, un mouvement militaire violent. En Egypte les frères musulmans sont
normalement non-violents mais ils le sont devenus, ils veulent instaurer la loi
musulmane traditionnelle. Mais les salafistes sont aussi présents et cherchent
à détruire le pouvoir car en Islam il n’y a pas de pouvoir local. L’Islam de
France n’est pas violent, de type frères musulmans sauf quelques salafistes
-
- En France nous connaissons la
séparation du politique et du religieux. Vous avez évoqué les difficultés de
1905. Dans l’Islam il y a confusion du politique et du religieux. Il faut que
les musulmans fassent le travail pour trouver un « Islam des
lumières ».Je ne suis pas d’accord quand vous dites que la solution n’est
pas dans le débat religieux. Le Coran est parole de Dieu dictée par l’ange à
Mohammed. La méthode historico critique est peu faite.
BL : j’ai fait des débats entre
théologiens chrétiens et musulmans. Ce fut un échec ! C’est, soit deux
monologues soit on arrive à un accord à minima qui est un faux accord. Il n’y a
pas d’évolution possible, pour l’instant, de dogme à dogme. C’est dans la rue
qu’on peut se rencontrer, dans les lieux où l’on vit ensemble. Il existe un
« Islam des lumières » mais ces théologiens ne touchent pas la
population. Le Coran est en effet dicté mais Jésus n’a pas dicté
l’Evangile. Il vaut mieux intégrer les gens dans un partage d’humanité. La
religion juive et l’Islam sont nés au désert, lieu infini où l’homme est
complètement dépendant de Dieu. En arrivant en Palestine chacun est devenu plus
maître de son sort, influencé par des forces diverses. Le polythéisme est né.
Quand les musulmans sont arrivés au Maghreb ils ont eu des marabouts (sortes de
saints). Les mentalités ont évolué : ils ont gardé le même credo mais la
pratique religieuse n’a plus été la même.
-
- J’ai rencontré une Malienne qui
faisait des ménages pour payer ses études. Un certain nombre de jeunes Maliens
ont demandé de partir au Mali pour aider leur pays à se redresser. En novembre
2013 le Père Christophe Roucou a rencontré l’iman de Bordeaux qui plaide pour
une intégration.
-
- - A La Paillade musulmans et
chrétiens se rapprochent dans le combat contre l’ABCD de l’égalité en répandant
des bruits infondés, notamment sur ABC et la théorie du genre, mot
instrumentalisé politiquement.
BL : ce
sont des groupes non représentatifs, délégués ni par l’Eglise ni par les imans.
- - Un
kabyle se demande si les confréries n’ont pas été encouragées en Algérie
par la colonisation ?
BL : le pouvoir colonial a
utilisé les confréries pour mailler la population, utilisé et non créé. Elles sont en désaccord avec le credo
musulman. Les tombeaux des marabouts ont été détruits pendant la révolution
algérienne.
-
- Comment faire dialoguer ces deux
populations ? Les chrétiens croyants sont peu nombreux, les musulmans très
pratiquants. Certains deviennent médecin, avocat…d’autres se sont engagés dans
les nouveaux conseils municipaux. Comment appeler les jeunes musulmans nés en
France qui sont français ?
-
BL : en Algérie on disait : français pied noir et français algérien. On
pourrait dire en France : français de souche européenne et français de
souche africaine. Ne pas les différencier par leur religion.
-
- - Si on regarde une carte du monde
on voit que les pays musulmans occupent essentiellement les régions sous-développées
qui font le terreau de l’Islam.
En
Algérie il y avait 9 millions de musulmans et 1 million de non musulmans. En
France la proportion est inversée. Comment se faisait-il qu’en Algérie on
vivait bien ensemble ? Les djihadistes arrivent parfois au pouvoir de
façon légale car ils tirent leur légitimité
de leur action sociale. La religion fait partie de la vie. La laïcité
est impensable en Islam.car il est impossible de séparer le spirituel du
politique. L’ensemble des musulmans est déculturé.
- -
Quelles pistes pratiques proposer ?
Notre Evêque a lancé pour trois ans le projet « Semons la
fraternité » nous invitant à trouver des voies nouvelles. Créer des
groupes islamo chrétiens par exemple ou des fraternités entre religions
différentes ?
BL : il existe un groupe islamo chrétien
à la Margelle( Eglise protestante) à La Paillade où l’on s’informe et l’on
cherche à mieux se comprendre. On réfléchit ensemble sur la société dont on
fait partie, on cherche ensemble comment aider les autres à faire société, à
faire progresser l’amour.
- - Je suis gêné par l’idée de deux dogmes
qui s’affrontent. L’ancien testament nous vient du monde juif. Les chrétiens
l’acceptent, les musulmans le transforment.
BL : les dogmes sont incompatibles. Dieu
fait homme est impensable pour les musulmans ce qui n’empêche pas de vivre
ensemble. J’ai eu l’occasion d’enterrer en Algérie un chrétien clandestin et
j’avais demandé à un ami iman de m’assister. Je le remerciais à la fin en lui
disant : « sans toi je n’aurais pas pu l’enterrer ». Il m’a
répondu : « nous travaillons pour le même patron. Je sens que je suis
devenu un meilleur musulman ». Je lui dis : « qu’entends-tu par
là ? ». Il me répond : « je me croyais un bon musulman. Les
prières, les rites n’ont pas de valeur si on ne fait pas ainsi ». Le St
Esprit agissait !
- - Vivre ensemble mais aussi faire
ensemble. J’ai travaillé 35 ans à La Paillade. La désespérance économique s’est
aggravée. Cette population a trouvé un lieu et un motif d’identification lors
de la première guerre du Golfe. En 1984 il y avait des cours d’Islam dans les
appartements. Est arrivé le 11 septembre et la référence à Ben Laden (des bébés
étaient prénommés Oussama !). La haine a été entretenue par ces conflits.
Comment se fait-il qu’il y ait plus de conversion au djihad en France qu’en
Algérie ?
BL : je pense que des jeunes algériens y
sont partis également.
- - Le GAIC est un groupe islamo
chrétien qui existe depuis 1994 et depuis 2002 dans 48 villes de France et 12
d’Europe avec un projet commun.
-
- - - Les écoles coraniques sont des
lieux où l’on apprend aussi l’arabe : 80% du temps pour l’arabe, 20% pour
le Coran. Moyen de les aider à se développer.
BL : c’est la maternelle du Coran.
- - Il y a un clivage profond entre
les cultures occidentales, chrétiennes et la culture musulmane : la
liberté est le fondement de la culture chrétienne, l’obéissance est le
fondement de la culture musulmane.
BL : c’est vrai en théorie. Les Maghrébins
se sentent plus près de nous que des Indonésiens ou des Afghans. Souvenons-nous
que nous avons longtemps vécu sans liberté ! La liberté est récente.
- -
Il y a un centre œcuménique à
Jacou. L’association « religions et perspectives » rencontre toutes les religions du coin pour se
connaître et se reconnaître.